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Emmanuel Macron s'adresse à ses sympathisants après les premiers résultats du premier tour de l'élection présidentielle française, le 10 avril 2022.
Emmanuel Macron s'adresse à ses sympathisants après les premiers résultats du premier tour de l'élection présidentielle française, le 10 avril 2022.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Sauvé par le vote utile ?

Le score de Valérie Pécresse, 4,8%, reflète autant les défauts de sa campagne que la grande peur d’une partie de l’électorat de droite face aux dynamiques Le Pen et Mélenchon. Le président sortant saura-t-il vraiment en tirer les leçons ?

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Si le score de Valérie Pécresse, 4,8%, reflète les défauts de sa campagne, il semble aussi témoigner de la grande peur d’une partie de l’électorat de droite face aux dynamiques Le Pen et Mélenchon. A quel point Macron a-t-il bénéficié d’un vote utile de la droite ?

Jean Petaux : Il n’y a pas qu’Emmanuel Macron qui a bénéficié du phénomène du « vote utile ». Ce comportement électoral, très difficile à évaluer, revient à voter pour un candidat plus « par défaut » que « par adhésion ». Dans un sondage récent réalisé juste avant le premier tour, entre le 6 et le 9 avril, IPSOS – Sopra-Steria pour le compte de France TV, Radio France, LCP-Public Sénat et Le Parisien, la question a été posée à un panel d’électeurs se disant sûrs d’aller voter. « Voterez-vous pour ce ou cette candidat.e avant tout par adhésion ou avant tout par défaut ? ». C’est Jean-Luc Mélenchon qui a bénéficié le plus du « vote par défaut » (qui, pour partie, peut être assimilé à une forme de « vote utile » : « je n’adhère pas aux idées de Mélenchon, mais comme il est le mieux placé à gauche, selon les sondages, je vais, faute de mieux, et donc par défaut, voter pour lui pour que mon vote « pèse » »). Quand 34 % de l’ensemble des personnes interrogées disent qu’elles vont voter pour un candidat « par défaut », Mélenchon recueille 41% d’intentions de vote sur ce motif alors qu’elles ne sont que 19% à répondre « par défaut » quand elles disent voter Zemmour (donc 81% par adhésion, ce qui montre le degré de conviction de son électorat…). Emmanuel Macron et Marine Le Pen réalisent pratiquement le même score : 67% votent Macron par adhésion ; 69% % Le Pen. Pour autant il est clair qu’Emmanuel Macron a bénéficié d’un transfert d’une part de l’électorat Pécresse qui a anticipé l’appel à voter pour le président sortant formulé par la candidate LR dès 20h15 au soir du premier tour. Les premiers sondages réalisés après l’annonce des résultats montrent que 44% des électeurs de Pécresse ne souhaitaient pas qu’elle prenne position en faveur de Macron ou de Le Pen, 37% qu’elle appelle à voter Macron et 19% qu’elle se détermine pour Le Pen. Cela veut donc dire qu’un cinquième de son électorat (soit environ 1% de tous les électeurs qui se sont exprimés au soir du premier tour, puisqu’elle est estimée à moins de 5% des suffrages exprimés au moment où je vous réponds) voteront sans doute pour Le Pen, et un peu plus de 2% de ces mêmes électeurs voteront pour Macron. Comme on le voit, en valeur absolue ce ne sont pas des masses électorales considérables… 37% d’un petit « gâteau » cela fait une petite part…

Dans la perspective du second tour, Emmanuel Macron est-il obligé de prendre en compte ce vote utile de droite ? Peut-il faire autrement que de donner des gages à la droite ? 

La fin de ma réponse précédente apporte une réponse à cette question dès lors qu’elle remet en perspective l’ampleur du soutien que Valérie Pécresse peut apporter et apporte, de fait, à Emmanuel Macron. On ne voit donc pas trop en quoi ce dernier devrait donner quoi que ce soit comme gages de plus à la droite. Il a plus à gagner sur le « côté gauche » de l’électorat pour accréditer l’idée selon laquelle il est bien l’adversaire que les électorats de gauche doivent soutenir contre Marine Le Pen, laquelle, pour la première fois depuis que le FN puis le RN présente un candidat qui peut se qualifier au second tour (c’est donc la troisième fois pour ce parti entre le père le 21 avril 2002 et la fille en 2017 et cette fois-ci), peut se targuer d’avoir un renfort substantiel avec l’appel à voter d’Eric Zemmour qui change du score minime de Dupont-Aignan dont Marine Le Pen a, cette année, compte tenu des penchants complotistes du maire d’Yerres, a peu envie de goûter le soutien. Sans compter qu’Emmanuel Macron ayant considérablement siphonner une partie du programme électoral de Valérie Pécresse, il ne lui reste plus grand-chose à « pomper » du réservoir à idées de la présidente de la région Ile-de-France.

