"Papers, Please" : le jeu vidéo qui vous fera vous détester (mais en apprendre beaucoup sur vous-même)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Dans le jeu "Papers, Please", vous devez inspecter les papiers d'immigrants et de visiteurs pour décider de leur droit de passage.
Dans le jeu "Papers, Please", vous devez inspecter les papiers d'immigrants et de visiteurs pour décider de leur droit de passage.
©Capture d'écran

Rien à déclarer

Dans "Papers, Please", vous incarnez un douanier à la frontière d'un pays communiste factice. Le but : déceler, parmi la foule des migrants, les passeurs, les espions et autres terroristes. Qui arrêter ? Qui laisser passer ? Tout dépend de vous. Un jeu vidéo sordide auquel vous serez bientôt accro.

Michael Stora

Michael Stora

Michael Stora est l'auteur de "Réseaux (a)sociaux ! Découvrez le côté obscur des algorithmes" (2021) aux éditions Larousse. 

Il est psychologue clinicien pour enfants et adolescents au CMP de Pantin. Il y dirige un atelier jeu vidéo dont il est le créateur et travaille actuellement sur un livre concernant les femmes et le virtuel.

Voir la bio »

Un visuel sobre. Une ambiance oppressante. Et surtout, un pitch pour le moins original : "Félicitations. Votre nom a été tiré au sort par le ministère du Travail. Vous êtes admis au poste frontière de Greslin". Dans le jeu vidéo "Papers, Please", sorti début août, vous incarnez un douanier à la frontière d'Arstotzka, un pays fictif qui fait penser à l'ex-URSS. Votre mission : inspecter papiers, visas, photos d'immigrants et de visiteurs pour décider de leur droit de passage. Tout cela dans le simple et unique but de loger et de nourrir votre famille.

"Au début assez facile, la fonction se complexifie à mesure que le contexte se tend à nouveau avec le pays voisin", explique le site spécialisé Rom-Game. Chaque jour comporte son lot de "surprises" : passeurs cachés, espions, terroristes. Et simples civils. Qui laisser passer ? Qui rejeter ? Qui arrêter ? C'est à vous de le décider. L'erreur n'est pas tolérée : il en va de votre salaire, de votre liberté, et par conséquent, de la survie de vos proches.

Le site La Presse résume ainsi tout l'enjeu de "Papers, Please" : "Nos choix auront des conséquences. Nous pouvons devenir un héros tout en ne respectant pas l'allégeance à notre pays. Nous pouvons aussi être zélés à souhait, monter dans la société tout en profitant du malheur de certains innocents. C'est au joueur de voir ce qui va le mener à l'une des 20 fins possibles".

Répétitif, angoissant, cynique. Comment ne pas détester ce travail sordide, digne d'un agent du KGB ou de la Stasi ? Pourtant, la quasi-totalité des testeurs de jeux vidéo l'affirment : "Papers, Please" est addictif, son aspect dérangeant est hypnotisant. "Que faire [...] face à la vulnérabilité des autres lorsque [...] sa famille proche dépend de son zèle ?", interroge Rom-Game. Serez-vous un fonctionnaire conciliant ou un bureaucrate corrompu ?

Mais comme le souligne le site Slate, il n'existe pas de façon "propre" de jouer à ce jeu. A un moment ou à un autre, "vous allez forcément regretter une décision que vous avez prise. Quelqu'un va forcément souffrir - vous, des citoyens, le gouvernement, votre famille." "Papers, Please" vous oblige à faire des choix cornéliens. Autant de choix qui se font, dans 99% des cas, à la tête du client. Et la critique est unanime : "brillant".

Atlantico.fr a posé quelques questions à Michael Stora, psychologue et psychanalyste, cofondateur de l’OMNSH (Observatoire des mondes numériques en sciences humaines).

Atlantico : Aussi sordide soit-il, ce jeu vidéo rend accro les joueurs. Comment l'expliquer ?

Michael Sorda : C'est d'abord un jeu bien pensé, avec un gameplay de qualité. Il peut rendre accro car il nous donne un statut : à travers le personnage du douanier, le joueur se sent d'emblée identifié. Le jeu révèle que nous avons tous en nous ce douanier omnipotent et autoritaire qui décide du sort de tout un chacun. La plupart du temps, dans notre vie personnelle et au sein de la société, nous n'avons aucune responsabilité, alors nous avons parfois besoin de faire "comme si". Il n'y a qu'à voir les autres jeux vidéos : on incarne rarement des personnages sans responsabilité, comme des sans-papiers par exemple. Mais "Papers, Please" innove dans le sens où on n'incarne pas un héros d'enfance mais un héros ordinaire, proche de l'autorité parentale.

N'y a-t-il pas aussi une part de sadisme à jouer ainsi avec le destin des autres personnages ?

Ce jeu nous propose effectivement d'alimenter de manière progressive notre sadisme et notre omnipotence en nous donnant un masque, celui du flic. C'est un mécanisme qui révèle le loup présent en chacun de nous. Ce qui est intéressant, c'est que ce jeu fait ressortir un conflit psychique, et jouer avec sa culpabilité est tout à fait thérapeutique ! Le jeu a toujours eu la fonction d'une mise en scène de ses pulsions agressives. Quand une fille joue à la poupée, il lui arrive de la maltraiter. Concernant le jeu vidéo, on peut se rassurer en se disant que les êtres humains ont une éducation qui les empêche de passer à l'acte.

Existe-t-il d'autres jeux de ce type ?

Je ne suis pas vraiment un gros gamer donc rien ne me vient à l'esprit… D'habitude, les jeux qui marchent bien ne sont pas ceux où l'on incarne un fonctionnaire. On pourrait rapprocher "Papers, Please" de "Grand Theft Auto" (GTA), mais à un niveau totalement inverse car on y incarne un gangster qui se sert d'armes. Mais c'est le même principe : on nous propose de porter un masque.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !