42% des Français considèrent qu’une sortie de la Grèce de l’euro serait une crise grave qui remettrait en cause la construction européenne<!-- --> | Atlantico.fr
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Athènes, le 9 juillet dernier
Athènes, le 9 juillet dernier
©Reuters

Sondage exclusif

Selon un sondage exclusif Ifop pour Atlantico, si 58% des Français jugent une sortie grecque de la zone euro comme une "crise passagère", ils sont 60% à redouter un effet domino sur d'autres pays. Un paradoxe qui illustre l'incertitude autour d'une situation totalement inédite, et un pays très divisé face à l'ampleur du phénomène.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : La première question du sondage demande aux interrogés de quantifier, selon leur opinion, le degré de gravité que constituerait une sortie grecque de la zone euro. Pour 58% il s'agit "d'une crise passagère qui ne remettrait pas en cause la construction européenne". Parmi ces derniers une large majorité de sympathisants républicains, contre seulement la moitié des sympathisants PS. Que révèle ce clivage gauche-droite ?

Jérôme Fourquet : D'abord, si on s'attarde un instant sur les résultats globaux, on s'aperçoit qu'une large majorité de Français, quasiment 6 sur 10, ne dramatisent pas cet enjeu qui focalise l'attention des médias et des politiques depuis une semaine avec l'idée que le Grexit serait un véritable désastre pour la Grèce mais aussi pour l'UE, en termes de symbole et de répercussions économiques pour la zone euro. Les citoyens apparaissent donc en décalage par rapport au sentiment dominant dans les médias et la classe politique, car ils relativisent majoritairement la gravité de cette crise : 42% pensent que cette sortie grecque constituerait une remise en cause du modèle européen.

Sur les résultats de la deuxième question, on voit que les Français, certes, relativisent, mais n'en sont pas aussi sûrs que cela. Ce qui caractérise le mieux leur état d'esprit aujourd'hui est plutôt une certaine incertitude quant aux conséquences éventuelles d'une telle issue. On voit ici qu'une majorité, bien que plutôt "molle", pense que si la Grèce venait à sortir, cela enclencherait une sorte de phénomènes de dominos, avec d'autres pays à l'économie fragilisée du Sud de l'Europe comme l'Espagne ou le Portugal. On peut donc y voir une contradiction entre le sentiment majoritaire de crise passagère et celui de l'imminence de l'effet domino. Ce qui se passe est qu'il y a une véritable incertitude car ce phénomène n'a pas de précédent dans l'histoire. Les conséquences d'un tel évènement font douter l'homme de la rue et suscite des contradictions.

La grille de lecture adoptée dépendra aussi de la sensibilité politique et de la sympathie partisane. On le voit très clairement chez l'électorat de droite, celui des Républicains principalement, dont la position est globalement proche de celle adoptée par les différents leaders de cette formation politique, en tout cas jusqu'à très récemment. Je pense notamment à Alain Juppé, à Nicolas Sarkozy même s'il a bougé depuis, et à d'autres responsables de l'opposition tels que Luc Chatel.

Il s'agissait d'une position sévère et très dure à l'égard de la Grèce, affirmant qu'il fallait d'abord préserver les intérêts de l'Europe et que la Grèce s'était mise elle-même en position de faiblesse, voire en situation de quitter la zone euro. Il y a donc une certaine cohérence entre l'opinion de l'électorat de droite, considérant quelque chose qui pourra être jugulé et qui ne concernera que la Grèce dans une situation qu'elle a provoqué elle-même, et celle de l'électorat socialiste, beaucoup plus partagé et donc beaucoup plus à l'écoute des prises de position de François Hollande ou de Manuel Valls qui ont comme crédo depuis la victoire du "non" au referendum grec l'absolue nécessité de tendre la main aux Grecs pour éviter un "Grexit". L'électorat socialiste, tout en étant partagé, est tout de même tenté par l'idée que la sortie grecque constituerait une crise très grave.

Sur la même question, plus étonnamment, on trouve un fort clivage hommes-femmes. Comment expliquer cela ?

On est sur quelque chose de relativement classique. On va avoir une population masculine qui va être plus sûre de son fait, et qui va relativiser les éventuelles difficultés à venir et qui fait montre, du moins en façade, de plus d'assurance et de sérénité. En face, on a une population féminine plus en proie au doute et plus encline à anticiper un développement grave. Dans autre enquête Ifop-Atlantico qu'on a pu faire, par exemple sur le recours à la force militaire sur les théâtres d'opération extérieure, à chaque fois la gent masculine était plus va-t-en-guerre. On est un peu dans le cliché mais on est forcé de constater que cela fonctionne de cette façon. La position masculine est plus dure, et demande à la Grèce de sortir si elle veut sortir, celle des femmes est plus sujette à l'inquiétude. L'écart n'est pas négligeable.

Si 58% des Français jugent qu'une sortie de la Grèce constituerait seulement une "crise passagère", ils sont tout de même 42% à considérer que celle-ci serait si grave qu'elle "remettrait en cause la construction européenne". C'est tout de même beaucoup, pourquoi ?

Encore une fois, cela est du au fait que nous sommes dans un moment historique. Le discours ambiant est quand même très alarmant. Un certain nombre de commentateurs, d'économistes, de politiques ont affirmé que la zone euro était en danger, qu'on était à deux doigts de la catastrophe alors que d'autres relativisent ce risque. Cette incertitude distille le doute, on ne sait pas s'il y aura effectivement un effet domino ou si la crise sera circonscrite à ce petit pays. Le climat est très tendu. Effectivement, il y a une part non-négligeable des Français (42%) qui pensent que nous sommes au bord du gouffre.

