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"La BCE fera tout ce qu'il faudra pour préserver l'euro" : petit bilan 5 ans après de ce que l'Europe et la France doivent à Mario Draghi... dans l'indifférence générale
©Reuters

Héros sans cape

Mario Draghi, il y a cinq ans sauvait l'Europe en une phrase en déclarant que la BCE ferait "tout ce qui est nécessaire" pour sauver la Zone Euro. Une franche réussite dont les effets se font encore sentir aujourd'hui.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Il  y a cinq ans, Mario Draghi sauvait l'euro en une phrase. Il avait déclaré que la BCE ferait "whatever it takes" (tout ce qui est nécessaire) pour sauver la zone euro. Cinq ans plus tard, quel bilan tirer des initiatives de Draghi ? A-t-il vraiment sauvé la zone euro  et comment s'y est-il pris ?  

Rémi Bourgeot : Même s’il est impossible de percer tous les secrets des tractations politiques qui ont eu lieu à cette époque, il est certain que Mario Draghi a réussi à radicalement changer l’approche de la BCE et que son style personnel y est pour beaucoup. Cela ne signifie pas que la zone euro ait été transformée en une véritable union monétaire, et ça n’est pas près d’être le cas, du fait des réticences allemandes en particulier. Quelques soient les limites des programmes d’achats de dette, Mario Draghi a réussi, au cours de son mandat, à transformer la BCE en véritable banque centrale ; ce qu’elle n’était pas sous le mandat de Jean-Claude Trichet jusqu’en 2011. Le prédécesseur de Draghi était tétanisé par les pressions allemandes et le strict respect du mandat anti-inflationniste, forcément très limité, allant même jusqu’à augmenter les taux directeur mi-2011 pour contrer un mirage d’inflation. Le mélange d’angoisse et d’immobilisme bureaucratique de M. Trichet ne manquait pas de déclencher des vagues de défiance, voire de panique, dans les salles de marché, d’autant plus lorsqu’il tentait de les rassurer…

Même si cela ne figure pas forcément dans leur mandat, les banques centrales garantissent les monnaies dont elles ont la charge ; et cela implique de garantir d’une façon ou d’une autre les dettes publiques de l’Etat, ou en l’occurrence des Etats. Quand Draghi prononce cette phrase à Londres en pleine crise de l’euro, il met au point une véritable arme de dissuasion monétaire, menaçant d’acheter autant des dettes publiques dont les taux d’intérêt s’envolent que nécessaire pour écraser les taux d’intérêt.

Comme tout mécanisme de dissuasion, celle-ci a notamment impliqué un mélange de logique et de rhétorique. A ce moment-là il ne précise aucune modalité, jusqu’en septembre 2012, et encore de façon assez floue puisque son véritable programme d’achat de dettes, de quantitative easing, ne sera annoncé que début 2015. Il est vraisemblable que Draghi ait profité d’un certain support d’Angela Merkel, mais sans aucun accord sur des modalités concrètes, pour impressionner les marchés.

S'il n'avait pas pris ces mesures, que ce serait-il probablement passé selon vous ?

Les taux d’intérêt des pays dit périphériques ne cessaient de s’envoler. Cela voulait dit que les pays ne pouvaient plus à terme refinancer leurs dettes, dans un contexte où  ils faisaient en plus face à de lourds déficits liés à la crise. Pour les pays sous programme d’aide européen, cela voulait dire qu’ils n’avaient aucune chance de retourner sur les marchés et se voyaient condamner à redemander de nouvelles lignes de crédits aux pays créditeurs, alors que l’opinion allemande était déjà exaspérée par le principe tabou du « bail-out », qui était censé être banni du fonctionnement de la zone euro.  Des pays comme l’Italie qui n’était pas sous « bail-out » connaissaient aussi d’importantes difficultés de financement avec l’envolée des taux et auraient fini par appeler à l’aide si Draghi n’était pas parvenu à écraser les taux d’intérêt.

