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100e anniversaire : comment Verdun s’est imposée comme la bataille mythique de la 1ère guerre mondiale (et ce que cela dit de notre rapport à la guerre)
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Pourquoi pas la Somme ou les Dames ?

Alors que la France commémore les 100 ans de la bataille de Verdun, cet épisode marquant de l'histoire moderne de la France s'est imposé comme un mythe fondateur de la société française.

Sophie Laurant

Sophie Laurant

Sophie Laurant est journaliste, chef du service histoire de l’hebdomadaire Pèlerin qui consacre un dossier spécial "Il y a 100 ans : Verdun".

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Atlantico : Verdun symbolise, plus que tout autre bataille, la guerre de 1914-1918. Comment a-t-elle réussi à éclipser totalement tous les autres lieux de la Première Guerre Mondiale ? Ce phénomène a-t-il été rapide ou s'est-il construit lentement dans le temps ?

Sophie Laurant : Ce phénomène a été très rapide. Dès les premiers jours de la bataille, on sait qu'il se passe quelque chose d'étonnant à Verdun. Il y a une profonde surprise de la part des Français de se faire attaquer à cet endroit-là. Que ce soit le militaire, le politique et même l'opinion publique, tout le monde en France est pris au dépourvu. C'est cet aspect qui va nourrir le mythe dans un premier temps. Le mythe de Verdun va grossir sans cesse jusqu'à bien après la guerre mais il faut bien savoir qu'il s'amorce dès les premiers jours de la bataille. On sent très vite qu'il se passe quelque chose de différent là-bas.

Il y a différentes raisons à cette impression. La première de cette prise de conscience d'une bataille à part - quand bien même elle n'a pas été dans les faits si différente des autres - c'est à cause de la gigantesque préparation d'artillerie allemande à partir du 21 février 1916 à 7h du matin. Il y a alors un feu roulant d'obus incroyable. Près d'1,5 millions de tonnes d'obus en 24h. C'est un tapis d'artillerie que l'on n'avait jamais vu auparavant.

Il y a plein d'autres raisons qui font qu'à la fois Verdun est devenu est mythique et en même temps une bataille qui résume toutes les problématiques de 1914-1918. Tout d'abord psychologiquement, c'est la France qui est attaquée. Elle est en position défensive, ce qui va d'ailleurs toujours mieux à un pays pour réaliser l'union sacrée. Le fait d'être attaqué rend juste l'action de se défendre. Cela justifie l'idée d'une guerre juste.   

Par ailleurs, devant la surprise de l'attaque, les Allemands progressent très vite dans un premier temps. Puis, à partir du 25 février, ils vont être stoppés. Et malgré les nouvelles tentatives d'offensives, ils vont globalement piétiner à chaque fois sur très peu de kilomètres. Cet aspect joue dans l'élévation de Verdun au rang de mythe car la défense tient bon.

Verdun est une guerre très longue et très meurtrière mais ce n'est pas le combat qui provoqua le plus de morts entre 1914 et 1918. Il y a moins de tués à Verdun par exemple que sur la Somme alors que la seconde bataille dure 3 mois de moins que la première. Néanmoins, dans la mémoire des Français, Verdun apparaît comme la bataille la plus horrible et la plus meurtrière.

Il faut aussi savoir que lorsque l'offensive allemande est lancée, les Parisiens apprennent très vite la nouvelle. Et il y a une forte angoisse qui monte car il y a eu un peu plus d'un an plus tôt la bataille de la Marne, où Paris a été sauvé in extremis. Les habitants de la capitale pensent donc à ce moment-là que ça recommence. Par conséquent, les politiques sentent cette angoisse. Ils demandent donc aux militaires de tenir coûte que coûte sur la rive droite alors qu'ils auraient très bien pu décider de se replier et d'abandonner la ligne. L'idée était de tenir, quitte à être écharpé sur place. Cela aussi a renforcé le mythe de Verdun.          