La deuxième question du sondage demande aux interrogés si, selon eux, un Grexit pourrait entraîner d'autres Etats économiquement faibles, comme l'Espagne et le Portugal à quitter la zone euro. 60% des Français disent oui, pourtant ils étaient quasiment le même nombre à juger l'évènement comme une crise passagère, n'est-ce pas paradoxal ?

L'incertitude peut être vue comme la source de ce paradoxe. Le fait de ne pas pouvoir s'appuyer sur des avis tranchés et convergents de la part des spécialistes, en ouvrant téléviseur ou poste de radio, on tombe sur plusieurs avis développés. On entend que la Grèce ne représente que 7% du PIB de l'UE, mais aussi qu'au contraire c'est un symbole à l'impact politique sous-estimé qui créera un choc terrible sur les marchés, que les taux d'emprunt de la dette publique flamberont, que cela créera un précédent avec un effet domino etc. Les deux points de vue s'affrontent et laissent une bonne partie de notre population perplexe qui ne trouve pas d'éclairage incontestable.

Le deuxième élément pouvant expliquer ce paradoxe est peut-être qu'une partie des personnes qui pensent qu'un effet domino est envisageable ne considérait pas la sortie à suivre d'un ou de deux autres pays de la zone euro comme étant de nature à remettre en cause la construction européenne. On part du fait que si la Grèce est imitée par d'autres, ce serait problématique, mais peut-être que certains de nos concitoyens pensent que tant qu'il reste les pays du Nord, les plus solides, la zone euro peut très bien se défaire de quelques économies fragilisées. Cela pourrait être une explication de ce paradoxe.

Au niveau des clivages politiques, c'est cohérent. L'électorat PS, le plus inquiet des conséquences d'un Grexit, est aussi celui où les personnes sont les plus nombreuses à redouter l'effet domino. A l'inverse, les sympathisants Républicains, qui relativisaient le plus les conséquences, sont également ceux qui craignent le moins une sortie de l'Espagne et du Portugal de la zone euro.

Concernant le jugement sur l'attitude de l'Allemagne dans la crise grecque,  le clivage est encore plus fort : les sympathisants de droite appuyant sa position tandis que ceux de gauche sont plus divisés. Qu'est-ce que cela révèle-t-il sur l'aspect "idéologique" du débat sur la Grèce ?

Aujourd'hui on met en scène un différend entre une Allemagne symbolisée par Angela Merkel, qui serait dure et intransigeante vis-à-vis de la Grèce, et une France qui, derrière François Hollande, serait plus compréhensive et de nature à vouloir tendre la main aux Grecs. Cependant, on s'aperçoit aujourd'hui que nos concitoyens penchent plutôt du côté de l'Allemagne, très majoritairement. C'était pourtant l'un des éléments qui faisaient le plus débat chez nous, le fait que ces politiques d'austérité étaient décidées depuis l'Allemagne, que cette potion amère n'était pas adaptée à la situation, que cela coûtait cher à la France en termes de croissance, de compétitivité et d'emploi etc. Ce discours a été très développé à gauche et à la gauche de la gauche. Dans le contexte actuelle, il est très intéressant de constater que quasiment les deux-tiers des Français trouvent l'attitude de l'Allemagne justifiée car la Grèce n'a pas respecté ses engagements. Il y a quelques jours Libération titrait sur la France "philhellène", pourtant on voit bien ici, concrètement, que ce n'est pas vrai, que la majorité de la population campe plutôt sur des positions dures, en rejetant plutôt la responsabilité sur la Grèce que sur l'Allemagne. L'idée d'une solidarité de "mauvais élève", d'une France qui se sentirait proche de la Grèce car elle n'arrive pas non plus à respecter ses engagements, n'a pas réellement de réalité dans les résultats du sondage.

62% des Français sont plutôt du côté de l'Allemagne dans ce bras de fer, avec bien évidemment des positions politiques très tranchées, 86% de l'électorat de droite est sur ce créneau-là. Cela colle aussi avec un certain nombre de déclaration des Républicains, qui soutiennent la ligne dure allemande. Ce qui est intéressant est que l'électorat socialiste est profondément divisé sur la question. Une courte majorité, 54%, a plutôt un discours de gauche, jugeant l'Allemagne trop instransigeante, conre 46%. Ce discours est déjà minoritaire dans le pays, mais en plus est contrebattu au sein même de l'électorat PS. Si on regarde en détails, les seuls qui tapent très fort sur l'Allemagne est l'électorat du Front de Gauche et celui des écologistes (64%). Au PS, le côté réformiste, social-libéral, est plutôt du côté de l'Allemagne, et l'aile traditionnelle plutôt pro-grecque. C'est un constat intéressant.

L'autre point d'intérêt, qui va à l'encontre de ce qu'on a pu entendre dans le discours politique, est ce qu'il se passe au Front national. L'électorat FN est aussi très massivement en faveur de l'Allemagne plutôt que de la Grèce, tout le discours sur la France à la remorque de l'Allemagne, la politique austéritaire mortifère, développé par Marine Le Pen et Florian Philippot est complétement inaudible dans l'électorat FN. Ce dernier pense qu'il ne faut rien laisser passer aux mauvais élèves. On comprend bien aussi le rétropédalage auquel on a assisté ces derniers jours de la part des leaders du Front. Si jamais la Grèce sortait de l'euro et que c'était le chaos dans le pays, cela serait la démonstration in vivo que la demande de sortie de l'euro prônée par Marine Le Pen conduit à un désastre économique et social, ainsi les élus FN rétropédalent au cas où. En plus de ce point, l'électorat frontiste n'est pas du tout en sympathie avec la population grecque et considère plutôt qu'elle doit rembourser l'argent prêté par la France.

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