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1995 - 2018 : quand la question du modèle français se profile derrière les grèves
©LUDOVIC MARIN / AFP

Une histoire de contexte

Les différences, en termes de contexte politique mais aussi économique et syndical, sont nombreuses entre 1995 et 2018. Pourtant, plusieurs leçons peuvent en être tirées.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : 23 ans après, et dans le contexte de la mobilisation sociale actuelle, quel regard peut-on porter sur les grèves de 1995 ? Comment l'opinion des Français s'est-elle former avant, pendant, et après ce conflit ? Quels en ont été les déterminants ?

Bruno Cautrès : Il y a d’importantes différences de contexte politique mais aussi économique et syndical entre 1995 et 2018. En 1995, c’est l’écart entre la promesse de lutter contre « la fracture sociale » faite par Jacques Chirac pendant la campagne présidentielle et les annonces de réformes sur le front social par Alain Juppé qui font prendre le mouvement d’opposition dans l’opinion. 1995 c’est également trois ans seulement après le Traité de Maastricht et c’est le tout début d’un discours politique sur l’adaptation de la France à la compétition économique mondialisée. L’opinion, qui au début de l’annonce de réforme de la SNCF semble majoritairement favorable, va progressivement se retourner : d’une part les syndicats, CGT et FO notamment, vont montrer un front unitaire et d’autre part l’idée va progressivement s’imposer que les cheminots défendent, à travers leur opposition à la réforme de la SNCF, le « modèle social français ». C’est la fameuse « grève par procuration » dont parle le politologue Stéphane Rozès. Rétrospectivement on peut voir la grève de 1995 et le soutien dont elle a bénéficié dans l’opinion comme l’un des premiers signes d’une prise de conscience de la part des Français de l’ampleur des changements qui s’annoncent pour le pays dans un contexte d’ouverture économique européenne et internationale.

Quels en ont été les déterminants politiques ? L'opposition a-t-elle pu, contrairement à ce qui peut avoir lieu aujourhui, s'unir dans la protestation et se servir ainsi du mouvement social ?

N’oublions pas qu’à la présidentielle de 1995 Lionel Jospin crée la surprise en faisant le meilleur score au premier tour alors que le PS avait subi une très lourde défaite aux législatives de 1993. Il se qualifie pour le second tour face à Jacques Chirac et deux après, en 1997, il deviendra premier ministre en situation de cohabitation avec ce même Jacques Chirac suite à la dissolution ratée de l’Assemblée nationale. L’opposition de 1995 n’est donc pas du tout dans le même état qu’aujourdhui. Par ailleurs l’opposition en 1995 n’est pas configurée comme celle d’aujourd’hui : en 1995 on est toujours, à gauche, dans un schéma politique de type « union de la gauche », qui deviendra en 1997 « la gauche plurielle » sous l’effet du basculement des écologistes des Verts dans cette stratégie d’union de la gauche. La protestation de 1995 va donc rentrer en résonance plus facilement avec les logiques d’oppositions politiques.

Quelles sont les leçons à en tirer pour le conflit actuel ?

J’en tirerais deux conclusions : d’une part que 2018 n’est pas 1995, notamment quant au contexte syndical car la CGT de l’époque ne connait pas la même situation qu’aujourd’hui; d’autre part qu’il serait néanmoins imprudent de considérer cette différence des deux contextes comme la preuve que rien ne va se passer en 2018, que le gouvernement pourra passer entre les gouttes sans encombres. On voit d’ailleurs dans les récents sondages deux signes : d’une part, le pourcentage de ceux qui disent comprendre les raisons des cheminots augmente ; d’autre part, malgré un soutien à la réforme du statut des cheminots, une courte majorité des Français souhaite que le gouvernement les écoute et fasse des ouvertures, notamment si la grève se durcit et se prolonge. Last but not least : à travers la réforme de la SNCF, plusieurs segments de l’électorat commencent à lire les réformes à venir des retraites et de la fonction publique. Un peu comme en 1995, c’est à terme la question du « modèle français » qui va se poser.

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