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"Otage d'In Amenas, comment j'ai réussi à m'enfuir"
©Reuters

Bonnes feuilles

Prise au piège pendant vingt-cinq heures dans l'enfer de la prise d'otage massive d'In Amenas, Murielle Ravey, "medic" du site gazier algérien attaqué le 16 janvier 2013, est la seule rescapée française du massacre. Extrait de "In Amenas, histoire d'un piège" (1/2), éditions La Martinière.

Le groupe semble se mettre en mouvement vers la sortie. Mais, alors que les premiers atteignent enfin la porte, il y a encore un coup d’arrêt. Et à nouveau, le ton commence à monter. Les cris reprennent. Farid m’explique d’une voix paniquée :

– Ils pensent que, si on sort, on va se faire tuer par l’armée. Il faut absolument les prévenir qu’on va sortir. Vous n’avez pas un moyen de communication ?

– Mais si ! On a l’Immarsat, on vient de le charger. Mais qui voulez- vous appeler ?

– Ma famille ! Et eux sauront qui appeler, qui prévenir, donne- moi l’Immarsat !

Je traduis pour Bob, qui me remet le téléphone satellite. Dans ce qui ressemble de plus en plus à une bousculade, entre l’alarme et le brouhaha, Farid se concentre pour composer un numéro, mais il se rend compte que l’engin ne parvient pas à capter un signal satellite. Et si les terroristes nous cueillaient maintenant ? Et si nous sortons et que l’armée nous abat un à un ? Farid attrape enfin une petite barre de réseau. Son pouce compose à toute vitesse.

Il semble y avoir une tonalité. Puis trois. Puis cinq. Puis dix. Le jeune ingénieur algérois s’agite. Les cris sont de plus en plus forts autour de lui. Pas de réponse.

Dans la cohue, je tombe encore sur Djamel.

– Et au fait, c’est toi qui as pris la pince ?

– Oui, j’ai découpé le grillage avec. C’est fait.

Il n’y a plus qu’à partir, c’est déjà ça.

Bob, Ian et Alan sont derrière moi, en tenue. Bob et Ian portent la même large veste que moi. Alan a enfilé la combinaison que je lui avais laissée hier pour qu’il se réchauffe, mais il ne porte pas de bonnet. Dans le groupe, ses cheveux, blonds, coupés au bol jusqu’aux oreilles, détonnent. D’autant qu’Alan mesure un mètre quatre- vingts. Je fais un saut dans ma chambre, car j’ai un deuxième bonnet.

– Tiens, enfile ça, cache tes cheveux !

Dans le couloir, les cris semblent s’estomper peu à peu. Nous piétinons. Nous ne sommes pas dans un avion en feu mais j’aimerais que les gens de la première rangée cessent d’hésiter et ouvrent enfin la porte. Et puis, d’un seul coup, j’aperçois que le groupe de tête est déjà sorti. Nous cessons de piétiner : nous marchons.

Il est 7 h 10, et nous entamons notre évasion. Quatre expatriés. Vingt-deux Algériens.

Une fois la porte franchie, à l’extérieur, une bonne dizaine de mètres nous séparent du grillage. Je reste à côté de Bob. Il avance lentement. Je croise le regard de Mourad. J’y vois beaucoup d’assurance. Son plan, il y croit. J’ai envie d’y croire moi aussi. Je n’ai pas envie de subir. Je n’ai pas envie de mourir en ayant attendu que le blast de l’explosion de l’usine me souffle ou qu’une balle de djihadiste se loge à l’arrière de mon crâne. Malgré l’alarme, je crois entendre, faiblement, le chant d’un oiseau venu annoncer l’aube avec un peu de retard. Un oiseau en plein désert qui, lui, a fait la grasse matinée.

Extrait de "In Amenas, histoire d'un piège - Témoignage de la rescapée française du massacre",  Murielle Ravey et Walid Berrissoul, (Editions La Martinière), 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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