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“Un avenir à la « Walking Dead » semble de nos jours plus imminent ou probable qu’une crise terminale d’un système économique” 1/2
©Pixabay - Hucky

Braindead

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Je réagis à un article de Libé jeudi dernier, Effondrement, le début de la fin (Thibaut Sardier) - Pour les «collapsologues», la fin de notre civilisation thermo-industrielle est inéluctable. Comme souvent avec les théories de Jared Diamond, on trouve plein de choses stimulantes, contestables mais vraiment intéressantes. Je reviens avec méchanceté sur quelques apories et naïvetés de l’article (A). Je tente de façon bien subjective d’élever un peu le débat au niveau de l’apocalypse objective dans laquelle nous vivons déjà (B). Je tente enfin avec toute la prétention dont je suis capable de proposer une voie globale de sortie par le haut, qui est déjà en route et que nos bons docteurs en collapsologie trouvent ridicule (alors qu’eux peuvent, sans ciller, je cite, « préparer le déclin de la civilisation thermo-industrielle de façon honnête, responsable et digne », entre la poire et le fromage) (C).  

A/ Ma petite contribution à la lutte contre l’effondrement de la pensée critique

Je ne vais rien dire des choses sur lesquelles je suis d’accord, la surpêche, les chimistes allemands qui foutent en l’air notre environnement, le matérialisme ambiant petit-bourgeois et hypocrite, la nécessité de penser le futur avec d’autres prismes que ceux des technocrates. Si nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants, nous pourrions aussi tomber de haut ; et la technologie n’offre pas de solution miracle. D’accord. Je me concentre plutôt sur ce qui déraille :

1/ L’article commence (et se termine) par… Edouard Philippe, ce qui certes sied bien à un sujet sur l’effondrement… ; mais permettez-moi un quart d’heure plébéien, puisque l’article de Libé s’autorise un peu plus loin un paragraphe complotiste.  Quand nos « décideurs » en pleine extension du domaine de la flûte balancent sur Facebook des « nous pouvons y arriver » (comme la BCE face à la déflation qu’elle a crée, comme Merkel face à ses décisions unilatérales en matière énergétique ou migratoire…), voilà ce qu’il faudrait comprendre : braves gens, vous y arriverez, peut-être, mais sans nous, concrètement, car nous ne voyageons pas sur le même pont. La BCE est indépendante et inamovible, Edouard a un chauffeur, Angela ne vit pas dans un HLM près des réfugiés syriens : quand leurs décisions, bonnes ou mauvaises, engendrent des coûts ou des risques, ils ne sont solidaires que dans l’ordre du discours. Le « nous » fait penser à un destin collectif sur la galère commune, mais comme pour le Titanic tous les passagers ne seront pas logés à la même enseigne quand « on » sortira les chaloupes. 

Le catastrophisme est toujours un mouvement populaire, c’est même ce qui le rend parfois sympathique, du moins quand on n’a pas lu le magnifique livre du cardinal Henri de Lubac sur la postérité spirituelle de Joachim de Flore : on n’a jamais vu un roi millénariste, sauf Moctezuma (mais la crédulité des aztèques née de l’illusion millénariste leur a coûté fort cher) ; je suis donc assez inquiet quand des gouvernants s’emparent de ces peurs, surtout quand leurs solutions concrètes ne sont pas du tout au niveau de leurs prophéties anxiogènes. Remarquez, je ne devrais pas m’inquiéter : Nicolas Sarkozy était lui aussi un fan inconditionnel de Jared Diamond, et d’après les experts cités par Libération la date de l’effondrement planétaire ne semble pas avoir été modifiée pour autant. 

