2 ans pour s’assurer de la mort du Mollah Omar : y a-t-il un pilote dans l’avion du renseignement (humain) américain ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Talibans ont adressé un communiqué dans lequel ils déclarent que le Mollah Omar est mort.
Les Talibans ont adressé un communiqué dans lequel ils déclarent que le Mollah Omar est mort.
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Les Talibans ont le regret de vous annoncer

Les Talibans ont publié jeudi 30 juillet un communiqué pour annoncer la mort du Mollah Omar depuis plus de deux ans. Un pied de nez aux centaines de milliards investis par les Etats-Unis en matière de renseignements, et à la stratégie consistant à miser sur la récolte de données plutôt que l'acquisition d'informations par voie humaine.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Christian Harbulot

Christian Harbulot

Christian Harbulot est directeur de l’Ecole de Guerre Economique et directeur associé du cabinet Spin Partners. Son dernier ouvrage :Les fabricants d’intox, la guerre mondialisée des propagandes, est paru en mars 2016 chez Lemieux éditeur.

Il est l'auteur de "Sabordages : comment la puissance française se détruit" (Editions François Bourrin, 2014)

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Atlantico : Jeudi 30 juillet, les Talibans ont adressé un communiqué dans lequel ils déclarent que le Mollah Omar est mort depuis un an. Comment expliquer que malgré la présence militaire occidentale, dont on se doute qu'elle s'accompagne des services de renseignements, cette information n'émerge que 2 ans après les faits. Est-ce le révélateur d'une faillite du renseignement ?

Alain Chouet : Début 2002, Mollah Omar s’est bien enfui en mobylette au nez et à la barbe de la plus puissante armée du monde et ses moyens sophistiqués de surveillance et d’interception…. Il ne s’agit pas là d’une faillite du renseignement mais d’un problème d’adaptation de nos moyens d’acquisition et d’exploitation de l’information à des réalités de terrain très différentes les unes des autres. On ne s’informe pas sur les agissements d’une bande criminelle comme sur les mouvements d’une armée constituée telle que l’était l’armée rouge. Pour faire bref, on ne chasse pas les moustiques à la mitrailleuse…

Quels que soient les moyens mis en œuvre, il est pratiquement impossible d’assurer la traçabilité d’un chef de gang restreint qui n’utilise pas de moyens techniques de correspondance et surtout qui bénéficie de larges complicités sur le terrain, y compris des services locaux de police et de renseignement.

Christian Harbulot : Il semble qu'effectivement cette méconnaissance de la mort du Mollah Omar souligne soit un manque d'appréciation de la part des services de renseignement américains, soit la volonté délibérée de ne pas s'en prendre à lui. Cela peut également s'expliquer par les soutiens que cet homme a pu obtenir de la part du Pakistan, mais il est évidemment très étrange, à l'heure où l'on décrit le degré de perfection du renseignement occidental, que les Etats-unis n'aient pas été au courant plus tôt de son décès.

Quels moyens avaient été mis en place sur le terrain afghan ? Pour quels résultats ?

Alain Chouet : Ce sont les moyens classiques de toute intervention "moderne" sur des terrains exotiques : surveillance aérienne et satellitaire, renseignement d’origine électro-magnétique (écoutes), utilisation de sources humaines locales, échanges avec les services de renseignement et de police locaux. Le problème est que dans des sociétés rustiques comme la société afghane, le renseignement technologique ne donne pas grand-chose et que les populations locales ont plus à craindre des chefs de bande autochtones que des armées d’occupation qui ont de plus tout fait pour se faire haïr.

Enfin, et s’il est avéré que Mollah Omar est mort à Karachi, sa présence – comme avant lui, celle de Ben Laden à Abbottabad - ne pouvait être ignorée des services de renseignement locaux qui se sont bien gardés d’en informer ceux qui persistent contre toute évidence à les considérer comme des "alliés". Mais c’est là un problème politique qui ne concerne qu’indirectement les services de renseignement

Christian Harbulot : Les Etats-Unis ont toujours joué sur plusieurs tableaux parfois très contradictoires. Ceci a porté atteinte à  la cohérence de leur politique de renseignement dans la mesure où les orientations sur zone avaient des objectifs qui s'entrechoquaient :

- leurs relations avec le Pakistan (allié privilégié contre les Russes depuis l'intervention soviétique dans cette partie du monde);

- leur volonté affichée de lutter contre le régime des Talibans après les attentats du 11 septembre et leurs premiers loupés lorsqu'ils ont reconnu avoir raté le mollah Omar lors du début de leur offensive contre les talibans.

