2023 : Emmanuel Macron face au syndrome de l’Homme raide<!-- --> | Atlantico.fr
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Le syndrome de l’homme raide se caractérise par un blocage prolongé de la personnalité qui en est atteinte
Le syndrome de l’homme raide se caractérise par un blocage prolongé de la personnalité qui en est atteinte
©RTL

Syndrome de l’homme raide

La chanteuse canadienne Céline Dion a récemment informé ses « followers » qu’elle souffre d’une pathologie neurologique extrêmement rare, désignée en Français par « Syndrome de l’homme raide ». Une maladie reprise de nombreuses fois en politique.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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La chanteuse canadienne Céline Dion a, récemment, dans un message très émouvant, informé ses « followers » qu’elle souffre d’une pathologie neurologique extrêmement rare. Elle a désigné cette maladie par son nom scientifique, en anglais, « Stiff-Person Syndrom ». Les spécialistes la nomment aussi « Syndrome de Moersch et Woltmann ». En français on la connait sous le vocable de « Syndrome de l’homme raide » ou « Syndrome de la personne-raide » (SPR). Les conséquences prévisibles de ce syndrome sont tragiques et, en l’état actuel des connaissances scientifiques, ce trouble neurologique est considéré comme incurable.

En politique, de manière métaphorique et imagée, le SPR est une maladie bien plus répandue que l’on croit. Elle se caractérise par un blocage prolongé de la personnalité qui en est atteinte. Une sorte de paralysie qui se traduit par une posture raide et figée dénotant l’amorce d’un blocage assez incompatible avec la possibilité d’exercer, convenablement, ses responsabilités. Jean-Luc Mélenchon, par exemple, souffre manifestement d’une tel « mal politique ». Circonstance aggravante : le « variant » LFI est sans doute contagieux, si l’on en croit les critiques internes que l’on a entendu chez quelques figures historiques du mouvement dûment « purgées » des instances dirigeantes « Insoumises », ces dernières semaines.

Dans les systèmes politiques autoritaires, le SPR n’est même plus considéré comme pathologique. Il est consubstantiel au régime. On en voit qui sont totalement figés dans une posture définitivement martiale et raidie. À Téhéran, à Ankara, à Moscou évidemment. En octobre 2022, à Pékin on a même vu en direct le numéro 1 actuel être tellement raide qu’il ne s’est même pas retourné quand son prédécesseur est venu lui parler directement avant d’être prestement « évacué » de la tribune du XXème congrès du PCC. À Alger ou à Damas, les hiérarques et autres dictateurs sont accrochés au garde-corps de leur pupitre. Comme ils sont aussi raides que paranoïaques ils doivent changer plus souvent de garde du corps que de pupitre… Ils devraient se méfier. Un tyrannicide aura la (bonne) idée un jour de scier presque entièrement la barre à laquelle ils s’accrochent désespérément. Ils tomberont de leur tribune (et de leur trône) croyant y trouver soutien et protection. Voilà pour les plus raides des dirigeants de la planète.

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« Craizy Donald » (Trump), pendant ses quatre années à la Maison Blanche, était naturellement raide dans sa démarche et sur les photos. Sans doute voulait-il dominer par sa haute stature ses interlocuteurs et voulait-il bomber le torse comme le font es boxeurs montant sur le ring. Posture virile et puérile. Pas besoin d’être un « musclor » pour avoir du charisme politique, pas nécessaire de singer Mussolini pour être un leader, pas la peine de gonfler ses poumons au risque de se dégonfler par la suite. Même quand il s’agit de tenter un minable coup d’État en janvier 2021 en encourageant ses « fans » à prendre d’assaut le Capitole, la raideur du langage du corps n’est pas suffisante pour échapper, on l’espère, même à un simulacre de Roche Tarpéïenne.

Emmanuel Macron est-il atteint du Syndrome de l’homme raide ? En politique s’entend. Car il n’est pas question de traiter ici des symptômes d’une maladie terriblement invalidante et tragique. Cela va sans dire, mais il est préférable de le rappeler : il faut espérer que le Président français reste à l’abri d’une telle pathologie. Pour lui-même, ses proches et les Français.

Donc, au sens métaphorique, au sens figuré, puisque c’est le seul qui nous intéresse, Emmanuel Macron a-t-il déjà montré les signes cliniques d’un raidissement politique inquiétant qui seraient les prémices d’une attitude de plus en plus paralysée et figée ? Par certains indices on peut répondre par l’affirmative à cette question.

Dès le 13 juillet 2017, moins de deux mois après sa prise de fonction, le Président Macron montre une raideur toute martiale qui fait tomber la foudre sur le « paratonnerre » présent au sommet de l’armée française : le CEMA (Chef d’Etat-Major des Armées), homme de grande valeur, chef apprécié de ses subordonnés et dont l’honnêteté et la loyauté sont indiscutables. La raideur présidentielle est sans appel. Et le CEMA choisit la seule option qu’un homme d’honneur pouvait retenir, en temps de paix : démissionner. La posture du Président « raide dans ses brodequins militaires » est d’autant plus étonnante, avec le recul, que le général de Villiers n’a fait que demander en juillet 2017 ce qui sera octroyé aux armées françaises deux ans plus tard et surtout à partir de 2021 avec la probabilité d’un conflit à haute intensité en Europe. Scénario avéré à partir du 24 février 2022 avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Elle est d’autant plus saugrenue cette « raideur macronienne », par ailleurs, qu’il y a belle lurette que les officiers supérieurs français toutes armes confondues ne sont plus des « culottes de peau » ineptes, juchés sur leur destrier blanc et surplombant tout le monde de leur moustache altière, façon maréchaux de la Grande guerre défilant sur les Champs-Élysées, le 11 novembre 1919. Il fallait bien peu connaitre le milieu des armées pour se croire obligé de taper du poing sur la table en rappelant qu’il était le « chef ». Ce que personne, après deux mois de mandat présidentiel n’ignorait d’ailleurs.

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Aujourd’hui la raideur toute macronienne à l’égard des armées s’est transformée en fraternité des armes. « Band of Brothers » a remplacé « Captain America ». On ne s’en plaindra pas question intérêt du scénario et mise en scène. On remarquera, en le regrettant, le comportement des « enfants » nés après la disparition du Service national. Ils n’ont connu de la chose militaire que les « war games vidéo », même pas les petits soldats de plombs. Pas étonnants qu’ils imitent en la caricaturant la véritable autorité et qu’ils limitent en la brisant la vérité du commandement.

« L’homme raide Emmanuel Macron », les Français l’ont retrouvé à plusieurs reprises lors de son premier quinquennat. « Qu’ils viennent me chercher ! » lors de « l’Affaire Benalla », séquence ridicule, pour les macronistes et leurs différents opposants ou comment faire d’une « affaire d’été » une « pseudo-affaire d’État ». Ersatz de scandale mais réponse tout aussi inepte du PR… Un rejet sans concession des premières manifestations des « Gilets Jaunes » pour finir dans un « grand débat national » très réussi pour celui qui ne voulait pas « céder sous les coups des émeutiers » mais qui a réussi à calmer le jeu en sortant d’une posture raidie pour « aller au contact » et « fendre l’armure » au fil de remarquables « seul en scène » qui lui donnaient l’occasion de déployer tout son art théâtral. « Nous sommes en guerre » répété près de dix fois dans une de ses premières interventions télévisées lors de la crise de la Covid-19, le 16 mars 2020 au soir pour annoncer le premier confinement et la « fermeture de la maison France » à partir du lendemain midi. Il fallait frapper les esprits en solennité. Au risque de surjouer le rôle du chef. Et faire du Churchill sans le « Blitz » là où il aurait été plus juste d’être « Mutti Merkel » : protectrice et efficace.

On pourrait continuer ainsi et multiplier les exemples. Emmanuel Macron adopte volontiers une posture martiale. Sans doute y trouve-t-il matière à incarner ainsi la fonction présidentielle. On refusera d’y voir aussi, même si c’est tentant, une façon de se différencier absolument de son prédécesseur. Celui-ci voulait être « normal » dans son costume présidentiel. Dès son premier déplacement officiel, le jour de son investiture, il a, au sens propre, rincé son « uniforme » de chef de l’État. Il lui fut donné, hélas pour lui, de revivre plusieurs fois sous son quinquennat l’équivalent de cette « douche originelle ». On se souvient ainsi de sa visite à l’ile de Sein. François Hollande était plus rond que raide. Il lui en aura coûté beaucoup. En tous les cas bien au-delà de son dû car quand vinrent la mort, la tragédie et le chagrin, en janvier et en novembre 2015 ou en juillet 2016, il sut être droit dans la tourmente, courageux dans la tempête et grand à la tête d’un pays au bord de l’éclatement. Emmanuel Macron passe, non seulement, entre les gouttes mais il veut, par son attitude incarner la solidité et la force. Sauf qu’il en va en politique comme du reste : à trop vouloir montrer on ne démontre plus grand-chose.

