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35 ans de la révolution islamique : quel bilan pour l'Iran ?
©Reuters

Succès ou échec ?

L'Iran fêtait ce mardi les trente-cinq ans de la révolution islamique. Ayant eu des effets extrêmement dommageables sur l'économie du pays, cette révolution n'est pas parvenue non plus à s'exporter. Au contraire, elle est érigée en contre-modèle par les révolutions arabes.

Farhad Khosrokhavar

Farhad Khosrokhavar

Farhad Khosrokhavar est directeur d'études à l'EHESS et chercheur au Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (Cadis, EHESS-CNRS). Il a publié de nombreux ouvrages dont La Radicalisation (Maison des sciences de l'homme, 2014), Avoir vingt ans au pays des ayatollahs, avec Amir Nikpey (Robert Laffont, 2009), Quand Al-Qaïda parle : témoignages derrière les barreaux (Grasset, 2006), et L'Islam dans les prisons (Balland, 2004).

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Atlantico: Dans quelle mesure les Iraniens ont-ils intégré les principes de la révolution islamique ?

Farhad Khosrokhavar : Cette question convient d'être posée au regard du principe de génération. La troisième génération, née après la révolution islamique, commence à s'impatienter suite aux restrictions imposées par le régime, que se soit aux niveaux religieux ou économique, ou sur le plan des libertés individuelles. Les jeunes de la troisième génération pensent en effet qu'ils ont droit aux mêmes types de libertés que dans les autres sociétés du monde.

On assiste donc à une sorte de remise en cause de régime actuel, qui se traduit par l'apparition de mouvements sociaux à l'instar du mouvement vert de 2009 qui a vu des millions de jeunes défiler dans la rue contre l'élection d'Ahmadinedjad.

Cela étant, la révolution islamique a constitué une crise majeure en 1979, et les sociétés ne font pas plusieurs révolutions les unes à la suite des autres. C'est pour cette raison que la grande partie de la société iranienne ne veut pas avoir à (re)subir une crise majeure suite à l'instauration de changements profonds. Les Iraniens préfèrent trouver un modus operandi avec le régime plutôt que de tenter de le renverser. Cependant, le fait que le régime perdure ne signifie pas que la population reconnaît ce régime comme légitime. Cette pérennité signifie plutôt qu'une grande partie de la société ne souhaite pas de rupture politique de même nature que celle qui a aboutit à la révolution islamique de 1979. Tout le monde sait que le prix à payer est bien trop élevé. On pourrait donc parler, de la part des Iraniens, d'un conservatisme instinctif profond contre des ruptures profondes. Les Iraniens préfèrent désormais la mise en œuvre de réformes à l'intérieur du pouvoir plutôt qu'une rupture comme celle mise en place par la révolution islamique.

Quel impact a eu la révolution islamique sur l'économie iranienne ?

L'impact négatif a été énorme. Cette révolution islamique est à l'origine d'une mise en quarantaine de l'Iran. On a pu le constater notamment lors de la guerre Iran-Iraq lancée par Saddam Hussein, ce dernier ayant été soutenu par l'ensemble des puissances occidentales, y compris l'URSS. La révolution islamique a suscité un sentiment de rupture dans la région au regard de son objectif d'exportation de la révolution. L'économie iranienne a significativement souffert de cette mise en quarantaine, alors qu'il s'agissait d'une des économies les plus avancées de la région avant les évènements de 1979.

La période correspondant à la présidence de Khatami a été marquée par une tentative d'ouverture au monde, avec une amélioration relative de l'économie iranienne en dépit des restrictions maintenues. Cette période n'aura malheureusement duré que de 1997 à 2005.

L'élection d'Ahmadinedjad qui a suivie a vraiment été une catastrophe sur le plan économique et politique pour l'Iran qui a été mis au banc de toutes les nations, n'entretenant des relations qu'avec la Syrie, une partie du Hezbollah libanais ou bien le Nicaragua. Cette période, la plus sombre de l'histoire de l'Iran, a été caractérisée par une violente répression à l'égard de toutes les formes de dissidence qu'il s'agisse des femmes, des intellectuels, des minorités religieuses, etc.

