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"Nous avons tourné la page de 30 ans d'inefficacité" : ces "détails" encore à régler pour qu'Emmanuel Macron allie les résultats à la parole
©YOAN VALAT / POOL / AFP

Robin des bois à l’envers ?

En chute dans les sondages après trois mois à l’Elysée, le chef de l'Etat a accordé un entretien-fleuve au magazine Le Point. L’occasion de revenir sur les polémiques de l’été, d’esquisser sa feuille de route....et tenter de reprendre la main.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Suite à une forte baisse de sa popularité au cours de ces derniers mois, mesurée par plusieurs instituts de sondage, Emmanuel Macron tente de reprendre la main au travers d'une interview donnée à l’hebdomadaire Le Point de ce 31 août. ​Si l’exécutif semble mettre en cause des problèmes de communication, le problème de fond ne peut être écarté. Que peut faire Emmanuel Macron pour donner un nouvel élan à son quinquennat ?  

Nicolas Goetzmann : C'est le premier enseignement de cette interview donnée au Point : le contexte. Face à une forte baisse de sa popularité, Emmanuel Macron veut "expliquer" son projet aux Français. Le signal donné est donc de dire "si ma popularité baisse, c'est parce qu'ils ne m'ont pas compris". Le second enseignement, c'est que la lecture est monotone, et il faut le dire, un peu ennuyeuse. Le niveau de conformisme de la pensée exposée est un choc en lui-même.

L'exposé relatif à la loi travail est un bon exemple. Emmanuel Macron fustige les commentateurs qui n'ont pas la hauteur de vue nécessaire à la compréhension de son projet, il prend alors le temps d'inscrire cette réforme dans un objectif de long terme. Et là, lorsque l'on découvre ce qu'est l'objectif qui mérite autant d'efforts, nous lisons "la libération des énergies" : un vrai discours de golfeur du samedi matin, pour atteindre un même niveau de caricature. La libération des énergies, c'est l'équivalent de la "fée confiance", qui a été si largement moquée aux États Unis. Et cela marque une personnalité qui, on le voit dans un autre passage, s'est enfermée dans l'idéologie. Cet extrait le démontre "Il faut regarder les choses en face: nous sommes la seule grande économie de l'Union européenne qui n'a pas vaincu le chômage de masse depuis plus de trois décennies".

Le président répète ici ce qu'il avait déjà indiqué la semaine passée, alors qu'il s'agit clairement d'une erreur. Les grands pays européens, en excluant le Royaume Uni, qui dispose de sa monnaie, ce sont : l'Allemagne (moins de 4% de chômage), la France (plus de 9%), l'Espagne (17%) et l'Italie (11%). L'anomalie n'est donc pas française, mais allemande, aucune autre "grande économie" ne s'est débarrassée de son chômage de masse. Et si l'on souhaite être rigoureux, en évitant de comparer les pays entre eux, on doit voir la zone euro comme ce qu'elle est ; un ensemble. Et on y constate un taux de chômage supérieur à 9%. Le problème découle donc de la gestion économique de la zone euro, et non d'un pays en particulier. Le fait de refuser de voir cette réalité et d'exposer une croyance infondée comme diagnostic prioritaire montre bien qu'il ne s'agit pas d'un pragmatisme découlant des faits, d'un contexte, mais bien d'une idéologie. Quand on a un marteau dans les mains, on voit des clous partout, pour rester dans les poncifs.

Cette interview ne fait donc que confirmer la direction prise par ce quinquennat. Une politique qui correspond en tous points à ce qui a déjà été proposé depuis 30 ans. Une pensée conforme. Et pourtant Emmanuel Macron dit "Nous avons tourné la page de trois décennies d'inefficacité pour nous engager sur la voie de la reconstruction qui permettra la réconciliation". Outre l'arrogance métallique dont il fait preuve à l'égard de ses prédécesseurs, on se demande quelle est la cible de cet attaque. La construction européenne et la mise en place de la monnaie unique au cours de ces 30 dernières années ? C'est ça l'inefficacité ?

Une "reprise en main" aurait pu consister en un changement de ligne politique, ce qui peut toujours arriver, il n'y a pas de raison de penser qu'Emmanuel Macron est incapable de changer d'avis. Mais lorsqu'il évoque la notion de "monde libre", qui surgit tout droit d'un vocabulaire des années 80, on se prend à douter.

Erwan Le Noan : Pourquoi Emmanuel Macron est-il devenu "impopulaire" ? Pour trois raisons au moins. D’abord, parce qu’il a été élu avec 18% des voix des inscrits au 1er tour : cela ne l’empêche pas de gouverner (et ne le rend pas moins légitime à le faire), mais rappelle que le socle d’électeurs qui adhèrent parfaitement à sa candidature est faible.