- leur processus d'enlisement en Afghanistan qui laisse une impression très mitigée sur la finalité réelle de leur stratégie. 

Dans ce conflit, les moyens de renseignement mis en œuvre par les forces occidentales ont porté principalement sur des objectifs de nature politico-militaire, en appui des forces déployées sur le terrain.

En matière de renseignement militaire classique, des unités françaises déployées sur le terrain, notamment psy ops, ont malgré tout réussi à négocier avec des chefs talibans locaux. Un certain nombre d'attaques ont pu être évitées grâce à l'instauration de pactes de non-agression.

Les services de renseignements américains investissent considérablement dans la surveillance via des moyens technologiques. Pour preuves, les nombreux partenariats passés avec des start-ups de la Silicon Valley, à l'image de celui passé avec IQT en 2013. Si ces outils technologiques -stockage et analyse de big data, virus espions informatiques- ont démontré une certaine efficacité à espionner des pays développés comme la France, l'Allemagne, ainsi que certaines institutions européennes, sont-ils pour autant adaptés au renseignement dans des environnements comme celui de l'Afghanistan ?

Alain Chouet : Après l’audition piteuse du chef de la NSA en octobre 2013, la commission du renseignement du Congrès américain a conclu tout à fait officiellement et publiquement : "La preuve ne nous a jamais été apportée que la collecte massive et indifférenciée de données ait permis de prévenir un seul attentat terroriste". On ne saurait mieux dire même si ce rapport a été soigneusement mis sous le tapis par l’exécutif et les médias.

Et on ne peut en effet que constater que les écoutes massives de la NSA, entreprises dans le sillage du Patriot Act n’ont permis de prévenir ni les attentats de Boston, ni les violences mortelles avec armes perpétrées quasi quotidiennement sur le territoire des Etats-Unis, dans des écoles, des casernes, des centres commerciaux ou des églises par des citoyens américains qui ne se cachaient nullement de leurs délires et manifestaient leurs intentions meurtrières sur Internet.

Quant aux "vrais" terroristes, il y a longtemps qu’ils ont compris que toute communication passant par des ondes ou des fils électriques pouvait être interceptée et, comme les mafieux, ils communiquent par voie postale ou, de préférence, par messager humain.

Pour résumer, le renseignement technique se montre d’une efficacité redoutable face à des sociétés technologiquement évoluées très dépendantes des moyens de transmission et de stockage électronique de l’information (d’où son usage extensif en matière de renseignement économique et politique). Il l’est beaucoup moins, voire pas du tout, face à des sociétés rustiques ou des groupes rompus à la clandestinité parce qu’ils poursuivent des objectifs criminels.

Christian Harbulot : Les outils technologiques sont adaptés surtout si l'adversaire commet des erreurs. Pour prendre l'exemple du théâtre du Mali, le fait que des forces rebelles aient eu pour coutume de faire un feu chaque matin pour chauffer leur thé, leur a coûté cher, en permettant aux services militaires français qui observaient cette zone de connaître avec une précision inégalable les positions rebelles et de les attaquer. Ce type de démarche en Afghanistan n'a pas eu la même efficacité du fait de la configuration du terrain montagneux, dont les talibans ont largement profité pour se cacher dans des cavernes ou se fondre dans la population. D'autant que les talibans ont compris très tôt que l'utilisation de téléphones cellulaires pouvait provoquer des attaques ciblées de la part des forces occidentales.

Dans quelle mesure les moyens de surveillance de la CIA se sont-ils affranchis des agents de renseignements humains ? Quelle dynamique peut-on observer ?

