2023, l’année où la démocratie ne s’est plus montrée capable de préserver le contrat social<!-- --> | Atlantico.fr
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La Première ministre Elisabeth Borne et le chef de l'Etat Emmanuel Macron lors d'une cérémonie officielle.
La Première ministre Elisabeth Borne et le chef de l'Etat Emmanuel Macron lors d'une cérémonie officielle.
©GONZALO FUENTES / POOL / AFP

Rupture éruptive

La crise démocratique que traverse la France a connu tout au long de 2023 des terrains d'expansion dans un contexte institutionnel sans majorité à l'Assemblée.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Il suffit de scruter l'année 2023 pour constater qu'elle condense en les amplifiant toutes les crises qui s'accumulent depuis des années, voire des décennies. Tout au plus l'année qui s'achève peut-elle être perçue comme une montée en tension, voire le prologue à ce phénomène bien français que constitue la rupture éruptive, laquelle permet au gré de grandes séquences historiques de purger nombre de problèmes non résolues et dont le dépassement ne trouve son issue que dans une explosion socio-politique.

L'année a été de facto caractérisée par l'exacerbation de cinq crises : la crise sociale avec l'opposition massive à la réforme des retraites, la crise démocratique dont cette même réforme a illustré la teneur, la crise de l'autorité entre émeutes urbaines et hausse de la délinquance, la crise de la cohésion nationale avec l'accroissement des fragmentations communautaires et la mise à l'épreuve du modèle français par le séparatisme islamiste, la crise diplomatique de la France dans le monde avec entre autres cette humiliation africaine qu'a constitué le retrait du Niger ou encore ces changements de pied successifs qui ont caractérisé la position française depuis l'attaque terroriste du Hamas le 7 Octobre contre Israël.

Prises et mises bout à bout, ces observations corroborent l'idée d'un dérèglement systémique de la démocratie française qui n'est plus en mesure de préserver le contrat social à partir duquel elle s'est reconstruite après 1945, d'assurer la cohésion entre gouvernants et gouvernés telle que celle-ci s'est rebâtie depuis le retour du général de Gaulle en 1958, de maintenir correctement les fonctions régaliennes d'un vieil Etat multiséculaire, de garantir l'affectio societatis à l'origine du modèle national théorisé et mis en œuvre sous la III ème Republique, et de projeter enfin la voix de la France dans le monde à la proportion de son histoire. Cette crise spectrale aura trouvé tout au long de 2023 ses terrains d'expansion dans un contexte institutionnel sans majorité à l'Assemblée, et où la lettre de la Constitution usée à l'extrême par l'exécutif en détourne toujours plus l'esprit insufflé par ses pères fondateurs. Le 49 alinéa 3 banalisé banalise toujours plus un état d'exception qui du point de vue démocratique ne dit pas son nom mais qui reflète l'impossibilité d'articuler le pouvoir au fait majoritaire. De facto c'est la plus forte minorité qui gouverne mais elle n'en demeure pas moins minoritaire. D'où ce sentiment général qui prospère de manière diffuse et préoccupante d'une démocratie captive aux mains d'un pouvoir oligarchique. La France dirigeante ne paraît plus en miroir avec la France qu'elle dirige, elle semble ne plus connaître la France héritée et vécue; la République n'est plus qu'une idée invoquée, invitée, convoquée artificiellement dans l'ordre du discursif mais évacuée en pratique par l'éviction de tout usage de la souveraineté populaire; l'Etat-nation, point d'équilibre entre nos libertés collectives et individuelles, est un décor vidé de sa substance, nonobstant une montée en puissance de sa demande dans l'opinion au moment où l'UE à la veille du renouvellement de son Parlement en Europe tente d'accélérer sa course au fédéralisme et à l'élargissement : avec d'une part le vote par le Parlement européen du rapport Verhofstadt visant à réviser les traités européens, notamment en supprimant la règle de l'unanimité; avec d'autre part la volonté d'ouvrir les portes européennes à l'Ukraine et à la Moldavie...

Du fusain de 2023, il faut ainsi  surtout retenir un épaississement des traits qui dominent depuis plusieurs années et qui travaillent les sociétés démocratiques. A cette constante en développement se greffe néanmoins un facteur en émergence, celui en France de la mise en tension du bloc hégémonique dont Emmanuel Macron est le représentant au travers du parti présidentiel. La crise des retraites a vu la deuxième gauche se désolidariser du macronisme dont elle participait de facto, le débat sur l'immigration a de son coté laissé entrevoir des lignes de fractures au sein des soutiens parlementaires et ministériels de l'exécutif. Le Chef de l'Etat pourra exciper en façade des succès parlementaires ; il ne peut dissimuler le prix corrosif pour la suite du quinquennat de ces victoires à la Pyrrhus...

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