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51% des Français disent apprécier Johnny Hallyday : de la difficulté d’utiliser une idole comme ciment d’une société fragmentée
©François NASCIMBENI / AFP

"Mon pays c'est l'amour"

Selon un sondage Ifop exclusif pour Atlantico, un peu plus de la moitié des Français déclarent apprécier Johnny Hallyday. Une icone à même de masque le manque de ciment de la société française ?

 Ifop

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L'Ifop est un institut de sondages d'opinion et d'études marketing.

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : 51% des Français déclarent apprécier Johnny Hallyday - 38% déclarent l'aimer "assez" et 13% "beaucoup". En quoi l'image de rassemblement des Français derrière Johnny Hallyday ou les Bleus par exemple peut-elle masquer un manque de ciment dans la société française ?

Jérôme Fourquet : L'extraordinaire couverture médiatique dont bénéficie le lancement du dernier album posthume de Johnny Hallyday est en partie explicable au regard des chiffres de notre enquête puisqu'il y a très peu de personnalités, notamment d'artistes, qui peuvent revendiquer une si large assise et un si profond ancrage dans notre pays puisqu'un Français sur deux déclare apprécier l'artiste qu'était Johnny Hallyday. Un fan-club de 13% de la population, donc un Français sur huit qui se déclarait "très fan" de l'artiste. Si l'on extrapole ça en clients ou en acheteurs potentiels de cet album, ça représente bien évidemment des ventes potentielles colossales et l'on comprend qu'il y ait une opération promotionnelle à la hauteur.

Cela étant, on voit bien également à l'occasion de la sortie de cet album, comme de manière encore plus manifeste au moment de ses obsèques, que les médias et le pouvoir politique, les institutions, ont très fortement investi sur cette thématique-là. Si l'on revient au moment de ses obsèques, nous avons là une forme de panthéonisation de Johnny Hallyday, ou en tout cas de sacralisation républicaine, et un hommage de toute la nation à la rockstar, c'est comme cela que ça a été vendu en tout cas. Les images étaient bien évidemment très impressionnantes avec ces dizaines voire centaines de milliers de personnes massées pour un dernier adieu à leur idole. Tout au long du parcours du corbillard, la foule qui se massait à la Madeleine était également impressionnante.

Mais si l'on dépasse le seul cas de Johnny Hallyday, on peut avoir le sentiment que ce très fort engouement sur les moments de ce type -on peut aussi prendre le cas de la victoire des Bleus et des festivités organisées dans la rue ou officielles – tout ça sonne quelque part un peu faux et surjoué. Comme si le système médiatique, le pouvoir politique mais aussi une partie de la société civile recherchaient désespérément des preuves d'une existence d'une forme de communion et de cohésion nationale et qu'on recherchait tous les éléments qui pouvaient illustrer la persistance d'un vivre-ensemble. Inconsciemment la société française se lie et se sent comme étant profondément fracturée avec des fractures de tout types: culturelles, générationnelles, territoriales, idéologiques. Face à cet état de fracturation, on fait flèche de tout bois et on s'empare de manière excessive de chaque occasion qui peut donner lieu à des moments de communion ou à des images montrant un peuple rassemblé.

On a parlé aussi de la liesse populaire et du traitement présidentiel qui a été mis en place pour rendre hommage de manière justifiée à la performance de notre équipe nationale. De mon point de vue on a un peu surjoué tous ces événements pour essayer d'y trouver un ciment unificateur.

De la même manière, au moment d'une disparition d'une grande voix de la chanson française: Charles Aznavour, nous avons eu – mais avec un ton en dessous par rapport à ce qui s'est passé avec Johnny Hallyday – un cérémonial politico-médiatique qui s'est mis en branle.

Vous parliez de fractures. Selon vous, quelles sont les plus marquées actuellement ?

