2022, l’échec des droites. Mais à qui la plus grande faute ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Valérie Pécresse quitte la scène après son discours à l'issue de l'annonce des résultats prévisionnels du premier tour de l'élection présidentielle française, le 10 avril 2022
Valérie Pécresse quitte la scène après son discours à l'issue de l'annonce des résultats prévisionnels du premier tour de l'élection présidentielle française, le 10 avril 2022
©ALAIN JOCARD / AFP

Fin d'une ère

Marine Le Pen revendique l’union nationale mais Valérie Pécresse et Éric Zemmour se revendiquaient de droite. Les deux se sont pris une grande claque

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Valérie Pécresse et Éric Zemmour se revendiquaient de droite ils ont été sévèrement battus, Marine Le Pen elle a moins cherché cette étiquette et appelle à l’Union de tous les anti-Macron et se qualifie largement pour le second tour de l’élection présidentielle. Dans quelle mesure est-ce l’échec des droites que traduit ce premier tour de l’élection ?

Vincent Tournier : Tout dépend de quelle droite on parle, mais il est clair que la droite gouvernementale sort anéantie de ce scrutin, comme la gauche gouvernementale avait été pulvérisée lors du scrutin précédent de 2017. Il y a cinq ans, François Fillon avait su résister à l’ouragan Macron, mais ce n’est plus le cas avec Valérie Pécresse, qui est loin, très loin même, des 19% de son prédécesseur. Elle obtient un score humiliant, inférieur au seuil de 5% qui permet d’accéder au remboursement par l’Etat. Dans le cas d’Éric Zemmour, il faut être plus nuancé : son score de 7% n’est pas très élevé compte-tenu de ses ambitions initiales, mais on manque de point de repère.

En revanche, Marine Le Pen obtient un très bon score : c’est même le meilleur score obtenu par le FN/RN depuis sa création. Et si on additionne ce résultat avec celui d’Éric Zemmour et de Nicolas Dupont-Aignan, on arrive à un total de 32-33%, ce qui est très conséquent. Cela veut dire que le bloc de droite nationale est solidement implanté. Le revers de la médaille est que ce bloc risque d’être impuissant.

Le problème est en effet qu’il n’existe plus d’espace pour la droite gouvernementale, comme il n’existe plus d’espace pour la gauche gouvernementale. De ce point de vue, Emmanuel Macron a achevé de faire imploser le système politique traditionnel. En se positionnant très habilement comme le président à la fois de l’ordre et du changement, de l’Europe et de la nation, il a court-circuité toute opposition sur sa gauche comme sur sa droite, obligeant ses opposants à se déporter vers des positions plus radicales. Même les écologistes n’ont aucun espace, mais il est vrai que leur projet d’austérité est inaudible dans une campagne dominée par la question du pouvoir d’achat et du retour de l’inflation. 

Tant Valérie Pécresse qu’Éric Zemmour ont reconnu leurs erreurs et leur responsabilité dans ces résultats. Mais sont-ils vraiment les responsables de cet échec des droites en 2022 ? Qui sont-ils ? 

On a toujours tendance à surévaluer le rôle des candidats. Certes, les styles personnels et les stratégies de communication peuvent affecter le résultat final. On peut penser en particulier qu’Éric Zemmour, après avoir fait une bonne première partie de campagne jusqu’en décembre, a raté sa seconde partie, notamment parce qu’il s’est concentré sur une posture négative et colérique, et parce qu’il s’est lourdement trompé dans son positionnement sur la guerre russo-ukrainienne. 

Mais l’essentiel n’est pas là. Un candidat est d’abord porté par un électorat. Si cet électorat n’existe pas, celui qui prétend s’en faire le porte-parole finit par s’écrouler. Cela va sans doute décevoir les électeurs d’Eric Zemmour, mais contrairement à l’analyse qu’il a développée, il n’y a pas beaucoup d’espace, à l’heure actuelle, pour un projet qui combine un axe très identitaire-sécuritaire avec un axe libéral sur le plan économique. 

Quant à Valérie Pécresse, elle a été amenée à se déporter vers la droite pour se différencier d’Emmanuel Macron et emporter la primaire de son parti, mais les électeurs de droite lui ont préféré, soit Marine Le Pen lorsqu’ils sont issus de milieux populaires, soit Emmanuel Macron lorsqu’ils appartiennent aux couches aisées. En mettant l’accent sur une certaine radicalité, rendue nécessaire par la posture centriste d’Emmanuel Macron, Éric Zemmour et Valérie Pécresse sont allés dans le mur. Leur posture martiale a ouvert un espace au centre-droit qui a été accaparé par Emmanuel Macron, tout en adoucissant l’image de Marine Le Pen.