2/ Les journalistes de gauche ne parlent plus de la chute inéluctable du capitalisme en raison du poids de ses contradictions internes, mais du destin de la civilisation « thermo-industrielle ». C’est plus chic, et surtout plus crédible : un avenir à la « Walking Dead » semble de nos jours plus imminent ou probable qu’une crise terminale d’un système économique qui a fait ses preuves en matière de plasticité, de capacité à récupérer ou à monétiser les contestataires, et d’universalisme. Il s’agit là d’un retour aux sources en quelque sorte. Dans le Manifeste du Parti Communiste, Marx et Engels commençaient par un véritable panégyrique du capitalisme, qui "a créé de tout autres merveilles que les pyramides d'Egypte, les aqueducs romains, les cathédrales gothiques" en créant "des forces productives plus nombreuses et plus colossales que l'avaient fait toutes les générations passées". Partout où nous pouvons regarder, nous voyons en effet les œuvres (et les dévastations) d’une civilisation matérielle et capitaliste, qui n’est que superficiellement thermo-industrielle, qui ne pousse pas toujours à la poésie sociétale (Tocqueville : « Ils ont détruit les privilèges gênants de quelques-uns de leurs semblables ; ils rencontrent la concurrence de tous »), et qui n’est pas prête de s’arrêter d’un commun accord (imaginez l’article de Libération lu par un asiatique qui vient de voir son niveau de vie multiplié par 10 en 30 ans… ; imaginez donner envie à un demi milliard d’hommes de retourner dans les rizières où leur bilan carbone était plus décent). L’article reconnait en creux qu’il existe des tendances anti-démocratiques dans tout ce mouvement, chez Jonas et chez les autres : tu m’étonnes !! Et quand Laurent Testot nous compare à des junkies qui ne pourraient pas s’arrêter avec leur opium de la consommation, il ne se rend pas compte qu’il utilise le même champ lexical et les mêmes métaphores que les élites monétaires non-élues les plus conservatrices, qui nous ont retiré la politique monétaire au prétexte que nous sommes trop gamins pour canaliser l’inflation sans elles. On sait où tout cela mène, à la déflation, et on s’étonne ensuite de la résurgence des mouvements populistes… C’est d’autant plus rageant que c’est bien Laurent Testot qui plane, quand à la fin de l’article il associe l’agriculture française ultra-subventionnée à l’ultra-libéralisme !! Attention à l’effondrement intellectuel, quand on abuse de substances illégales.  

Pourtant, le système capitaliste n’est pas blanc-bleu, et ce n’est pas parce que de nos jours il parait éternel qu’il ne mériterait pas quelques piques. Ulrich Beck par exemple a montré que la catastrophe apocalyptique y est ramenée au format de la « digestibilité privée ». De même que la menace atomique est ignorée et banalisée, dans la curiosité scientifico-technique du système la priorité va toujours aux gains de productivité ; on ne réfléchit aux menaces qu’après. « Quand on invente le bateau, on invente le naufrage », répondront les fatalistes et les cyniques. Mais ce n’est pas très satisfaisant… Et Jared Diamond marque ici des points (« En réalité, les nouvelles technologies ont toujours créé de nouveaux problèmes, en même temps qu’elles résolvaient des problèmes existants. J’avais un professeur à l’université, au milieu des années 50, qui était assez âgé pour se rappeler le moment où les voitures ont commencé à apparaître dans les villes américaines. Il racontait qu’à l’époque, les gens disaient: c’est merveilleux, avec cette invention qui nous débarrasse des chevaux dans nos rues, les villes vont enfin devenir calmes et propres »).

Les collapsologues reconnaissent que l’effondrement n’aboutirait pas précisément à un retour paisible de la quiétude des communautés agro-pastorales, mais à des choses très sales, dures au faibles (je veux dire : encore plus dures que le gouvernement d’Edouard Philippe) : ils ne font pas l’erreur de ceux qui, après avoir longtemps entendu parler de la transition de l’antiquité tardive, avaient fini par croire à une chute inoffensive de Rome. Pourtant, l’article semble refuser la mort de l’Etat (l’Etat bourgeois ?), et donc pour résumer la civilisation s’effondre mais ni le fisc ni les subventions à la presse parisienne ne s’interrompent. « Libé », plus fort que le chaos global !

3/ La collapsologie s’appuie-t-elle sur des travaux validés ?

Si Marilyn ne s’était pas effondrée, elle chanterait peut-être « Diamond is not archeologists best friend ». Certes, les travaux de Jared Diamond sont captivants, ils sont aussi fragiles, un peu comme ceux de Gavin Menzies sur la découverte de l’Amérique par une flotte chinoise en 1421. De si grandes affirmations réclament de grandes preuves. Or les deux échantillons d’effondrement civilisationnel les plus popularisés, l’anéantissement de l’île de Pâques et l’agonie des Vikings groenlandais, qui auraient valeur d’avertissement pour notre société, sont des plus douteux. 