C'est une bataille par ailleurs où 70% des effectifs de l'armée française vont se relayer grâce au système denoria qu'instaura Pétain à sa prise de commandement. Verdun est donc un univers partagé dans la mémoire collective plus que n'importe quelle autre bataille. A titre de comparaison, la campagne de la Somme a été moins longue et il y a moins eu ce système de relais. L'autre aspect particulier à Verdun est que le front ne fait que 8 kilomètres de long. Alors que pour ce qui concerne la Somme, les soldats sont face à des grandes plaines. Donc forcément, un ancien de Verdun rencontre un autre ancien de Verdun, ils ont un vécu et des histoires partagés. Cet aspect a été essentiel dans la mythification de la bataille.

Au-delà du vécu et des particularités de Verdun, qui construit son mythe ?

Le mythe de Verdun a aussi été construit par la propagande. Mais globalement, tout le monde a élevé cette bataille au rang de mythe. Ce n'est pas forcément une démarche volontaire. Néanmoins, forcément, comme cette guerre dure, la propagande l'utilise. La rhétorique est claire : "On tient. Ils ne passeront pas !" L'héroïsme des soldats y est salué. La ville de Verdun est présentée comme une ville martyre.

Et puis une personnalité émerge petit à petit de cet enfer. Il s'agit de Pétain qui découvre les médias à ce moment-là. C'est surprenant car à l'origine il n'aimait pas tellement les journalistes, ni se mettre en avant. Finalement, il se rend compte que ce n'est pas si désagréable qu'il le pensait. Il va donc rapidement en jouer et exploiter cette image pour devenir le "sauveur de Verdun", quand bien même c'est loin d'être le seul.

Pétain n'est pas le seul sauveur de Verdun. Quel autre personnage aurait tout autant mérité les lauriers de cette victoire ?

Avant Pétain, il y avait de Castelnau, le bras droit de Joffre, qui était arrivé 10 jours avant celui qui est resté dans la mémoire collective comme "le sauveur de Verdun". A son arrivée sur place, de Castelnau se rend compte que les défenses sont vraiment mauvaises et il va prendre des mesures d'urgence cruciales pour les renforcer. Il observe par ailleurs que le commandement en chef n'est pas à la hauteur et il demande donc à Joffre s'il peut agir. Ce dernier lui donne alors les pleins pouvoirs. Enfin, il change de général pour nommer Pétain le 25 février dans l'urgence.

Il sait que Pétain est un bon tacticien et, de fait, il va totalement réorganiser la défense, bien que les Allemands soient au plus fort de leur offensive et que les conditions soient dramatiques. Malgré tout, ça va beaucoup mieux fonctionner. Bien sûr, Pétain va amplifier ce phénomène de mythification de sa personne en se faisant prendre en photo avec des poilus. Il deviendra populaire auprès des gens car les simples soldats se rendent  compte de l’amélioration de l’organisation et de l’alimentation. Pétain est très présent et cultive le mythe du général proche de ses hommes afin de renforcer sa popularité. Pétain n’est pas un grand génie militaire mais plutôt un homme de la défensive : il n’a pas d’idées sur comment mener une attaque, mais c’est un excellent logisticien. En effet, il sait organiser une défense irréprochable, il sait faire en sorte que les communications passent, il a un bon état-major bien organisé et il sait assurer l’intendance (livraison de la soupe et des armes, deux aspects très importants en temps de guerre). Même si ce n’est pas fabuleux, c’est essentiel. 

C’est donc pendant la guerre que naît rapidement le mythe ?

Tout à fait. A l’époque, la propagande était énorme. Par rapport à la bataille de la Somme, Verdun est pour la France un mythe indétrônable d’une part parce que la bataille de la Somme est un souvenir que l’on partage avec les Anglais et d’autre part parce qu’elle a occasionné plus de morts côté anglais que côté français. En plus, c’est l’Angleterre qui lancé les hostilités et la bataille s’est achevée dans un bain de sang, ce qui est beaucoup moins glorieux…

Verdun  est un mythe "bizarre", on en revient à la comparaison avec la bataille de la Somme : Verdun n’est pas une grande victoire française mais à l’inverse de la Somme, on peut dire que la France a gagné alors qu’elle était attaquée. C’est pourquoi pendant la guerre la propagande a beaucoup aidé.

