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"Tu as l’autorisation de l’Élysée !" : l'ex-patron du RAID raconte l'intervention à l'Hyper Cacher
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Bonnes feuilles

Jamais un chef du RAID n'aura dû faire face à autant d'attaques terroristes en quatre ans passés à la tête de la plus prestigieuse unité d'élite de la police. De 2015 à 2017, Jean-Michel Fauvergue s'est confié à Caroline de Juglart, journaliste à M6. Il raconte son histoire et celle de son unité de l'intérieur. Extrait de "Patron du RAID - Face aux attentats terroristes" de de Jean-Michel Fauvergue et Caroline de Juglart, publié aux Editions Mareuil. 1/2

Jean-Michel Fauvergue

Jean-Michel Fauvergue

Jean-Michel Fauvergue a été chef du RAID de 2013 à 2017. Expert en sécurité, il a conseillé Emmanuel Macron pendant sa campagne présidentielle. Depuis 2017, il est député de la 8e circonscription de Seine-et-Marne sous l'étiquette La République en marche.

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Un peu avant 17 heures, les frères Kouachi sortent soudainement de l’imprimerie et chargent les forces de l’ordre en espérant faire le plus de morts possible. Rien ne se passe donc comme prévu ? En effet, mes deux officiers, qui sont restés sur place à Dammartin- en-Goële, et les deux officiers du GIGN près de moi m’informent en direct : « C’est l’assaut à Dammartin ! Ils sortent tous les deux ! » À partir de là, tout va très vite. Je ne veux pas que Coulibaly ait le temps de se rendre compte de quoi que ce soit ou qu’il entre en contact téléphonique avec les frères Kouachi. Je demande à Bernard Petit, qui se trouve au PC autorité, une autorisation d’assaut immédiate. « C’est bon, tu as l’autorisation de l’Élysée ! » m’assure-t-il dans les secondes qui suivent. Le Premier ministre s’adresse alors aux chaînes de télévision et leur demande expressément de ne pas diffuser d’images en direct. Notre plan d’attaque est prêt. Les snipers sont positionnés. La Sécurité civile, la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, le Samu et le médecin-chef du RAID sont à leur poste. Je confie mon téléphone portable à mon chauffeur. Nous donnons l’assaut.

Avec quelle stratégie ?
D’abord, les artificiers du RAID placent 120 grammes d’explosifs sur la porte arrière de la supérette. Nous aurions pu le faire avant, ce qui aurait été plus simple, mais les médias suivant tous nos faits et gestes en direct, Coulibaly aurait pu l’apprendre en regardant la télévision. Simultanément, les négociateurs du RAID et de la BRI établissent un troisième contact avec le terroriste avec pour but de détourner son attention. La colonne de la BRI, dont le rôle est de pénétrer dans la supérette par la porte arrière une fois que la porte aura explosé, est prête à intervenir. Mais il n’est pas sûr qu’elle puisse entrer aisément à l’intérieur du magasin car, d’après des témoins, le terroriste aurait placé juste derrière des palettes chargées de denrées alimentaires. Cela a bien évidemment été pensé à l’avance. Pour la BRI, la mission sera donc de capter l’attention de Coulibaly en ouvrant le feu à l’arrière pendant que les opérateurs du RAID tenteront de s’infiltrer par l’entrée principale à l’avant. Objectif : créer un effet de surprise à revers.

Dans les faits, comment cela se passe-t-il ?
La porte arrière explose. Comme prévu, la colonne de la BRI engage le feu à travers cette porte tandis que deux colonnes du RAID s’élancent pour gagner l’avant du magasin sous la protection du véhicule blindé de la BRI. Les négociateurs sont en ligne avec le terroriste lorsqu’il entend la première explosion sur la porte arrière. « Ah, tu veux me fusiller ? dit-il au négociateur de la BRI. — Tu voulais mourir en combattant alors maintenant, vient affronter la police ! » lui répond celui-ci avec à-propos. Les deux colonnes du RAID progressent de chaque côté de l’entrée principale, à l’avant de l’Hyper Cacher. Un des opérateurs actionne l’ouverture du rideau de fer en utilisant la clé remise par Lassana Bathily. Nous prenons d’infinies précautions car nous ne savons pas précisément où se trouvent les otages. À l’arrière, les hommes de la BRI perturbent le djihadiste avec des tirs mais ne peuvent pas entrer. Surpris par les coups de feu, Coulibaly lâche son téléphone. La colonne du RAID avance sous grenadage. Une grenade offensive se loge dans un faux plafond, ce qui provoque un léger effondrement. Le terroriste pense alors qu’il y a des policiers sur le toit. De nombreuses grenades explosent. L’effet de surprise est total.