Avec la récente arrivée au pouvoir de Rohani, on voit bien qu'il y a un début d'éclairci avec la tentative de mettre fin au conflit nucléaire et de favoriser l'ouverture de l'économie iranienne.

La révolution islamique a-t-elle contribué au renforcement de la position de l'Iran au Moyen-Orient, ou au contraire à son affaiblissement ?

Il convient tout d'abord de rappeler que cette révolution islamique est la seule qui soit survenue dans le monde jusqu'à présent. Il y a eu au Soudan un coup d’État islamiste, ailleurs d'autres tentatives mais aucune n'a aboutit comme la révolution islamique.

L'Iran est toujours dans une situation d'hégémonie, en compétition avec l’Égypte à l'époque du Shah mais aussi avec l'Arabie-Saoudite. La position régionale de l'Iran à l'heure actuelle est le reflet de l'intervention américaine. Les Etats-Unis sont parvenus à éliminer les deux adversaires plus redoutables de l'Iran à savoir l’Irak de Saddam Hussein et l'Afghanistan. Cela a donc favorisé les visées hégémoniques de l'Iran, renforcées par l'annonce du retrait des troupes américaines.

Sous la présidence d'Ahmadinedjad, l'Iran a eu tendance à se montrer en rupture avec les autres pays de la région, et notamment avec l'Arabie-Saoudite dont la relation a atteint son paroxysme en matière de dégradation. Le pays tente désormais de s'ouvrir aux régimes en place dans les pays du Golfe. L'amélioration des relations de l'Iran avec les autres pays de la région est liée au règlement du dossier nucléaire.

Actuellement, l'influence de l'Iran s'exerce directement sur la Syrie puisque l'Iran soutient le régime de Bashar al-Assad, mais également sur le Liban à travers son important soutien au Hezbollah. L'Iran exerce également un certain pouvoir vis-à-vis du Hamas palestinien que l'Iran soutient financièrement.  

Trente-cinq ans après la révolution, quel bilan peut-on tirer au sujet de son exportation ?

Le bilan est un fiasco total. Rien ne présage d'une révolution islamique dans quelque coin du Moyen-Orient ou d'Afrique du Nord, bien au contraire. On pourrait même dire que toute la région, avec les révolutions arabes, s'inscrit dans un contre-modèle à celui de la révolution islamique de 1979. Les révolutions arabes ont ouvert une nouvelle aire, mais qui était déjà présent en Iran à travers le mouvement vert de 2009.

Dans quelle mesure la révolution islamique a-t-elle dégradé les relations de l'Iran avec l'Occident ? Cette opposition fait-elle partie des principales caractéristiques de la révolution ?

Il est évident que la révolution islamique a constitué une rupture très nette des relations entre l'Iran et l'Occident. Il y a eu quelques tentatives d'ouverture sous Khatami mais dans l'ensemble, un certain nombre de points posent des problèmes majeurs : la relation avec Israël, la Syrie, le Hezbollah, etc. Sur ces points-là, l'Iran a été à l'origine d'une tension majeure avec bon nombre de pays occidentaux.

La révolution islamique a indéniablement bouleversé la carte géopolitique de la région. Sans cette révolution, l'URSS n'aurait très vraisemblablement pas envahi l'Afghanistan en décembre 1979. Il n'y aurait pas eu également, la même année, l'occupation de la grande mosquée al-Haram en Arabie-Saoudite par un groupe d'islamistes radicaux réprimés par la suite par le régime.

L'opposition à l'Occident ne fait partie de l'ADN de la révolution islamique. On a pu le constater pendant les années Ratani. Dans sa nature, au début, la révolution islamique s'est d'abord voulue être une révolution tiers-mondiste, l'Occident étant alors perçu comme le chantre de l'impérialisme, du colonialisme, etc. Ceux qui ont fait la révolution cumulaient l'islam et l'anti-impérialisme sous une forme qui s'est ensuite répandue dans la région.

Propos recueillis par Thomas Sila

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