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26 février 2015 : une date historique pour la neutralité du web, oui, la fin de l’histoire, non
©REUTERS/Heino Kalis

Touche pas à mon net

La neutralité du net, un sujet qui fait débat depuis déjà des années aux Etats-Unis. En un mot, il s'agit de l'accès direct et sans limite au web du moment que l'on a payé son abonnement au fournisseur d'accès, comme lorsqu'on ouvre le robinet d'eau. Un réseau sans péage voulu par les utilisateurs et les géants du web, auxquels l'agence des télécommunications américaine a donné raison.

Bertrand Duperrin

Bertrand Duperrin

Bertrand Duperrin est directeur au sein du cabinet Nextmodernity et blogeur. Il est un des spécialistes français de l’évolution conjointe des modes de travail et des technologies.

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Atlantico : Jeudi dernier, après de longs mois de négociations, l'agence des télécommunications américaines, la Federal Communications Commission, a rendu sa décision concernant la neutralité du net. Verdict : l'adoption par la FCC d'un cadre réglementaire qui impose une parfaite neutralité de l'accès à la bande passante afin de bannir "les priorités payantes ainsi que le blocage et le bridage de tout contenu ou service légal". Une décision qui semble profiter aux utilisateurs du réseau. Qu'en est-il réellement ?

Bertrand Duperrin : D’un point de vue très pratique pour le client cela veut dire que son opérateur ne peut favoriser un émetteur de contenu ou fournisseur de service par rapport à un autre. De manière très terre à terre cela veut dire qu’il ne peut vous imposer des temps de chargement rédhibitoires lorsque vous regardez, par exemple, Dailymotion alors que l’accès à Youtube se fait à la vitesse de la lumière. Pour le client cela signifie que peu importe ce qu’il consomme, son opérateur lui fournira la même qualité d’accès.

Le consommateur en sort donc gagnant ainsi que les fournisseurs de contenus. Car l’autre face des pratiques que l’on vise à interdire est de dire, pour reprendre notre exemple, à Dailymotion "si vous voulez être que vos contenus soient diffusés à la même vitesse ou plus vite que ceux de Youtube il va falloir payer".

Les principaux ennemis de la neutralité du net, les fournisseurs d'accès internet, sont montés au créneau, n'excluant pas le recours en justice contre cette décision. Verizon s'est même fendu d'un communiqué en morse, dénonçant une décision des "années 30". En quoi la décision de la FCC représente-t-elle un camouflet pour les FAI ?

Bertrand Duperrin : Les fournisseurs d’accès à internet (mais pas seulement eux, les opérateurs mobiles également, même si ce sont les mêmes) ont investi et continuent à investir lourdement dans l’infrastructure. On consomme de plus en plus de donnée, dans des formats de plus en plus riches (vidéo), à une vitesse que l’on veut de plus en plus rapide. Bien sur ils ne sont pas à plaindre mais ne peuvent que constater une chose : ils ont créé de nouvelles autoroutes d'un business nouveau et ils ne touchent qu’une infime partie de la manne que ce business génère. Ils se contentent du prix des abonnements alors que la valeur du marché est captée par Amazon, Google, Facebook, Apple, Netflix et j’en passe. Condamnés à investir sans cesse alors que le rendement de cet investissement stagne (il est difficile d’augmenter les prix des abonnements) ils doivent trouver d’autres sources de revenus, proposer un supplément de valeur dont ils tireraient profit.

Faire payer l’émetteur ou le récepteur pour une meilleure expérience en ligne est tout à fait dans cette ligne. A défaut d’innover et de réinvestir le terrain de l’expérience client qu’on s’est fait voler à force de l’avoir négliger, le premier réflexe est de trouver un moyen de taxer la valeur des autres.

Dans cette mesure, sans dire qu’il s’agit d’un camouflet, la FCC empêche les opérateurs de mettre en œuvre la stratégie la plus simple et la plus évidente pour eux. Par contre le coup doit être dur pour leurs lobbyistes. Mais la partie n’est pas encore jouée : il faut s’attendre à de nombreux recours de la part d’une industrie puissante qui n’a désormais plus rien à perdre.

Les tenants de la neutralité du net s'opposent à tout type de barrage sur internet, qui doit rester un droit une fois qu'on paye son accès, comme l'eau ou le gaz.. Contrairement aux FAI. Dans ce débat, y a-t-il deux visions fondamentalement différentes d'internet qui s'affrontent ?

Bertrand Duperrin : C’est ce qu’on vient de voir. Il y a la vision consommateur qui s’oppose à la vision de celui qui a construit l’infrastructure. A un autre niveau il y a une vision quasi philosophique du rôle du net dans notre société qui s’oppose à une vision purement mercantile. Si on considère l’accès égal à internet comme un droit universel l’argument économique ne pourra certainement plus passer. Maintenant l’avenir nous dira si cela va, à long terme, sérieusement ralentir l’investissement dans l’infrastructure et l’innovation de la part des opérateurs ou si on va continuer sur le même rythme.

Face aux lobbys des télécommunications, celui, très puissant des géants du web (Amazon, Etsy, Google ...) qui ont intérêt à préserver la neutralité du net. Quel a été leur rôle ?

Bertrand Duperrin : Pour eux peu importe l’opérateur, ils veulent le meilleur accès possible au client et pour le client. Dans ce contexte être favorisé par les uns et bridé par les autres les coupe d’une part du marché. Leur intérêt à eux, pour le coup, c’est la meilleure qualité pour tout le monde. Ils ont été les premiers bénéficiaires de ce qu’ont construit les telcos et n’ont aucune envie que l’eldorado s’arrête.

Il semble que, contrairement aux dernières années, ces géants du web tel Google, ont été moins présents dans le débat ces derniers temps. Ils semblent avoir gardé le silence. Peut-on expliquer ce changement soudain d'attitude ?

Bertrand Duperrin : Je n’en suis pas si sur. Ils ont surement été très actifs en coulisses. Mais comme de nombreux acteurs de "second rang" ont pris la parole en public cela leur a évité de se surexposer ce qui aurait peut être fini par leur nuire car si on a envie de voir, par exemple, Netflix grandir, il est difficile d’avoir pitié de la situation d’un "GAFA" (Google, Apple, Facebook, Amazon). Les internautes se sont également beaucoup mobilisés, Obama a pris parti. Dans ce contexte, sachant qu’ils avaient mené le combat depuis le début, peut être ont ils pris un peu de recul médiatique. Mais nul doute qu’ils se sont investis dans le dossier.

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