Ensuite, parce qu’il a promis un forme de « rupture », de basculer d’un ancien monde à un nouveau… et qu’en pratique on ne voit rien venir. Les réformes économiques qu’il propose sont souvent intéressantes, mais elles ne sont pas des réformes radicales, de "transformation" ; ce sont des amendements au modèle social-démocrate d’Etat Providence, une forme de continuation de la politique de Manuel Valls.

Enfin, parce que les premières annonces se sont perdues en se transformant dans l’énonciation d’une liste de mesures technocratiques arides qui font des mécontents : leurs victimes, qui découvrent qu’elles vont être affectées alors que le discours d’En Marche pendant la campagne consistait un peu à promettre la réforme sans douleur. Les annonces se sont perdues aussi parce qu’elles ne s’inscrivent dans aucun discours d’ensemble : aucun projet de société n’en ressort.

Pour reprendre la main, Emmanuel Macron semble dès lors avoir deux pistes : d’abord, réformer pour de vrai, quitte à être impopulaire, pour avoir des résultats rapidement (les Français jugeront sont mandat sur pièces !) ; ensuite, faire un travail d’explication de son action. A ce titre prétendre qu’il met en œuvre une "transformation" de la société pourrait rapidement trouver ses limites, car ce n’est pas ce qu’il fait.

Christophe De Voogd : Les "problèmes de communication", c’est de bonne guerre ! Depuis que je suis la vie politique française, c’est-à-dire depuis quelques décennies, c’est l’argument habituel des gouvernants en difficulté. Il y a une part de vérité en ce sens que « le message ne passe pas ». Mais encore faut-il qu’il y ait message. Le problème est  à chaque fois le même : soit incompétence, soit routine, soit peur de l’opinion, les gouvernants hésitent à envoyer un message clair et demandent à leurs communicants de mettre en musique un récit inexistant. Le problème d’Emmanuel Macron est différent : il a la compétence, il a (et comment !) brisé la routine et il sait, en disciple de Paul Ricoeur ce qui constitue un bon récit. 

Toutefois il a longtemps hésité, cette fois en disciple de Mitterrand, à sortir des ambiguïtés de la campagne (le fameux « en même temps » qui rappelle le « ni-ni » mitterrandien) qui lui ont valu le succès : mais un succès par défaut avec une adhésion historiquement basse à son programme. Il faut maintenant passer de la conquête du pouvoir à l’exercice du pouvoir, comme disait Blum. Et c’est là la difficulté. Mais la grande qualité du nouveau président, démontrée tout au long de la campagne, est sa remarquable réactivité. Machiavélien au sens vrai du terme, parce que là encore il a étudié de près Machiavel, il sait réagir très vite aux opportunités comme aux défis de « Dame Fortune ». Son discours devant les Ambassadeurs avec des paroles fortes sur le « terrorisme islamiste » ou la « dictature » au Venezuela le démontrent, tout comme l’interview au Point.

Emmanuel Macron est parvenu, au fil de la campagne, et au cours de ses premiers mois à l'Elysée, à incarner une différence, mais sans parvenir à définir cette différence. Selon les instituts de sondage, cette "différence" serait en passe de créer une image de "Président des riches". Que peut faire Emmanuel Macron, aussi bien en termes politiques qu'économiques pour éviter de laisser installer une telle image dans l'opinion ? 

Erwan Le Noan : Cette image lui a été accolée par l’extrême gauche qui surfe sur un discours malheureusement populaire en France (la haine du riche) et sur une stratégie populiste. Comme si prendre des mesures favorables à « l’argent » était faire le jeu des riches ; alors que leur but est de bénéficier à l’ensemble de l’économie. Comme si baisser la fiscalité allait coûter à l’Etat, alors qu’en réalité cela consiste à laisser aux Français leur argent, à leur en prendre moins (l’argent n’est pas le bien de l’Etat !).

Le problème du gouvernement, c’est qu’il n’a pas suffisamment pris en compte les "victimes" de ses réformes (ou montré qu’il le faisait) : en conséquence, il est facile de lui rétorquer qu’il fait le malheur des plus fragiles. Ensuite, il n’a pas su inscrire ses projets de réformes dans un discours porteur d’un projet de société : personne ne comprend bien pourquoi on fait telle réforme ou telle autre.

Par exemple, les APL : économiquement, il est rationnel de les baisser car elles ont certainement plein d’effets négatifs sur le marché de l’immobilier, qui nuisent aux plus fragiles. Mais les baisser de 5 euros sans explication a donné l’impression que le gouvernement le faisait uniquement pour faire des économies ou se conformer à un traité européen : c’est idiot, on ne fait pas de la politique pour se conformer à un texte de droit. On fait des économies, parce que c’est bon pour la société, les entreprises, les citoyens, précisément l’objectif du traité de Maastricht ; on réforme les APL pour proposer une nouvelle politique du logement, qui puisse aider les plus fragiles. Mais le gouvernement n’a rien laissé voir de tout cela.

