Pour que rien ne change
2017, la gauche et la guerre des progressistes contre les conservateurs : mais qui est vraiment qui dans l'histoire?
Nouveau paradigme utilisé par les candidats à l'élection présidentielle, la séparation progressistes-conservateurs permet de brouiller les cartes dans une élection ou chaque candidat ne peut plus se contenter d'être de gauche ou de droite. Au point de se demander s'il y a vraiment un conservateur dans l'avion.
Roland Hureaux
Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.
Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.
Atlantico : Dans un entretien accordé au Journal du Dimanche, Emmanuel Macron s'en est pris à Nicolas Sarkozy, déclarant : "si l’on regarde la frontière entre progressistes et conservateurs, il est clairement l’un des hérauts du conservatisme". Ironiquement, Nicolas Sarkozy s'en est lui aussi pris aux "conservateurs qui plongent le pays dans une crise dont il ne se redressera pas". Pourquoi ces deux candidats cherchent à faire du conservatisme un repoussoir ? Ne confondent-ils pas conservatisme et immobilisme ?
Roland Hureaux : Dans un climat politique général marqué par un profond rejet de la classe politique dans son ensemble, conservateur cela pourrait vouloir dire que vous êtes là depuis longtemps et progressiste que vous venez d'arriver sur le terrain. Si on part de là, la seule chose nouvelle que Macron apporte, c'est sa tête, car, à la différence de Sarkozy, Juppé, Hollande , Mélenchon, Bayrou et même Marine Le Pen , il est quelqu'un qu'on ne voit que depuis deux ou trois ans. Et encore son profil d'inspecteur des finances archilibéral, archieuropéiste et archimondialiste est quelque chose qui évoque terriblement du déjà vu.
Avoir l'air plus moderne parce qu'on est plus libéral et plus européen, c'est la partition qu' avaient déjà joué Giscard contre Pompidou, Rocard contre Mitterrand ( déjà deux inspecteurs des finances ! ) puis Sarkozy contre Chirac. Or c'est précisément , sans toujours s'en rendre compte, cette modernité là que rejettent le plus violemment les Français - et pas seulement les Français comme le montrent les dernières élections allemandes.
Maintenant, si l'on veut creuser un peu plus la notion de modernité, il faut voir qu'elle est toujours liée à une démarche idéologique. Qu'est-ce qui peut faire que ceci est plus moderne que cela ( en dehors de toute considération scientifique et technique naturellement) , c'est qu'il y a un sens de l'histoire et que , par rapport à ce sens de l'historie , certains paraissent plus "avancés" que d'autres.
Mais précisément, aujourd'hui, cette vision idéologique d'un sens de l' histoire est en crise.
Pendant presque un siècle, les choses étaient simples: le sens d'histoire allait vers la gauche , une gauche qui était certes idéologique mais qui avait aussi une préoccupation sociale . Et la pointe extrême de la gauche, que beaucoup récusaient avec juste raison, c'était le communisme qui apparaissant plus "avancé" que le socialisme, lequel l'était davantage que le libéralisme bourgeois etc.
Quelqu'un comme De Gaulle, quoique moderne sur beaucoup de plans , n'était pas un idéologue: il parlait de la Russie et très peu de l'URSS , les gens riaient alors de son passéisme, il n'était pas moderne. Mais rira bien qui rira le dernier : depuis la chute du communisme, qui rit de qui ? Qui peut dire aujourd'hui où est le sens de l'histoire ? A l'ouest, le libéralisme, toujours plus ultra, a remplacé le socialisme : être moderne , c'est être toujours plus libéral et aussi plus libertaire. La religion et les principe moraux qui vont avec paraissent au contraire dépassés. Dans l'ancien bloc de l'Est, comme dans une grande partie du monde, au contraire, la religion , qui passait pour finie au temps du communisme , a le vent en poupe.
Aujourd'hui , en Europe occidentale, les choses sont en train de changer : le libéralisme s'épuise ( même s' il a encore des progrès à faire chez nous par une diminution des dépenses publiques par exemple) , le globalisme au sens de l'abolition des frontières aussi; l'enracinement, l'identité reviennent au contraire en force, comme on le voit en Grande-Bretagne ( Brexit), en Allemagne, en Autriche , en Pologne , en Hongrie et même aux Etats-Unis avec le montée de Trump.
Par rapport à ces nouvelles tendances , Macron est-il vraiment moderne ? Je le trouve au contraire terriblement ringard.
Sarkozy, lui, s'il ne change pas son discours moderniste de 2007, risque de ne pas accrocher. Il semble d'ailleurs l'avoir compris.
Quant à la dénonciation du conservatisme, je crains aussi que ces candidats n'aient pas choisi le bon thème. Mon sentiment est que les Français en ont assez de réformes déstabilisantes : réforme des collectives locales (avec en perspective la suppression de la commune et du département aussi inutile que traumatisante), reforme de l'école ( toujours de mal en pis), réforme du code du travail, réforme de l'Etat , réforme de ceci, réforme de cela. Je crois , pour être franc, que les Français en ont un peu assez. Ils sont paumés. Ils aspirent, je crois, à une certaine stabilité. D'autant que toutes ces réformes, je l'ai expliqué dans un livre récent, aggravent presque toujours les choses au lieu de les améliorer . Par exemple si on avait laissé la DST qui traquait bien les terroristes et les Renseignements généraux qui étaient à l'écoute des tensions sociales tels qu'ils étaient, on aurait sans doute mieux détecté les attentats terroristes et mieux amorti les crises sociales. Au lieu de les laisser travailler tranquillement, on les a fusionnés de force , sous prétexte d'être moderne et il en est résulté un grand désordre.
A tel point qu'on peut se demander si les meilleures réformes ne seraient pas l'abrogation pure et simple de toutes les mauvaises réformes qui ont été faites au cours des dernières années !