Après la guerre, le mythe perdure parce que comme la plupart des soldats, enfin une grande partie, sont passés par Verdun, ils reviennent à Verdun saluer leurs camarades défunts. De grands rassemblements d'anciens combattants ont lieu dès 1918, les soldats y viennent par centaines de milliers. Ces rassemblements ne cesseront qu'avec la mort des anciens combattants. Verdun devient alors un lieu de mémoire. L'ossuaire est construit dans les années 1920 par l’évêque de Verdun pour les vestiges inidentifiables de combattants (on y trouve autant d’Allemands que de Français). Cet ossuaire est maintenant un sanctuaire où les gens, que l'on appelle désormais pèlerins, se recueillent. On y trouve autant d’Allemands que de Français : le mythe de "plus jamais ça" se transforme à Verdun en mythe-ville de la réconciliation franco-allemande et de l’amitié.

Par ailleurs, une véritable économie touristique s’est mise en place, on trouve même à Verdun une petite buvette dénommée "L'abri du pèlerin".

Comment ce mythe de Verdun a-t-il évolué au fil du temps ?

C’est un mythe qui a évolué, on a pu y voir l’union sacrée des poilus pendant la guerre et même l’Union sacrée de la nation derrière eux. Après la guerre, le mythe évolue en même temps que la ville : on passe de "plus jamais cette horreur" à "Verdun, ville de paix". Verdun fait d’ailleurs partie de l’association des villes de paix, à l’instar d’Hiroshima et Sarajevo car ces villes ont tellement souffert de la guerre qu’elles se sentent liées par un pacte d’amitié. En outre, le centre mondial de la paix au sein duquel se rencontrent des pays belligérants a été créé à Verdun.

Verdun a été élevé au rang de mythe depuis des décennies. Ce mythe a-t-il tout de même été remis en question ?

Un grand nombre de contre-vérités ont été remises en question. On a notamment longtemps dit que c’était la guerre la plus meurtrière, or c’est faux. On a par ailleurs pris argent comptant les justifications des Allemands. Erich von Falkenhayn, le commandement en chef allemand a dit qu’il avait attaqué à Verdun pour "saigner à blanc" l’armée française. Mais cette théorie est complètement fausse. Il a donné ce justificatif après la guerre. En réalité, il a lancé son offensive à Verdun pour couper le front français en deux et s’ouvrir la porte de Paris. Il pensait que la défense française était exsangue et qu’il allait pouvoir rapidement percer la ligne de front. Finalement, il a raté et l’offensive s’est enlisée. Le nombre de pertes françaises était à peine plus élevé du côté français que du côté allemand. Donc si l’objectif réel était de saigner l’armée française, le résultat est loin d’avoir été atteint. Donner cette explication lui permettait en fait de justifier les pertes allemandes abyssales (140 000 morts allemands contre 160 000 côté français). C’est un peu cher payé pour tenter de saigner à blanc l’armée adversaire. Donc son justificatif a posteriori ne tient pas. D’ailleurs, il a été débarqué. Les historiens ont longtemps repris à tort ce justificatif erroné, qui arrangeait les Français car c’était une façon aussi de mettre en avant l’image d’Allemands sanguinaires et violents. En réalité, les raisons de l’offensive de Verdun sont beaucoup plus classiques : briser le front ennemi et reprendre l’initiative.

Alors que le mythe de Pétain en tant que "sauveur de Verdun" a lui aussi été remis en cause, on a également souvent affirmé que Verdun était la première bataille moderne et industrielle. Mais cette interprétation n’est pas tout à fait juste. A Verdun, il y avait à la fois des armes nouvelles (premier combats d’avions, lance-flammes, etc.) et des corps-à-corps à la baïonnette. L’historiographie a donc permis de battre en brèche un certain nombre de contre-vérités liées à la mythification de cette bataille qui reste tout de même l’une des plus violentes de 14-18.

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