Confronté aux symptômes de l’«Homme (politique) raide » pendant son premier quinquennat, Emmanuel Macron entame un second mandat dont nul n’ignore que, en bon français, il ne sera pas suivi d’un troisième. Les circonstances politiques nées des dernières élections législatives, cette majorité difficilement trouvable à l’Assemblée, font peser une menace forte sur le Président. La raideur pourrait risque de se transformer en paralysie. La pose jupitérienne se transformerait alors en statue de bronze.

Bien sûr, les images voire les faits eux-mêmes s’évertuent à montrer un Emmanuel Macron désireux de convaincre les Français qu’il est encore l’homme de la disruption, la voix de la France dans le monde, le chantre d’une Europe forte pour laquelle il se dépense sans compter. Mais est-il entendu dans le concert polyphonique de ce monde multipolaire ? Qu’en est-il de la politique africaine de la France ? De sa recherche scientifique ? De l’état de ses transports collectifs ? De l’engagement du pays contre le réchauffement climatique ? De sa souveraineté maritime ? De la situation de sa santé publique ou privée ? Du rang de l’enseignement primaire et secondaire dans le classement PISA ? Et que peut le président de la République, en dehors de quelques exhortations sincères pour que les entreprises de la BITD (Base Industrielle et Technologique de Défense) accélèrent leur production d’armes et de munitions face aux périls qui montent à l’est de l’Europe ? Que peut-il faire pour que l’Europe conserve sa souveraineté d’accès à l’espace ? On pourrait multiplier ainsi les questions.

C’est ici que l’on voit que la fierté du jeune héros politique de 2017 continue de s’abraser aux dures réalités des faits. La France, puissance moyenne, n’a plus les moyens d’être à la hauteur des ambitions de celui qui la dirige. De ce décalage nait une contradiction singulière. Celui qui se voulait droit en ambitionnant d’être plus grand, comme on se dresse sur la pointe de ses chaussures, est confronté à l’état de l’État qu’il préside. Il n’est pas étonnant que la sidération soit au rendez-vous. C’est bien la crainte que l’on peut nourrir pour 2023, mais encore pour les années à venir, jusqu’en 2027 : que plus rien de change parce que tout, à l’image du président de la République, sera frappé du mal de l’immobilité.

La surprise peut venir de la volonté d’Emmanuel Macron de se sortir de ce piège. Une dissolution de l’Assemblée nationale sera-t-elle un des moyens pour retrouver la mobilité, et tout autant, une « raideur dynamique » à la tête d’un gouvernement en mouvement ? Faut-il en passer par un vrai choc institutionnel sous la forme d’une réforme à la hussarde comparable à celle que le général de Gaulle réussit en octobre 1962 avec le changement de mode de scrutin du président de la République ou à celle par laquelle il se « suicida politiquement » au printemps 1969 avec le référendum sur la décentralisation et la participation ? Dans tous les cas, recours à l’article 12 (dissolution) ; article 11 au lieu de l’article 89 (changement institutionnel d’importance) on voit bien, combien ces opérations sont à haut risque pour celui qui les manipule… Ce TNT politique, en imaginant qu’il puisse être utilisé, (pour une révision constitutionnelle comparable à celle d’octobre 1962 il faudra « jouer » avec un Conseil constitutionnel autrement plus indépendant que son lointain prédécesseur qui n’avait que quatre ans d’âge et s’était, littéralement, « couché »…) peut très bien « sauter » à la tête de celui qui appui sur la poignée du détonateur. Ce n’est pas un hasard si, consécutivement à la « dissolution manquée » de 1997, cela fait un quart de siècle que l’article 12 n’a pas été actionné alors que cet article avait connu quatre emplois entre 1962 et 1988, en 16 ans donc.

En tous les cas, il est une certitude : pour présider un pays on peut être raide dans les embruns, ce qui ne veut pas dire cassant ; raide dans l’allure ce qui ne veut pas dire méprisant ; raide dans les convictions ce qui ne veut pas dire incapable de compromis. Souhaitons, pour la France en 2023, que son Président retrouve une certaine raideur, cela nous montrera qu’il n’est pas, déjà, momifié.

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