Même sous Trichet, la BCE avait consenti à des achats de dettes publiques ciblés sur le marché secondaire. Bien que ces achats aient été substantiels, ils étaient soumis à des limites. Ce qui a changé la donne avec Draghi, c’est la menace d’achats illimités pour forcer les taux à la baisse. Les taux d’intérêt se sont effondrés sans même que la BCE ait à mettre en place un nouveau programme. Par ailleurs, vers la même période, avec l’écrasement des coûts salariaux et les politiques d’austérité, des tendances déflationnistes se sont fait jour, encourageant cette baisse des taux d’emprunt.

Sans la magie rhétorique de Draghi, les Etats périphériques ainsi que les banques et les entreprises de ces pays n’auraient pas pu assurer leur financement. Les Etats en question auraient demandé toujours plus d’aide à l’Allemagne et aux autres créditeurs mais le processus aurait un moment abouti à une impasse politique. Pour assurer leur survie financière, d’une façon ou d’une autre, ces Etats auraient dû rétablir leur souveraineté monétaire de façon à ce que leur banque centrale puisse garantir les conditions de leur financement. On peut fortement douter de l’idée qu’ils aient pu simplement réarmer leur banque centrale, en créant une devise nationale secondaire parallèlement à l’euro. Cela aurait à la limite pu être le cas dans une phase transitoire chaotique. Mais l’issue aurait certainement été l’explosion de la zone euro et le rétablissement de devises nationales. L’Histoire dira si Draghi a conjuré ce spectre ou s’il l’a repoussé d’une décennie.

Enfin, en 2019 de nouvelles élections doivent avoir lieu pour élire un nouveau président de la BCE, qui risque d'acquérir ce poste et doit-on s'attendre à un changement de politique ? 

Le changement de politique est déjà plus ou moins au programme, puisque le programme d’achat de dette de la BCE n’a jamais été conçu comme un programme perpétuel pour faire disparaître la dette publique des marchés, comme cela semble plus ou moins être le cas au Japon par exemple. Depuis plusieurs mois, Draghi et les responsables de la BCE font comprendre qu’ils pensent à une sortie progressive du programme d’achat, puis des taux négatifs sur les dépôts. La conjoncture s’est améliorée grâce à la faiblesse de l’euro en particulier et le QE nourrit, par ailleurs, diverses bulles, notamment dans l’immobilier. Draghi lui-même reste néanmoins prudent à cet égard, car la zone euro reste extrêmement déséquilibrée et de nombreuses économies fragilisées par la crise, avec une crise bancaire toujours non réglée.  

En ce qui concerne la nomination d’un successeur en 2019, les responsables allemands ne font rien pour cacher leur détermination à y installer un compatriote, l’actuel président de la Bundesbank Jens Weidmann dans l’idéal. Weidmann est considéré comme un faucon dangereux pour la survie de la zone euro dans le reste du monde. Mais de nombreux dirigeants allemands estiment qu’il serait politiquement risqué de ne pas apporter de réponse à l’énervement des épargnants allemands excédés par l’absence de rendement de l’épargne. Weidmann a le sens de l’opportunité. Il avait notamment défendu Mario Draghi face aux éructations de Wolfgang Schäuble contre la politique expansionniste de la BCE. Le président de la Bundesbank rêverait d’arriver à la tête d’une BCE déjà débarrassée du QE de Draghi ou presque, et de pouvoir incarner la rigueur monétaire dans un climat économique apaisé, c’est à dire sans avoir à commettre les mêmes erreurs que Trichet. Rien n’indique que son rêve sera réalisé jusqu’au bout. Sur la question même de la nomination, la plupart des pays de la zone euro ont des gouvernements faibles et peu enclins à remettre en cause les décisions allemandes, mais ceux-ci sont tout de même conscients de ce que leur détermination à maintenir la monnaie unique à tout prix ne pèse pas grand-chose sans un parapluie monétaire comme celui fourni par Draghi.

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