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"Quelques minutes de vérité” : quand Sarkozy donne une leçon à Juppé
©Reuters

Bonnes feuilles

Anna Cabana publie chez Grasset "Quelques minutes de vérité", livre dans lequel elle raconte ses mésaventures de journaliste et autres anecdotes croustillantes. Extrait (1/2).

« Nicolas Sarkozy à Bordeaux accueilli par Alain Juppé, mes chers amis, une ovation. » Cette fois, ils arrivent vraiment. Ils ne se touchent pas. Pas du tout.

Electricité dans l’assistance.

Et là, des sifflets visent Juppé. Les deux hommes marchent côte à côte vers l’avant de l’estrade. A cet instant – mais est- ce une vue de l’esprit ? – j’ai eu l’impression que Sarkozy avait rallongé de contentement et Juppé rétréci sous l’effet de la rage. Le premier met alors le bras derrière le deuxième. Qui évite l’accolade en fonçant vers le pupitre. Il est blême.

« Cher Nicolas, bienvenue à Bordeaux. » Fusent de fervents « Nicolas, Nicolas ». Juppé se momifie.

« Je suis plus que jamais convaincu qu’il faut un large rassemblement de la droite et du centre. » Des cris résonnent. « Hou ! Hou ! » Ces huées qui feront l’ouverture des journaux télévisés de 20 heures et qui ont redoublé quand l’ancien Premier ministre a ajouté qu’il fallait « préparer une primaire ouverte ». « Nicolas, Nicolas », répliquent une poignée de militants. Juppé est tendu comme un ressort qui ne veut pas lâcher : « Vous me connaissez, je ne suis pas du genre à me laisser impressionner par des mouvements de foule. Nous aurons des primaires ouvertes. » Des « Non ! » déchirent le public. Assis comme Foulon sur un petit fauteuil en similicuir, non loin du pupitre, Sarkozy opine.

Après ce mini-discours verglacé, Juppé descend prestement de la scène et va s’asseoir au premier rang, entre Michèle Alliot- Marie et Nathalie Kosciusko- Morizet. Sarkozy lui succède derrière le pupitre. Aussi réjoui que Juppé était marbré. « J’ai voulu venir à Bordeaux, j’ai appelé Alain Juppé. Alain et moi nous nous sommes rencontrés, pardon de le rappeler Alain, en 1975. Ça ne se voit pas physiquement… » On ne saurait mieux dire que Juppé n’est plus tout jeune.

« Pour notre famille politique, avoir un homme de la qualité d’Alain Juppé, c’est un atout, ce n’est pas un problème. » Le fait même de le dire est une perfidie.

« J’aurai besoin de vous tous, et notamment de toi, Alain, ta place est avec nous. » Ce qui est une façon de se situer au- dessus.

Quelques minutes plus tard : « Comment voulez- vous qu’on nous fasse confiance, si moi venant à Bordeaux, Alain ne m’accueille pas ? Ou si je dis : “J’irai partout sauf à Bordeaux” ? » Il faut voir comment ça l’amuse, de décrire l’air de rien le piège qu’il a tendu à Juppé. Il fait des clins d’oeil. La salle rit.

« Vous savez, Alain s’en souvient, j’ai eu droit à des sifflets dans ma famille politique. On les a sentis, quand on est entré avec Alain. C’est ça, la vie. » Au cas où quelqu’un n’aurait pas entendu les huées contre Juppé à leur arrivée… Ô la vilaine compassion.

« Au moment des primaires, ça va être tellement bon de pouvoir débattre. » Ce disant, un sourire gourmand barre le visage de Sarkozy. Il ferme ses poings et les lève. Il aime l’odeur de la poudre.

A 17 h 13 retentit la Marseillaise. Juppé est le dernier à monter sur la scène. Il s’ingénie à éviter de se retrouver à côté de Sarkozy, atterrit près de Michèle Alliot- Marie, Nathalie Kosciusko- Morizet et Laurent Wauquiez. A la fin, alors qu’il s’apprête à descendre, il se ravise, va vers Sarkozy, qui a la main en l’air en signe d’énergie et de victoire ; Juppé se penche vers lui, tête un tout petit peu baissée et main tendue, « Nicolas, je vais y aller », ils se serrent la main quelques instants sur le devant de la scène, puis Juppé s’en va, puis il revient, il retend la main ! On se pince. Décidément, ce sera clowneries et compagnie jusqu’au bout.

Le plus cocasse, c’est que les photographes, que je suis allée voir à l’issue du « spectacle », étaient désappointés : aucun d’eux, m’ont- ils dit, n’avait réussi à faire une photo où Juppé n’ait pas l’air crispé.

Sarkozy ne l’a pas conçu ainsi, mais, en lui faisant vivre ça – l’enfer… – deux ans presque jour pour jour avant la primaire, il a rendu un vrai service à Juppé. Pour peu, bien sûr, que ça serve de leçon. Si l’on veut battre Sarkozy, il ne faut pas fuir le corps à corps. Et encore moins lui laisser le monopole de la gourmandise. Il faut y mettre de la malice. Parce que, dans la baston, Sarkozy prend du plaisir.

Extrait de "Quelques minutes de vérité", de Anna Cabana, publié chez Grasset. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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