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"Toutvent", l'autre "Jarnac" de François Mitterrand
©DR

Bonnes feuilles

En s'appuyant sur le souvenir de récits, Frédéric Mitterrand a cherché à reconstituer l'enfance de François, à partager ses premières affections et ses chagrins, ses émotions et ses ambitions. "J'en ai conçu une profonde nostalgie pour ce pays de l'innocence qui fut celui de sa prime jeunesse." (Extrait de "Le Pays de l’innocence" de Frédéric Mitterrand, publié aux éditions Robert Laffont 2/2)

Frédéric Mitterrand

Frédéric Mitterrand

Frédéric Mitterrand est ancien ministe de la Culture et de la Communication. Il est notamment l'auteur de  La Récréation (Prix du livre politique 2014), Une adolescence (2015), Mes regrets sont des remords (2016), et Le Pays de l'innocence (2017) tous parus chez Robert Laffont.

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Frédéric Mitterrand prend la voix de son oncle, François, pour cet ouvrage.

Papa Jules possédait un vaste domaine tout au sud de la Charente : Toutvent. Isolé, loin de tout, une bonne journée pour y parvenir : tortillards, changements, voitures à cheval. La famille s’y rendait pour les grandes vacances, un vrai convoi avec armes et bagages. La maison de maître était belle et suffisamment grande pour loger tout le monde. On se fichait bien qu’elle fût sans électricité ni eau courante, avec les commodités au fond du jardin ; jamais moins de vingt personnes à table avec les amis de passage, la société des alentours. Déjà libres dans l’enclos de Jarnac, nous l’étions encore plus aux horizons sans limites de Toutvent. Maman craignait pour ma santé, Papa Jules et Maman Nini voulaient toujours me garder, j’y restais plus longtemps que mes frères et soeurs. Plus d’une centaine d’hectares avec des fermes, des métairies, la vie rustique bien différente de celle de Jarnac avec des paysans qui soulevaient leur chapeau devant monsieur Lorrain, le patron social qui avait l’oeil à tout et achetait le bétail à l’étranger. Papa Jules apportait sans cesse des améliorations. Il était particulièrement fier de l’allée de tilleuls qu’il avait fait planter et qui dessinait une allée majestueuse pour conduire à la maison. On lui avait dit qu’ils ne prendraient jamais mais c’était mal le connaître, tout prenait avec Papa Jules, même les recettes de cuisine les plus difficiles à réaliser qu’il consignait scrupuleusement sur un grand cahier pour le futur trousseau de ses petites-filles.

Les veillées étaient une autre fête. Nous étions à la frontière du pays d’Oc et du pays d’Oïl, Papa Jules nous régalait des chansons en patois saintongeais de Burgaud Des Marets et puisait dans le répertoire de Goulebenéze, le délicieux barde qui avait adapté La Madelon à son parler poétique. Cependant, Maman Nini imposait aussi la discipline, régentant une petite armée de domestiques, implacable sur les règles de politesse et de respect, les horaires des repas et les bonnes manières à table. Je lui donnais beaucoup de fil à retordre en testant son autorité. Il était interdit aux enfants, par exemple, de toucher aux services en porcelaine, de peur qu’on ne les brise, et j’approchais mon doigt sur la table à thé au plus près des tasses en protestant que je ne les effleurais même pas. Cette impertinence et d’autres encore me valaient d’être enfermé dans un placard ; j’y gardais le silence au lieu de me plaindre et de crier, à tel point que Maman Nini, inquiète, venait bientôt me délivrer, vaincue, confrontée à mon sourire moqueur. Maman Nini soupirait : « Cet enfant ira loin, mais il me rendra folle. »

Extrait de "Le Pays de l’innocence" de Frédéric Mitterrand, publié aux éditions Robert Laffont 

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