Nous avons des fractures de tout genre, c'est là que réside le problème. On a des fractures sociologiques et éducatives. Nous avons travaillé notamment à l'IFOP avec la fondation Jean Jaurès sur la thématique de la sécession des élites. On peut se baser sur cette question de la sécession des élites pour observer le fait que l'espace d'un moment il y ait une mise en scène de la part des élites médiatiques politiques ou autres, de leur communion ou de leur centre d'intérêt commun avec le reste de la population, qu'il s'agisse de divertissement ou de gouts musicaux avec Johnny Hallyday ou de l'engouement pour le foot. C'est une manière de dire : "Vous voyez on vous ressemble et on est capables de vibrer à l'unisson avec le reste du pays. Il y a cette fracture qu'on pourrait qualifier de "peuple/élites" avec une stratification de la société de plus en plus appuyée sur le niveau éducatif.

Dans une économie mondialisée, en fonction du niveau de diplôme, vous n'avez pas les mêmes chances de progression, d'ascension sociale ou d'avoir un train de vie qui soit identique d'un groupe à l'autre. Nous avons bien évidemment aussi des fractures territoriales. On peut renvoyer aux travaux de Christophe Guilluy sur les métropoles et la France périphérique.

Nous avons également des fractures ethnoculturelles avec une population qui, démographiquement, est beaucoup moins homogène qu'elle ne l'a été au temps des années 60 qui apparaissent – notamment pour les fans de Johnny - comme l'âge d'or de la société française. C'était une société qui était démographiquement très homogène et aujourd'hui c'est beaucoup moins le cas. On se rappelle des débats sur le fait que la population qui s'était massée sur le parcours du cortège funéraire de Johnny, c'est une population qui manifestement venait assez peu des banlieues par exemple.

Nous pouvons aussi observer des fractures générationnelles et nous en avons l'illustration dans le cadre de l'enquête qu'on a réalisé pour nous. On y voyait l'engouement pour Johnny Hallyday, et on a tout de même un différentiel de 16 points entre les plus jeunes et les plus âgés, ceux qui ont grandi avec lui. Si vous prenez les gens qui apprécient beaucoup, on passe de 6 à 16 points entre les 18-24 et les 65 ans et plus.

Ensuite ça n'enlève rien à la popularité de Johnny Hallyday. Je pense qu'il n'y a personne en France capable d'avoir une assise aussi large. On verra le nombre de disques qu'il va vendre pour constater que tout ça n'était pas surfait. Il avait un vrai lien avec toute une partie de la population mais même en prenant le cas de Johnny Hallyday, on remarque qu'il y a des publics qui ne se reconnaissaient pas ou beaucoup moins que d'autres dans cet engouement.

Cependant on ne peut pas parler de manipulation. Les médias font leur travail et en rajoutent parce qu'ils savent que ça va faire de l'audience, le pouvoir politique parce qu'il a besoin de moments de communion nationale et toute une partie de la société française communie également sans qu'elle soit obligée de le faire. Personne n'était obligé d'aller saluer une dernière fois Johnny et les fêtes qui ont eu lieu dans toutes les communes de France au moment de la victoire des Bleus étaient totalement spontanées.

Mais quelque part si on s'arrête sur cette liesse populaire au moment de la victoire des Bleus, en faisant un parallèle avec le carnaval au Brésil, nous nous trouvons dans une espèce de parenthèse enchantée où tout le monde se côtoie quelles que soient ses origines, sa classe sociale ou autres. Et l'on fait d'autant plus la fête et l'on est d'autant plus ému qu'on sait que cette étape-fête n'est que très éphémère et que très vite la réalité reprendra le dessus. Et la réalité, c'est celle d'un pays fragmenté.

Nous faisons d'autant plus la fête que l'on est plus ou moins averti de l'état de fragmentation de notre société. On peut renvoyer là-dessus avec un sondage qu'on avait réalisé au lendemain de la victoire des Bleus qui montrait qu'il n'y avait pas du tout le même état d'esprit en 2018 que celui qui prévalait en 1998. Il y a une espèce de pessimisme latent qui est beaucoup plus répandu aujourd'hui. Et pour tenter de conjurer tout cela, on s'empare de toute occasion qui se présente pour essayer de faire corps ensemble.

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