Commençons l’île de Pâques, ce confetti de 164 km2 au milieu du Pacifique. Pour Diamond, les populations auraient détruit leur environnement au fil d’une compétition de prestige entre clans. Le transport des statues, de la carrière aux côtes, aurait nécessité énormément de bois. D’où une déforestation systématique, un écocide qui aurait entraîné la destruction du biotope pascuan. Pourtant, s’il faut appliquer un terme moderne à l’histoire pascuane, ce n’est pas celui d’écocide. Celui de génocide serait plus approprié. La chute démographique, loin de résulter d’une surpopulation suivie d’une phase de « retour à la barbarie », fut la conséquence de déportations impitoyables : Péruviens, Français et Britanniques traquèrent les hommes comme des bêtes et les forcèrent au départ, pour exploiter de lointains gisements miniers ou des plantations coloniales. Des milliers d’indigènes attestés vers 1800, il ne restait en 1890 qu’une poignée de femmes. Quant à la déforestation, elle ne résulte probablement pas de l’érection des célèbres moai. L’archéologie expérimentale a montré qu’il suffisait de peu de bois pour les déplacer. La palynologie et la comparaison avec l’histoire d’Hawaii (archipel peuplé à une date similaire par des peuples de même origine) permettent d’inférer que ce serait plutôt les rats et poulets, arrivés dans les pirogues des colons polynésiens vers 1200, qui auraient éradiqué la forêt primaire en quatre siècles, et cela n’empêcha pas la population pascuane de croître dans cet intervalle. L’homme peut être une sacrée salope pour l’homme, mais nous le savions déjà, et ce n’est pas tout à fait le sujet quand on cherche à prouver que la quasi-totalité des collectivités humaines auraient eu pour constante de détruire leur environnement au point d’en périr. 

Pour Diamond toujours, les Vikings qui avaient colonisé vers l’an mil les côtes australes du Groenland sont morts de faim trois siècles plus tard, quand un refroidissement climatique les a empêchés de se livrer à l’agriculture, à l’élevage, et au commerce avec l’Islande dont ils étaient originaires. Le tout dans un milieu aux ressources abondantes, que leurs hostiles voisins les inuits savaient exploiter ; en bref, ces fiers Vikings seraient morts d’inanition parce que des raisons culturelles leur interdisaient de se fonder sur du poisson, du phoque et de la baleine. Peu sensibles aux envolées lyriques, les spécialistes de ces questions répliquent par… Indiana Jones : « Si vous cherchez la Vérité, adressez-vous au département de philosophie. En archéologie, on ne travaille qu’avec des faits ». Or les faits archéologiques, pour être têtus, n’en sont pas moins ténus. Comment peut-on bâtir une telle cathédrale théorique avec les rares traces de la présence Viking au Groenland (des sagas attestent cette colonisation à partir de la fin du 10e siècle, et quelques murets confirment l’existence de deux villages, datés des 14e et 15e siècles) ?? Si les Vikings disparaissent au 15e siècle du Groenland, nul besoin d’imaginer une disette écologique sophistiquée, nous disent les archéologues. Tout semble indiquer que nos pragmatiques blondinets sont allés s’établir là où l’herbe était plus verte, ce qu’atteste le fait que les deux établissements connus aient été vidés de tout objet de valeur.

Oui, le monde est un polder, comme le dit joliment Diamond. Notre société globale a aujourd’hui atteint un point tel que nous sommes en mesure de changer de manière irrévocable le visage de la planète. Nous avons des capacités de prévention et de réparation bien supérieures à celles de pascuans ou des vikings, mais aussi des capacités de destruction incommensurablement supérieures. Jared Diamond restera un auteur fondamental, ses livres des réservoirs d’idées où mêmes les passages douteux offrent une lecture jubilatoire. Mais les petites sociétés avec lesquelles il tisse ses parallèles ne sont pas mortes d’avoir épuisé leur environnement ingrat. De l’Egypte à la Chine, le leitmotiv de l’histoire humaine est plutôt la résilience. Adaptation, métissage, et parfois il est vrai disparition par des invasions ou par perte progressive de l’utopie motrice, mais rarement un effondrement abrupt, comme un vase qui tomberait du bord de la cheminée.