Il reste que le résultat n’est guère encourageant. On assiste à une polarisation qui oblige désormais à choisir entre le centrisme et l’extrémisme, ce qui fragilise l’un des mécanismes majeurs de la démocratie, à savoir l’alternance. 

On dit des Français qu’ils sont plus à droite qu’ils ne l’ont jamais été et pourtant les candidats qui s’affirment le plus à droite semblent ne pas savoir en profiter, pourquoi ? 

Le clivage gauche-droite n’est plus vraiment opératoire. Ce qu’on voit monter depuis 2017, c’est une tripartition de l’espace politique, tripartition qui est elle-même fortement tributaire d’un clivage de classe. C’est là qu’est la grande nouveauté de notre époque : tout se passe comme si nous assistions au retour des classes sociales, ou du moins à leur politisation, phénomène qui avait plutôt disparu depuis les années 1970. 

Les trois candidats qui sont arrivés en tête (et même très largement en tête) sont les mêmes qu’en 2017. Ce n’est donc pas un phénomène conjoncturel. Non seulement la situation se répète, mais les scores de ces trois primo-arrivants se sont renforcés depuis 2017. Ils occupent désormais tout l’espace politique : ils ne laissent que des miettes aux autres candidats. 

On a donc d’un côté Emmanuel Macron, qui est le candidat soutenu par les couches sociales favorisées et, de l’autre, deux candidats que la presse qualifie de populistes, mais qui se distinguent assez sensiblement sur le plan sociologique et plus encore sur le plan idéologique. Sur le plan sociologique, l’électorat de Jean-Luc-Mélenchon est relativement interclassiste mais il se concentre plutôt sur les classes moyennes, auxquels il agrège les deux grandes composantes des métropoles, à savoir les cadres écolo-libertaires et les populations issues de l’immigration (il frôle la majorité absolue en Seine-Saint-Denis avec 49%), alors que l’électorat de Marine Le Pen est très nettement populaire. Sur le plan idéologique, Mélenchon et Le Pen s’opposent radicalement sur la question de la délinquance et de l’immigration. On observe même un paradoxe : Jean-Luc Mélenchon met l’accent sur la question sociale alors que son électorat n’est pas vraiment populaire, et Marine Le Pen met l’accent sur la question nationale alors qu’elle a un électorat très populaire. Ce paradoxe s’explique évidemment par le fait que l’immigration (et tout ce qui en découle, notamment la question religieuse et identitaire) est devenue un point de clivage majeur dans la société, notamment entre le haut et le bas de la société.  

Quoiqu’il en soit, comme en 2017, le second tour va opposer deux candidats dont les profils sociologiques et culturels s’opposent très largement. Si on était marxiste, on pourrait dire qu’on se retrouve avec d’un côté un bloc bourgeois (auquel va se rallier une grande partie des électeurs de Valérie Pécresse, Yannick Jadot et Anne Hidalgo, dont la sociologie se situe clairement du côté des milieux favorisés) et de l’autre le bloc populaire de Marine Le Pen, qui va être rejoint par une grande partie des électeurs d’Éric Zemmour, certes plus bourgeois, mais dont la préoccupation identitaire est très forte. 

Entre les deux, on a l’électorat de Jean-Luc Mélenchon, lequel qui va visiblement se fracturer au second tour. C’est donc un peu cet électorat qui va décider de l’issue de l’élection : soit il est convaincu que le RN représente un danger majeur, et dans ce cas il s’abstiendra ou ralliera le président sortant ; soit il est très énervé contre Emmanuel Macron, dont le programme s’annonce bien peu social (avec notamment la retraite à 65 ans comme marqueur) et il pourra alors être tenté de soutenir Marine Le Pen. En somme, tout va dépendre de la logique qui prévaudra : soit le front républicain, soit le front anti-Macron.

Marine Le Pen a-t-elle toutefois la capacité de réunir plus de 50% des électeurs ? Cela paraît peu probable, surtout avec une abstention qui s’annonce conséquente et qui lui sera inéluctablement préjudiciable. L’issue du scrutin ne fait donc guère de doute. 

Le problème est que cette situation est lourde de tensions à venir. Les deux pôles de l’opposition ne peuvent en effet que se renforcer dans leur énervement et leur frustration, d’autant qu’Emmanuel Macron a clairement indiqué qu’il ne ferait aucun cadeau : au bloc de gauche mélenchoniste, il a envoyé une fin de non-recevoir sur la question sociale (avec ses projets sur les retraites ou le RSA) et au bloc de droite lepéniste-zemmourien, il a pris soin de marteler, le soir du premier tour, que la lutte contre le séparatisme est terminée et qu’il ne compte rien faire contre les marqueurs vestimentaires et alimentaires de l’islam. Dans un tel contexte, nous risquons d’entrer dans une période de fortes turbulences politiques. 

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