Saura-t-il tirer les leçons de ce premier tour et d’à qui appartiennent les voix qui lui permettent d’être à plus de 28 % ? 

Formuler la question en termes « d’appartenance des voix » me semble quelque peu audacieux… Aujourd’hui, en matière de comportements électoraux, les personnes qui se déplacent pour voter le font en toute liberté de choix individuelle avec une propension à s’affranchir de toutes les « conduites logico-rationnelles » qui étaient celles qui « encadraient » le vote il y a encore une trentaine d’années. L’électeur, que l’on qualifie de plus de « stratège » ou de « rationnel en finalité » peut « sauter » non pas du « coq à l’âne » mais, d’une case à l’autre de l’échiquier politique en étant tout à la fois le fou (grandes diagonales d’un bord politique à l’autre) voire la reine en se déplaçant dans tous les sens. Emmanuel Macron, pas plus que sa rivale du second tour, ne peuvent identifier exactement qui a voté pour eux ou, encore plus compliqué, qui votera pour eux au second tour dans 14 jours. Ce qui est certain en revanche c’est que les deux adversaires vont faire assaut de tout bois pour « ramener à eux » non seulement celles et ceux qui ont voté pour d’autres qu’eux-mêmes au premier tour (dans chacun des deux cas cela représente plus de 70% des suffrages exprimés) mais aussi les abstentionnistes qui n’ont pas voulu choisir parmi les douze candidates et candidats ce dimanche du premier tour. Une fois de plus le taux d’abstention va être scruté dans la journée du 24 avril. Pour autant on ne peut qu’être impressionné au soir du premier tour par le fait que près des trois-quarts (72,8 % exactement) des électeurs du premier tour se concentrent sur les trois premiers candidats. A titre de comparaison, le 21 avril 2002, quand, pour la première fois le candidat d’extrême-droite s’est qualifié au second tour, le « trio de tête » (Chirac, Le Pen et Jospin) n’a totalisé, à trois, que 52,92% des voix. Ils étaient quatre à se partager 84,9% des voix en 2017. Autre comparaison : seulement quatre des candidats, cette année, au soir du premier tour, semblent dépasser le fameux seuil des 5% permettant un remboursement d’une partie des frais de campagnes engagés (contre sept au soir du 21 avril 2002…). Voilà, au moins un enseignement  important à retenir des résultats du premier tour 2022 : la scène politique française, déjà fortement dévastée en 2017, a littéralement explosé le 10 avril 2022. Les derniers édifices partisans sont à terre. A eux deux, les deux grands partis politiques qui ont dirigé seuls ou en coalition la France depuis 1958 (près de 64 ans…) voient leurs deux candidates pointées, ensemble, aux environs de 7%... Ce n’est pas la fin de la Cinquième république, c’est assurément la fin des partis qui l’ont gouvernée. Mais attention… Le paradoxe n’en ait pas moins grand : on a eu la confirmation ce soir que, tel le grand cirque Barnum (voir le film « Le plus grand chapiteau du monde »), le cirque politique française se joue désormais, « en même temps », sur plusieurs scènes (ou « pistes » puisque l’on parle de cirque…) : une piste « nationale » et une ou des pistes « territoriales ». Sur la piste centrale ou nationale,  les battus de ce soir sont les dominants des scènes périphériques ou territoriales et les « vainqueurs nationaux » sont les « dominés des territoires » voire en sont carrément absents : LREM, RN, LFI par exemple. Voilà qui ne va pas manquer d’exacerber la schizophrénie de la société politique française qui n’a pas vraiment besoin de ce « dédoublement » pour être quelque peu « déboussolée ».

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