Ce qui ne signifie pas qu’il ne faut rien faire, car nous avons désormais assez de moyens pour traiter des scénarios peu probables : si les ménages américains dépensent chaque année 50% de plus pour les pizzas que pour l’ensemble du budget de la NASA, on peut sans doute faire mieux dans l’allocation des ressources, et beaucoup mieux dans la prévention des risques extrêmes comme les pandémies par exemple. Désolé de reparler de la Suisse, car après l’article de la semaine dernière dans Atlantico on va penser que je suis la proie des idées fixes, mais eux au moins ont investis en matière de survie collective, avec leurs abris anti-atomiques ; si ça tourne mal, les trois quarts de la population mondiale seront helvètes, ce qui à part pour les sports d’hiver fait un peu peur, tout de même. 

4/ Les autres menaces, politiquement plus incorrectes, ne sont pas évoquées.

L’avantage, avec la théorie de l’écocide vitesse grand V, de l’effondrement par prédation des ressources, c’est qu’elle est médiatiquement compatible : c’est de notre faute (culpabilisez), le fruit de nos excès (expiez) et de notre refus d’écouter les nouveaux prophètes de la collapsologie (agenouillez-vous). Une comète géante par contre n’est pas un risque endogène, et appellerait un surcroit d’investissements technologiques (à moins de croire dans ces films où un croiseur interstellaire de la taille du Texas peut être dévié par Bruce Willis). La guerre nucléaire, nous le verrons plus bas, fait paradoxalement figure de bouclier avec la dissuasion, et occasionne une peur trop religieuse pour ne pas être occultée au quotidien. Et le scénario Matrix, ou Terminator ? Quand Elon Musk a analysé les risques liés aux progrès exponentiels de l’intelligence artificielle, il s’est heurté à un mur de commentaires hostiles, car le scénario n’est pas maitrisé par grand monde (alors même qu’il est pré-acheté pour une notable partie de la croissance future). La chute de la natalité a des allures trop réactionnaires pour figurer dans Libération (Pierre Manent : “Je suis très surpris de la léthargie des Européens qui semblent consentir à leur propre disparition. Pis : ils interprètent cette disparition comme la preuve de leur supériorité morale »). Idem pour le risque de glaciation morale, pourtant déjà omniprésent, il me semble (Max Weber : « les hommes risquent de rester enfermés dans des activités dont les moyens seront calculés rationnellement, mais dont les fin non renouvelées auront de moins en moins de signification pour eux »). Quant à la génétique, elle peut faire très peur, mais rend aussi des services à certaines catégories de population, hashtag pas de vague. Puisque la tendance au catastrophisme a horreur du vide, la collapsologie JaredDiamondiste dispose donc d’un boulevard ; mais n’est-ce pas au fond parce qu’elle ne dérange personne ?     

Seul point d’accord avec l’article, cette idée selon laquelle la littérature, en l’occurrence la science-fiction, peut être d’un recours plus précieux que la plupart des rapports d’experts pour penser les scénarios de l’extrêmistan (je recommande par exemple « Des signaux avant la ruine » de Jeannine Verdès-Leroux, qui montre la dimension prophétique de Pasternak ou de Boulgakov quant à l’effondrement soviétique, là où les experts en géopolitique dissertaient sur l’éternité de l’URSS). Mais de quelle SF faudrait-il parler ici ? Certainement pas de cette science-fiction post-apocalyptique évoquée par Pierre-Henri Castel, qui est le plus souvent médiocre, sectaire, pleine de clichés et écrite dans un style lui-même apocalyptique. Je crois plutôt à la SF des lois de la robotique avant les robots modernes, des tubes cryogéniques avant les délires du transhumanisme. Je pense à l’Histoire du futur de Robert Henlein (rien que le titre fait penser au zakhor des juifs, ce « souviens-toi du futur » qui invite à vivre messianiquement), à Fondation d’Asimov (pour le « plan B », que nous verrons plus bas), à la deshumanisation des univers de Gattaca ou des Repomen (nous y sommes déjà un peu, non ?), à la belle dystopie de Greg Bear dans Eon, au pansexualisme triste du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, à la contagion de l’Armée des 12 singes dans un monde de plus en plus connecté (Ebola…), etc. L’effondrement, qu’il soit galactique ou intérieur, est un thème passionnant, on le sait depuis Edward Gibbon au moins ; mais il va bien au-delà du seul écocide, et il n’a rien à voir avec « les utopies de la Renaissance » chères à Pierre-Henri Castel, toujours soucieuse de l’ordre. On est là plus proche de la vaine des anti-utopies, plus proche de Boule ou de Bradbury que de Campanella et Moore, plus proche du chaos post-Romain que du bel agencement des phalanstères. 