Protégé par un lourd bouclier pare-balles, le premier homme de la colonne d’assaut du RAID s’introduit dans la supérette ; son rôle est de capter l’attention du terroriste, au risque bien sûr de servir de cible. Sa consigne est d’entrer par la gauche et d’aller encore plus à gauche mais il bifurque sur la droite car tous les otages sont en réalité massés à gauche. Il détourne ainsi le champ de tir du terroriste. Debout au fond de la supérette, Coulibaly est dans la ligne de mire. Sidéré, il ne pense plus aux otages et fonce sur nous en nous mitraillant à la kalachnikov. La riposte ne se fait pas attendre. Coulibaly parcourt quelques mètres puis tombe à terre à l’entrée de la supérette, mortellement touché. Aussitôt des cris fusent. Sains et saufs, les otages sortent tous en courant et sont récupérés par les équipes judiciaires de la BRI / DCPJ. Les cinq opérateurs blessés dans l’affrontement (quatre du RAID et un de la BRI) sont eux immédiatement évacués vers les ambulances.

Quelle est la position des chefs pendant l’assaut ? La vôtre et celle du chef de la BRI ?
Avant l’assaut, le chef de la BRI, Christophe Molmy, est à mes côtés. Je partage avec lui toutes mes décisions sur le plan opérationnel. Nous sommes d’accord sur le plan d’intervention et les missions de chacun. Pendant l’assaut, je suis à l’arrière de l’une des colonnes du RAID, avec L2 et L4. Christophe Molmy, lui, équipé en lourd, se faufile dans sa colonne d’intervention. Certains ont dit que ce n’était pas sa place mais peu importe, je comprends cette envie et cette nécessité d’être avec ses hommes.

L’assaut dure à peine quelques minutes… Puis tout est fini ? Non, pas du tout. Un deuxième terroriste peut être encore caché quelque part. Nous devons tout inspecter : les sous-sols, les alentours… J’entre à mon tour à l’intérieur de la supérette, élève la voix et rétablis le silence. Je m’adresse à l’un de mes officiers pour faire un point précis :

« Combien de morts ?

— Quatre, à l’intérieur de la supérette.

— Combien d’opérateurs blessés ?

— Cinq.

— Combien d’otages morts ou blessés pendant notre intervention ?

— Zéro.

— Des explosifs ?

— Oui, c’est piégé au rez-de-chaussée du magasin.

— Ok, appelez les démineurs et faites les sous-sols en prenant toutes les précautions. »

Mon chauffeur, à qui j’ai confié mon téléphone portable et qui me suit de près, communique en temps réel avec L3, qui se trouve toujours dans le salon Fumoir et qui retransmet toutes les informations au DGPN et au secrétaire général du ministre de l’Intérieur :

« Le terroriste est mort. Les otages sortent !

— Ils sortent tous ?

— Oui. Et ils sont tous indemnes !

— Vous confirmez ? Tous indemnes ? Vous êtes sûr ?

— Oui, oui. Je confirme. Absolument. Affirmatif ! »

Le message parvient aussitôt au président de la République et au ministre de l’Intérieur, qui sont à l’Élysée et qui suivent les événements à la télévision, pendant que le préfet de Police les informe téléphoniquement. Après ce premier rapport, je vais voir mes gars qui sont blessés aux jambes. Matthieu Langlois, mon toubib, me rassure : « Leur état n’est pas préoccupant, sauf pour un peut-être… » (Son cas ne sera finalement pas grave.) Déjà installés dans les ambulances, ils sont conduits à l’hôpital. J’apprends que l’intervention est aussi terminée à Dammartin- en- Goële. Les frères Kouachi sont sortis en tirant sur le GIGN mais ils ont vite été neutralisés. Toujours près de moi, les deux officiers du GIGN m’assurent qu’aucun gendarme n’a été blessé. Il n’y a pas de terroriste dans les sous-sols. L’opération est terminée.

Extrait de "Patron du RAID - Face aux attentats terroristes" de de Jean-Michel Fauvergue et Caroline de Juglart, publié aux Editions  Mareuil.

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