Gestion à la petite semaine
400 à 500 millions d’euros pour les jeunes, et après ? Pourquoi ce énième plan "rustine" sera sans effets sur les problèmes réels auxquels la France devrait (enfin) s’attaquer
Lundi 11 avril, en réaction aux mobilisations étudiantes de ces dernières semaines contre la loi Travail, Manuel Valls a présenté 11 mesures visant à lutter contre la précarité de la jeunesse. Néanmoins, ce nouveau plan du gouvernement est palliatif et ne contient aucune politique visant à réformer en profondeur l'accès à l'emploi des jeunes.
Gilles Saint-Paul
Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.
Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.
Guillaume Sarlat
Polytechnicien et Inspecteur des Finances, Guillaume Sarlat, a fondé et dirige à Londres une société de conseil en stratégie aux entreprises.
Atlantico : Ce lundi 11 avril, le Premier ministre a présenté 11 mesures pour favoriser l’insertion des jeunes. Ce plan visait également à dissiper la colère des jeunes mobilisés contre le projet de loi travail et la précarité. Quelle est la philosophie générale des mesures présentées ?
Guillaume Sarlat : Il y a effectivement une philosophie générale dans ce plan : il est constitué pour l’essentiel de mesures de pouvoir d’achat direct.
Gilles Saint-Paul :La philosophie générale des mesures présentées est celle du socialisme à la française. Elle consiste à utiliser la fiscalité pour redistribuer de l’argent au profit de divers groupe sociaux, tout en grevant l’économie d’impôts et de réglementations qui maintiennent ces groupes dans une situation de dépendance par rapport aux dépenses publiques. L’essentiel étant de maintenir ces groupes dans cette dépendance et de les convaincre qu’il n’y a pas d’autre issue pour eux que de percevoir des allocations, par ailleurs médiocres, afin de s’assurer de leur loyauté sur le plan politique.
Tout comme le mouvement Nuit Debout semble s’être formé en "réaction", sans véritable revendication, le plan du gouvernement n'est-il pas un geste avant tout défensif, face à la mobilisation des jeunes ? Dans quelle mesure s'agit-il d'une simple réaction, qui a davantage pour objectif de traiter les conséquences d'une politique que les racines profondes du malaise d’une partie de la jeunesse ?
Guillaume Sarlat : C’est évident qu’il s’agit d’un geste défensif du gouvernement face à la mobilisation des jeunes. Sinon, pourquoi prendre ces mesures seulement maintenant, en toute fin de mandat ?
Gilles Saint-Paul : A l’approche des élections, le gouvernement distribue des rentes à son électorat. Il table sur le fait que la BCE maintiendra sa politique de "quantitative easing", ce qui lui permet d’émettre de la dette à un coût très faible. En conséquence, il n’a aucune incitation à résister aux groupes de pression, préférant utiliser l’argent public pour satisfaire ces factions. Il s’agit là d’un comportement rationnel de la part de politiciens professionnels. Telle est la logique de la reculade du gouvernement, qui ne s'inscrit pas dans la perspective d’améliorer le marché du travail des jeunes (si ces mesures étaient réellement bénéfiques pour l’emploi, on n’aurait pas attendu la contestation pour les prendre). Bien entendu, ces groupes de pression connaissant la situation, jugent le moment opportun pour aller à la soupe en manifestant. Il ne serait pas surprenant que dans les semaines qui viennent, d’autres factions se mobilisent, tablant sur la propension structurelle qu’a le gouvernement à leur céder. On peut penser aux agriculteurs, chauffeurs routiers, taxis, fonctionnaires, intermittents, etc.
L’une des mesures du plan prévoit que les titulaires d'un CAP, d'un bac pro, d'un BTS, d'un DUT, d'une licence, d'un master ou d'un diplôme d'ingénieur qui étaient boursiers pendant leurs études pourront demander la prolongation de leur bourse pour 4 mois maximum, en attendant de décrocher un emploi. Le coût de ce dispositif est estimé à 130 millions d’euros par an. A quel point cette mesure risque-t-elle d'être contre-productive, alors que le meilleur moyen de trouver un emploi est de commencer par un stage, un petit job ou un projet personnel ?
Guillaume Sarlat : On est toujours dans la logique de prise en charge financière du chômage en bout de chaîne, lorsque celui-ci survient. Ces 130 millions d’euros par an vont certes sans doute être versés à des personnes qui en ont besoin. Mais ce faisant l’Etat ne donne pas les bons signaux.
Gilles Saint-Paul : Cette mesure s’inscrit dans le credo socialiste, qui stipule d’une part que les questions d’incitation sont négligeables, et d’autre part que toute situation individuelle difficile se résout par de l’aide publique. Ainsi a-t-on vu s’entasser au fil des années des allocations de toutes sortes : RMI, CMU, RSA, API, AME, etc, ce qui sur le long terme a favorisé l’inactivité et n’a pas empêché les rues de se peupler de SDF. Mais on ne renonce pas à une logique qui perd. Les prolongations de bourses complètent les mesures de soutien pour les jeunes sans emploi et sans diplômes qui ont déjà été décidées, et l’on se dirige en fait vers un abaissement de la limite d’âge pour être éligible au RSA. Bien entendu, personne ne se demande pourquoi, historiquement, cette limite avait été fixée à 25 ans. C’est parce que l’on craignait les effets pervers qu’implique le fait d’offrir une garantie de ressources dès la fin des études. Cela risque de s’avérer tentant pour nombre de jeunes et de les préparer à une vie d’assistanat. De plus, de nombreux étudiants prendront avantage de cette mesure pour remettre à plus tard leur recherche d’emploi, ce qui est également dangereux pour eux.
A qui s'adresse en réalité ce plan d'un point de vue sociologique ? Sachant que les jeunes dont les parents ont des revenus élevés n'ont pas besoin d'aide. Ceux dont les parents ne peuvent pas du tout les aider sont contraints de travailler très vite. Dès lors, le gouvernement vise-t-il exclusivement une petite bourgeoisie où les parents peuvent aider un peu leurs enfants, mais pas assez pour que ceux-ci attendent des mois avant d'accepter un premier emploi ?
Guillaume Sarlat : Le phénomène social majeur de ces dernières années, c’est la baisse des revenus et du pouvoir d’achat de la classe moyenne. Il faut savoir que le revenu médian recule en France aujourd’hui.
Gilles Saint-Paul : Le gouvernement essaye de donner des os à ronger à sa clientèle, tout en limitant la casse. Les augmentations d’effectifs en BTS et IUT promises sont relativement modestes. Le mécanisme de garantie des loyers poursuit la socialisation du marché du logement initiée par la loi Duflot, avec selon moi des conséquences calamiteuses à long terme (émergence de comportements opportunistes et d’un important "trou" financier de la GUL). Enfin, le gouvernement promet d’accroître la taxation des CDD, mais d’une quantité qui reste à déterminer par les partenaires sociaux. Ces mesures reflètent la diversité de la coalition représentée par le PS : syndicats du secteur privé, petite bourgeoisie laïque, milieux de l’éducation nationale, secteur associatif des "quartiers", etc.
Au lieu de nous contenter de cette "politique de la rustine", quel exemple de pays développé pourrions-nous suivre, afin de lutter efficacement contre les causes de la précarité et du chômage des jeunes ? Comment s'y prennent ceux qui ont réussi à sortir de l'immobilisme et à réformer en profondeur ?
Guillaume Sarlat : J’ai décrit tout à l’heure le système des droits d’inscription limités dans l’enseignement supérieur et des prêts publics pour les étudiants au Royaume-Uni, qui me semblent former dans leur ensemble un bon dispositif.
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