La bonne SF part de tendances déjà à l’œuvre et anticipe génialement, sans se prendre pour de la haute science et en se concentrant sur l’Homme ; la collapsologie pour l’heure extrapole sur des bases marécageuses qui se croient scientifiques, et en dit plus long sur ses auteurs que sur les autres. 

5/ Les délais et les contours ne sont pas spécifiés : un chaos flou et mou, une absence de réfutabilité.

Dans le monde merveilleux de la collapsologie, les enchainements dramatiques s’affranchissent des contraintes bassement spatio-temporelles. Pour durer, cela vaut peut-être mieux. Quoique. Christophe Colomb écrivit que la fin du monde arriverait dans 150 ans tout au plus. Plus rigoureux, Nicolas de Cues annonça que la victoire sur l’Antéchrist aurait lieu entre 1700 et 1734. Luther déclara : « nous avons atteint le temps du cheval blême de l’Apocalypse (…) ce monde ne durera pas plus d’une centaine d’années ». Je proteste. Le fondateur des Témoins de Jéhovah, Charles Taze Russell, annonçait la fin des temps pour 1914 (pas si mal vu, mais raté quand même). Le temps du monde fini commence, annonçait Paul Valery, peu de temps avant les découvertes spatiales (on découvre désormais des exo-planètes tous les jours, et du méthane sur Mars, entre autres choses) ; le bon maître me le pardonne.

Si j’étais collapsologue, au lieu de perfectionner la boule de cristal, je pousserais plutôt à la définition d’un moins mauvais taux d’actualisation, car cette réflexion n’est pas très poussée chez les assureurs et elle reste l’un des angles morts de l’économie et de la finance. L’abaissement drastique du taux d’actualisation se justifierait très bien, quand on voit les données de marché (taux d’intérêt en particulier), et il n’y a que de cette façon que l’on peut faire ressortir concrètement des scénarios catastrophiques pas forcément très proches : avec un taux d’actualisation annuel à deux chiffres, pourquoi voulez-vous que la société se soucie d’un évènement même dramatique à l’horizon de 20 ans ? C’est bien sur le temps qu’il faut travailler, pas pour le ralentir mais pour lui donner sa chance de nous édifier.

Petit passage corporatiste. De façon générale, les facteurs naturels sont souvent montés en épingle par les non-économistes. C’est Amartya Sen qui a démontré que la famine des temps modernes est un phénomène toujours politique, jamais naturel. Quant aux ressources, elles sont finies, certes oui, mais… la définition de « ressource » se déplace sans cesse : les fréquences hertziennes, l’insuline, le pétrole sont de nos jours des ressources, grâce à l’ingéniosité humaine ; elles n’en étaient pas jadis, on ne savait même pas que cela existait. La ressource la plus rare sur Terre, c’est encore et toujours la matière grise, de mieux en mieux rémunérée ; si les matières premières manquaient, leurs prix de long terme décolleraient, ce qui n’est globalement pas le cas. Ce qui ne signifie pas qu’il faille faire n’importe quoi, gâcher les ressources, naturelles ou non, tout au contraire ; et c’est bien pourquoi les économistes mettent partout des prix, des droits de propriété, des taxes carbone, au moins depuis Pigou et Coase. Pour penser et gérer la rareté, nous n’avons pas attendu les collapsologues : c’est le fond de notre discipline. Des formules comme « celui qui croit qu’une croissance infinie peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou soit un économiste » sont amusantes, mais foncièrement fausses : prosaïques, les économistes ont du mal avec l’infini, et ils misent sur le fait que des ressources restent latentes, les nouvelles frontières du magnétisme pour ne prendre qu’un exemple.  

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