2022, l’année où la littérature française aura perdu Christian Bobin<!-- --> | Atlantico.fr
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Le poète Christian Bobin en 2005.
Le poète Christian Bobin en 2005.
©BERTRAND GUAY AFP

Bilan 2022

A l'occasion de la fin de l'année, Atlantico demande à ses contributeurs les plus fidèles de dresser leur analyse d’un fait marquant sur l’année écoulée. Pour Bertrand Vergely, la mort du poète Christian Bobin est assurément le fait marquant de 2022.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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La mort de Christian Bobin est assurément le fait marquant de cette année 2022 parce qu’elle dit des choses que la guerre en Ukraine, dont on pourrait penser qu’elle est le fait marquant de cette année, ne dit pas et ne dira sans doute pas.

La nouvelle de son décès m’est parvenue par un SMS disant simplement : « Christian Bobin, poète de Dieu  sur Terre, désormais Lumière pour l'éternité ».  En une phrase tout a été dit. Quand un poète comme Christian Bobin meurt, il ne meurt pas. Il devient une lumière pour l’éternité.

Notre monde troublé a l’habitude d’être marqué par des drames et des crises. Il confond blessure et trace. Les drames et les crises nous blessent. Elles ne tracent rien. Les poètes par leurs paroles tracent. Ils ne blessent pas.

Christian Bobin est marquant parce qu’il est le poète des fulgurances. Je pourrais en citer en quantité. Je ne prendrai que celle là : « Les yeux des pauvres ont l’air de villes bombardées ». Comment mieux dire la détresse de ceux que la vie dévaste ? Un poète est un voyant qui sait voir avec ses yeux les yeux des autres et de la vie. En sachant dire la détresse du monde, il sait la transfigurer en lui donnant des mots et une parole, elle qui n’a plus ni mots ni paroles.

Un peintre sait isoler un détail et faire voir le monde entier dans ce détail. Il sait faire tenir l’infini dans la paume de la main, ainsi que le dit William Blake. " La poésie écrit Bobin « est le  don de lire la vie, le  poétique étant toute concentration soudaine du regard sur un seul détail, 

Bobin  sait voir. Il sait dire. Il faut savoir dire. On a du mal à dire. « Mal nommer les choses ajoute à la douleur du monde », disait Camus. Quand Bobin écrit que « L'écriture est  un peu de songe trempé d'encre », il sait nommer les choses parce que l’écriture on la voit. On la sent à travers le songe qui se met à s’écrire et l’écriture qui se met à songer. On la vit en sentant vivre en soi ce qui s’écrit et ce qui songe.

Enfin, Bobin s ait toucher. La finesse consiste à toucher sans toucher C’est alors qu’elle dit l’intime avec sa délicatesse infinie. Quand Bobin parle d’« un monde où le monde n'entre pas », il décrit de façon fulgurante et douce à la fois ce qui touche sans toucher.

Pour notre consolation dans le monde troublé qui est le nôtre, il nous est donné des poètes qui savent voir, dire et toucher. Il nous est donné des poètes qui quand ils partent ne partent pas. Il faut parfois qu’ils partent pour que l’on s’en aperçoive. Ce sont des absences qui révèlent souvent des présences. Ce sont des morts qui révèlent parfois la vie.

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