Alain Chouet : La CIA poursuit toutes ses activités de renseignement, d’influence et d’ingérence par moyens humains. C’est la NSA qui est en charge du recueil du renseignement par voie technique. Si on a assisté à une extraordinaire montée en puissance de la NSA au cours des vingt dernières années, c’est parce que, contrairement au renseignement humain, le renseignement technique est facilement quantifiable et – dans l’inconscient collectif des décideurs – peu susceptible d’être affecté par le côté subjectif des transmetteurs humains et peu susceptible (contrairement au renseignement humain) d’être découvert et de créer des difficultés pour le politique. On lui prête donc, sans doute à tort, une double vertu quantitative et qualitative. Les déboires et ratés de la NSA devraient tout de même inciter à la réflexion sur ces a priori.

La France jouit d'une certaine notoriété pour l'efficacité de ses services de renseignement. Comment gère-t-elle la confrontation des deux dogmes, soit "l'interception par voie informatique" et par "voie humaine" ?

Alain Chouet : Il n’y a pas deux "dogmes" qui se confronteraient. Le renseignement s’acquiert par trois voies : la voie technique (interceptions, écoutes, imagerie), la voie opérationnelle (acquisition de documents ou de matériels directement sur le terrain) et la voie humaine (acquisition d’informations par sources humaines au sein de l’objectif visé ou dans sa périphérie). Le problème est d’assurer une synergie entre ces trois méthodes qui ne sont pas concurrentes mais complémentaires. Et leur succès repose avant tout sur la délimitation claire de l’objectif visé et du but à atteindre.

Jusqu’à maintenant, les services français ont su, avec des moyens relativement restreints, assurer cette complémentarité et cette synergie. Il faut souhaiter qu’ils continuent sans céder aux sirènes du dragage massif et indifférencié d’informations, certainement satisfaisant pour les comptables et les statisticiens, mais dont les échecs américains nous indiquent les limites.

Christian Harbulot : Le problème du renseignement humain est lié au degré de combativité que l'on trouve dans les démocraties occidentales : les prises de risque que cela représente rendent toute infiltration coûteuse. Dans les services de renseignement les individus prêts à mener de telles opérations sont principalement des individus "retournés". Il est relativement rare que l'on envoie des candidats salariés d'une centrale de renseignement dans des opérations de ce type. Il y a 50 ans, il était plus facile de recourir à une certaine "main d'œuvre" qui aujourd'hui est difficile à recruter. L'interception électronique a connu un essor qui a diminué dans le même temps l'idée d'une structure très aguerrie orientée vers le recueil d'information à base humaine, c'est-à-dire en cherchant à tisser des réseaux humains sur le terrain.

Cette défaillance n'est pas récente.  Si l'on remonte à la guerre d'Indochine, le renseignement militaire français a rencontré d'énormes difficultés pour infiltrer les forces du vietminh par exemple... On ne manquait pas d'agents humains indochinois mais beaucoup étaient des agents doubles. Cette difficulté que l'on a retrouvé sur d'autres théâtres d'opérations, comme l'Algérie où malgré quelques succès tactiques en termes de guerre psychologique (autodestruction de certains maquis dont les chefs sombraient dans la paranoïa et faisaient exécuter des centaines de fellagahs).

Le renseignement ne pallie pas le manque de légitimité d'une stratégie. 

C'est particulièrement vérifiable lors des guerres coloniales quand des armées occidentales se sont confrontées à des forces organisées et unies en quête d'une indépendance territoriale. A partir du moment où la légitimité de l'intervention n'est pas partagée par la population locale, obtenir des agents est très compliqué.

Aux lendemains de la guerre froide, les services de renseignement occidentaux ont basculé dans un contexte mondial apparemment  pacifié. Cette nouvelle perception de la menace a favorisé l'émergence d'un renseignement découplé d'une logique de guerre. L'investissement dans les moyens d'interception  a supplanté la dimension humaine du renseignement.

Cette dynamique est à mettre en parallèle avec ce que j'appelle la perte de  "combativité" des démocraties qui répugnent à utiliser des armes offensives sur le plan humain, et qui préfèrent se replier derrière la technologie. C'est un problème central : même si la France continue à avoir une certaine facilité de collecte d'informations sur le terrain, comme c'est le cas en Afrique, cela est beaucoup moins évident dans les zones chaotiques du Moyen-Orient où des fractions importantes d'une population font corps durablement avec des bandes armées.

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