Permettez moi de citer un auteur venu du marxisme, Guy Debord, pour qui « Le société du spectacle ( pou lui, la société actuelle) dans sa phase avancée (…) n’est plus pour l’essentiel réformable. Mais le changement est sa nature même, pour transmuter en pire chaque chose particulière».
S'agissant de Macron, j'ajoute encore ceci : il se déclare moderne mais on aimerait savoir ce qu'il propose exactement de si moderne . Jamais un homme politique n'est allé aussi loin dans une campagne sans proposer rien de précis. Il a envisagé une fois de payer les fonctionnaire aux résultats, ce qui, il semblait l' ignorer , avait déjà été institué dès 2000 , avec pour résultat une pagaille et une démobilisation générales.
Qui serait le candidat du conservatisme aujourd'hui, celui qui, selon la formule d'Albert Camus, pourrait "sauver ce qui peut encore être sauvé" ? François Fillon, qui lui-même déclarait samedi à La Baule "La société bouillonne mais se heurte à tous les conservatismes" ? Nicolas Dupont-Aignan ? Marine Le Pen ? Ou, plus paradoxalement, Jean-Luc Mélenchon ?
Conservateur, cela ne vaut pas dire forcément ne rien changer, mais ne rien modifier au cours des choses. Si on veut que les choses continuent après 1997 comme elles vont aujourd'hui : un Etat mou face aux grands problèmes de l'immigration, de la sécurité ou de l'emploi, des réformes généralement destructrices, il suffit de garder Hollande. Beaucoup se demandent si, avec quelqu'un comme Juppé, les choses iraient différemment . Et comme Macron se situe entre les deux…Le vrai conservatisme il est là, mais il nous conduit au précipice.
Ca fait bien de critiquer le conservatisme car nous sommes toujours englués dans une vision idéologique du "progrès" et aussi parce que nos citoyens attendent du nouveau dans les mœurs politiques, mais pas forcement de nouveaux bouleversements au contraire.
C'est sans doute Marine Le Pen qui a le mieux compris que les Français n'attendaient pas qu'on change de place les meubles tout le temps. Mais elle l'a compris jusqu'à être caricaturale: statu quo sur l'âge de la retraite, statu quo sur les 35 heures, c'est une position difficile à tenir dans le contexte démographique actuel - à moins d'un large appel à l'immigration qui n'est sûrement pas dans ses intentions. Cette position vise sans doute à répondre aux angoisses de son électorat , principalement populaire, gravement perturbé par les bouleversements économiques, sociétaux et administratifs des dernières années. Mais il ne faudrait pas qu'elle aille jusqu'à donner le sentiment de l'immobilisme.
Nicolas Dupont-Aignan est sur une ligne proche avec cependant un reste de culture chiraquienne qui s'exprimait, je vous le rappelle, par du mouvement pour le mouvement, et qui finissait souvent par du sur-place.
Mélenchon joue un jeu d'équilibre insolite : pour rester bien avec les médias, il veut garder un aspect "moderne" : il est par exemple pour le mariage homosexuel et pour l' immigration sans contrôle, mais en parallèle il cultive une image de républicain un peu rétro: culte de la Révolution française, surenchère laïcarde.
Fillon a, au sein de la droite classique trouvé, quant au style, un juste équilibre entre le changement et la tradition, propre à rassurer les Français, mais son programme a été écrit sous l'influence de think tanks ultralibéraux éloignés du terrain et finalement assez conventionnels, ce qui lui enlève un peu de son relief.
Le combat entre progressistes et conservateurs est-il le vrai enjeu de la prochaine élection présidentielle ? N'est-ce pas ranger au placard un peu rapidement le très prégnant paradigme gauche-droite ?
Ni l'un , ni l'autre.
On ne saisit pas à quel point, en Occident, la donne est aujourd'hui bouleversée au point que personne n'y comprend plus rien.
Le vieux clivage gauche-droite est largement dépassé, dans la mesure et dans la mesure seulement où on en retient le caractère social: la gauche plus interventionniste dans l'économie et plus proche des aspirations populaires. Cela n'a plus de sens si on considère les efforts de Hollande pour détricoter le Code du travail, la destruction de l'école laïque et républicaine par Najat Vallaud-Belkacem ( et pas qu'elle) , la cession par Macron d'un fleuron industriel comme Alstom aux Américains -, la servilité du gouvernement socialiste vis-à-vis des impulsions venues de l'OTAN et par delà du grand capital international. La droite ferait-elle mieux ? Pas pire en tous cas.
D'ailleurs ceux qui se soucient encore de coller au peuple, on les appelle "populistes" et ils sont relégués aux extrêmes : seul le brave Jean Lassalle arrive à tenir un secours près du peuple tout en restant centriste. Mais comme généralement les centristes ne sont pas contrariants, plus on se rapproche du centre, moins les hommes politiques remettent en cause un ordre mondial favorable aux très riches et impitoyable pour les classes populaires - et de plus en plus pour la classe moyenne.
Quant au clivage progressiste-conservateur, je vous ai dit à quel point il était lié à une philosophie du sens de l'histoire qui n'a de sens que dans un champ politique structuré par des idéologies plus ou moins messianiques : l'Europe, la fin de l'histoire, le libéralisme sans frontières etc. Compte tenu de la violence avec laquelle le "progressisme" qui règne depuis trente ans est aujourd'hui rejeté, je serais tenté de vous dire que ceux qui sont le plus dans le sens de l'histoire, le vrai, pas celui des idéologues, ce sont les "réactionnaires" et ceux qui sont aujourd'hui le plus dépassés, ce sont ceux qui brandissant encore le drapeau du progressisme et de la modernité , ce pauvre Macron par exemple.
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