37 milliards d'euros : mais pourquoi les JO de Sotchi ont-ils donc coûté plus cher que tous les autres avant eux ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le coût de la préparation des Jeux Olympiques de Sotchi atteint 37 milliards d'euros.
Le coût de la préparation des Jeux Olympiques de Sotchi atteint 37 milliards d'euros.
©Reuters

Pragmatisme russe

Un mois tout pile avant la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques d'hiver qui vont se tenir à Sotchi, de nombreuses questions restent sans réponse, notamment celles de savoir si les sommes allouées sont arrivées à bon port et si elles n'étaient pas surévaluées dès le départ.

Laurent  Vinatier

Laurent Vinatier

Laurent Vinatier est chercheur associé à l’institut Thomas More et consultant pour Emerging Actors Consulting. Spécialiste de la Russie et de l’ex-Union soviétique, il enseigne à Moscou, Genève et Dijon. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment sur la guerre en Tchétchénie et les affaires intérieures russes.

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Atlantico : La nouvelle route et le nouveau chemin de fer Krasnaya Polyana, la station de montagne qui accueillera les épreuves de ski et de snowboard lors des Jeux olympiques d'hiver de Sotchi du 7 au 23 février 2014, ont coûté l'équivalent de 6.7 milliards d'euros. En guise de comparaison, c'est trois fois plus que ce que la NASA a investi pour une nouvelle Mars Exploration Rover. Comment expliquer de façon rationnelle ce qui, dans la construction d'une route, a bien pu engendrer un tel coût ?

Laurent Vinatier: Ce qu'il faut voir – et c'est l'argument largement avancé par le comité olympique – c'est qu'en Russie, et notamment à Sotchi, il n'y avait aucune infrastructure digne de ce nom pour accueillir un tel événement sportif. Il a donc fallu tout construire depuis le début. Ce qu'il faut voir également, c'est qu'il y a des routes qui existaient auparavant et qu'il a fallu détruire en plus.

Ainsi, ce qui a couté cher est, d'une part, de retirer ce qu'il y avait avant et qui ne fonctionnait pas et, d'autre part, de construire quelque chose qui fonctionne, qui est moderne et qui ressemble à ce qui existe dans n'importe quel pays civilisé. De plus, le coût réside dans le fait que la Russie est un pays corrompu. Pour qu'une décision prise au sommet soit relayée, voire exécutée, il faut intéresser les parties. C'est une méthode de fonctionnement normale pour la Russie, liée à son histoire, à sa culture, à sa mentalité, à sa géographie…

Cela explique pourquoi on atteint des sommes astronomiques : il y avait des dépenses énormes à entreprendre, et ces dépenses ont été surestimées pour que chacun puisse se servir. Le vrai problème, c'est que tout doit d'habitude se faire dans une relative mesure, et que pour Sotchi, ça n'a manifestement pas été la cas. Il y a un niveau de corruption acceptable en Russie mais dans ce cas précis, les bornes ont été dépassées.

A plus grande échelle, le coût de la préparation des Jeux Olympiques de Sotchi atteint 37 milliards d'euros, dépassant largement le dernier record en date détenu par la Chine lors de la préparation des Jeux d'été de 2008, à hauteur de 29 milliards. Dmitry Kozak, vice-premier ministre russe en charge des JO de Sotchi, se défend en invoquant le fait que sur ces 37 milliards, seuls 4 étaient directement reliés à Jeux. Le reste serait imputé à l'infrastructure et au développement régional, travaux que l’État aurait effectué de toute façon. Que faut-il conclure d'une pareille information ?

Cette information est vraie en partie, mais elle est sans doute un peu déséquilibrée. Il est vrai que la région avait besoin de nouvelles infrastructures mais il est vrai aussi que, à cause des JO de Sotchi, toutes ces nouvelles constructions ont pris place autour de Sotchi.

Cette information souligne donc la mauvaise foi de la part de Dmitry Kozak car si on envisageait effectivement un développement régional, il aurait fallu qu'il y ait des constructions sur toute la région, y compris en Tchétchénie et au Daguestan, c’est-à-dire beaucoup plus à l'Est. On peut conclure que le vice-premier ministre russe en charge des JO de Sotchi a déséquilibré le chiffre du budget pour le développement régional en faveur de la région alors qu'en fait les travaux ont été fait en faveur de Sotchi, manifestement.

Igor Nikolaev, analyste russe, témoigne que tout le monde savait que les Jeux de Sotchi étaient une affaire d'Etat d'une grande importance personnelle pour le Président russe, Vladimir Poutine. Il  atteste de surcroît que "les Jeux olympiques sont quelque chose de sacré, ce qui signifie que les responsables de l'organisation des Jeux n'ont pas hésité à demander davantage d'argent". La fête des JO est-elle d’ores et déjà entachée par des affaires de corruption ? A quels niveaux ?

On l'a dit, le problème pour la corruption en rapport avec Sotchi, c'est le niveau. En l'occurrence, les dépenses ont dépassé les bornes. Vladimir Poutine a pris des mesures contre ces dépenses excessives. En février, il a démis de ses fonctions Akhmed Bilalov, qui était le vice-directeur du comité olympique russe en charge des travaux. Ce dernier a fui en Allemagne dès mars. En d'autres termes, la Russie a mis en place ce qu'elle sait faire le mieux : mettre en prison un fonctionnaire qui a outrepassé ses fonctions (nous pouvons prendre l'exemple de Mikhaïl Khodorkovski même s'il s'agit d'un autre domaine) ou le faire fuir à l'étranger (comme Akhmed Bilalov).

Ce qui est intéressant à voir est que les oligarques russes, parmi lesquels Vladimir Potanine et Oleg Deripaska, ont été forcé d'investir. Ainsi, au-delà de la corruption, il y a le fait que l'Etat Russe a forcé des entrepreneurs privés à investir pour la construction des infrastructures autour de Sotchi, ce qui n'était pas rentable pour eux.

Maintenant, le grand débat qui stagne et qui est intéressant, est de savoir comment ces personnalités russes privées qui ont été forcés d'investir par Poutine – pour éviter à l’État d'investir trop d'argent – vont pouvoir obtenir un retour sur investissement. Il est question qu'ils soient défiscalisés dans la région de Krasnodar...

Propos recueillis par Marianne Murat

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