Christophe De Voogd : Dans un pays aussi égalitariste (pour ne pas dire envieux)  que la France, le risque est considérable. Il a « tué » Nicolas Sarkozy, pourtant bien mieux élu en fait (car par adhésion) et bien plus populaire en début de mandat que le nouveau président. Pire encore, et je vois le thème se profiler de France insoumise au FN, Emmanuel Macron pourrait être taxé de président de « l’oligarchie administrativo-financière » que son parcours personnel incarne et qui serait du pain béni pour la rhétorique populiste.

Il lui faut donc insister sur trois points : la lutte contre le terrorisme islamiste, la diminution du chômage et le pouvoir d’achat. Ce sont trois points qui parlent à tous les Français, et surtout aux catégories populaires, les sondages le prouvent. La « règle de trois » est aussi importante en rhétorique politique qu’en arithmétique…

Nicolas Goetzmann : La politique menée par Emmanuel Macron correspond au "trickle down", c'est la théorie du ruissellement, qui consiste à croire que l'enrichissement par le haut permet une redistribution ultérieure, pour finir par profiter à tous. Il suffit de citer une étude récente du FMI, qui a analysé la situation dans 150 pays pour tester la théorie. Le résultat est : "Si la part de revenu des 20% les plus riches augmente, alors la croissance du PIB tend à décliner sur le moyen terme, suggérant que les bénéfices de ruissellent pas". "Si la part des revenus des 20% les plus riches augmente de 1%, la croissance du PIB sera amputée de 0.08% dans les 5 années qui suivent, ce qui suggère que les bénéfices ne "ruissellent" pas".

Emmanuel Macron est donc coincé. Sa pensée économique est conforme à cette idée du ruissellement, il est donc clair que son souhait est d'avantager les riches en pensant que cette richesse va ruisseler sur le reste de la population. Il ne serait pas juste de croire que le président cherche à avantager les riches sans contrepartie pour les autres, il n'y a pas de raison de douter de sa sincérité concernant son souhait de voir ruisseler la richesse. Ce n'est pas un problème d'intention, c'est un problème de mise à jour de la pensée, et de pragmatisme. Mais l'image du "président des riches" risque de se cristalliser. 

Quelles ont été les erreurs commises pour subir un tel décrochage de l'opinion ? Faut il y voir, à l'instar de François Hollande, une incapacité à inscrire l'ensemble des réformes proposées dans un projet concret et cohérent pour les Français ? 

Christophe De Voogd : Il y a eu des erreurs évidentes : deux discours « à côté de la plaque » comme disait le général de Gaulle (celui du Président et celui de Premier ministre en juillet) ; « les images sans le son » de l’été présidentiel ; les coups de rabot qui ont mécontenté plusieurs catégories pour un rapport financier dérisoire (cf. les APL). On ne peut pas être moins politique ! Il faut que le président « repolitise » tout cela. Il n’a pas à gérer comme François Hollande la « synthèse » impossible du PS. Et qu’il mette d’abord les Français devant leurs contradictions et leurs responsabilités, comme avait su le faire de Gaulle : la préférence collective pour le chômage doit cesser; l’Etat ne crée pas d’emplois  et n’a pas « d’argent à lui » etc. Quant au projet, il est simple, et la jeunesse du Président, atout sans équivalent chez ses prédécesseurs depuis VGE, lui permet vraiment de l’incarner : l’AVENIR.   

Erwan Le Noan : Il n’est pas nécessaire qu’il y ait eu de graves erreurs : l’impopularité vient aussi de la faible assise de départ du Président (sous cet angle, 40% des Français qui l’apprécient c’est déjà mieux que 18% des inscrits au premier tour de l’élection présidentielle). Elle vient ensuite, comme je le disais plus haut, du manque d’ambition (qui déçoit) et du manque de pédagogie, d’explication. Les réformes ne s’inscrivent effectivement dans aucun discours de société : le gouvernement ne donne pas de sens à son action.

Emmanuel Macron a voulu être un président « jupitérien » : les Français ont apprécié qu’il redonne du lustre à la fonction ; mais ce n’est pas ce qu’ils veulent en priorité : ils attendent des résultats ! Tant qu’ils ne percevront pas que ce que fait le gouvernement peut produire des résultats positifs, la popularité du président restera fragile. Il lui reste 5 ans, c’est long et suffisant pour changer… s’il agit tout de suite.

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