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"Arabe de service", "beurette vendue" : quand les réseaux sociaux théorisent sur le “bon”... et le “mauvais” musulman
©Reuters

Bonnes feuilles

De Tunis à Paris, une grand-mère et sa petite-fille proposent un regard croisé sur l'islam, la place de la femme, la laïcité, le terrorisme, ou encore la notion d'identité. Extrait de "Le monde ne tourne pas rond, ma petite-fille" de Sonia Mabrouk, aux Editions Flammarion (1/2).

Sonia Mabrouk

Sonia Mabrouk

Sonia Mabrouk est journaliste sur Europe 1 et CNews, auteur de Reconquérir le sacré (Editions de l'Observatoire, 2023), l'essai Le Monde ne tourne pas rond, ma petite-fille (Flammarion, 2017) et du premier roman sur les enfants du djihad Dans son cœur sommeille la vengeance (Plon, 2018) . Elle a aussi été enseignante à l'université.

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Les nouvelles vont décidément très vite. L'expression : « Le monde est petit », s'applique parfaitement aux relations entre la France et la Tunisie. Je venais à peine de publier sur Twitter une lettre de mise au point sur le sujet sensible du burkini, quand mon téléphone fixe se mit à sonner, affichant le numéro de Delenda.

« Qui a osé te traiter d'Arabe de service ? C'est quoi cette histoire ? Je suis capable de venir jusqu'à Paris si on touche à un cheveu de ma petite-fille ! Dis-moi qui c'est, Sonia ? Et qu'est-ce que tu as dit de particulier ? Tu t'exprimes encore sur des sujets chauds ? Tu crois que c'est ton rôle ? Pourquoi tu ne me réponds pas ? »

Ma grand-mère a enchaîné plus de sept questions en moins de dix secondes de monologue. Un record qui m'a laissé le temps de réfléchir à une réponse. Je ne veux pas tout dire à Delenda. Non pas qu'elle ne serait pas d'accord avec ma position, mais plutôt parce qu'elle risque de s'inquiéter de manière disproportionnée. La fameuse lettre dont elle me parle, et que je viens à l'instant de publier sur Twitter, a engendré en l'espace de quelques minutes une avalanche de réactions. Il y a des soutiens et de nombreuses insultes dont celle d' « Arabe de service ».

« Ce n'est rien, mamie. J'ai simplement publié un tweet, et j'ai par la suite précisé ma pensée dans une lettre concernant un sujet qui ne va pas t'intéresser…

— Dis-moi, tu crois vraiment que ta grand-mère est née de la première pluie ?

— On dit de la dernière pluie ! (Rires.)

— N'essaye pas de changer de conversation. Tu es peut-être habile parce que vous, les journalistes, vous savez bien parler, noyer le poisson comme on dit, sauf que moi, on ne me la fait pas à mon âge. Hou, hou, j'en ai vu passer des choses, tu sais. Alors maintenant, tu vas tout me dire et fissa fissa.

— Mamie, je t'adore. Tu es unique. Je pense que toutes les petites-filles disent ça à leur grand-mère, il n'empêche, tu es quand même un sacré numéro !

— Sonia, de quoi s'agit-il ? Tu sais que la situation est tendue. C'est grave tout ça. Plus tu parles, plus tu t'exposes. Tu dois assumer les conséquences et les risques. »

Au bout de quelques minutes, j'ai finalement réussi à calmer Delenda. Je lui ai promis, en raccrochant, de lui envoyer par mail la lettre publiée sur les réseaux sociaux afin qu'elle se forge son opinion. Ma grand-mère utilise de mieux en mieux l'ordinateur flambant neuf que ses enfants lui avaient offert à son anniversaire. Elle en est fière. Elle n'hésite pas à passer des heures devant l'écran pour compléter ses connaissances en histoire ou en géopolitique. Chacune de ses recherches est laborieuse. En néophyte, elle tape encore avec un seul doigt sur le clavier. Dans de telles conditions, je m'inquiète du temps qu'elle va consacrer à me répondre. Quoi qu'il en soit, je lui ai envoyé par mail ma lettre.

Ma chère mamie, Ne t'inquiète pas, mon but n'est pas de répondre à chaque provocation. Ce sujet du burkini me tient à cœur. J'ai reçu tout à l'heure de nombreuses insultes, j'ai répliqué de cette manière : « Tu sais ce qu'elle te dit l'Arabe de service ? » Voici comme promis, la lettre dont on t'a tellement parlé. « Nous y sommes. Le combat ne fait que commencer. Cette lutte idéologique qui prendra plusieurs années, se tient au sein même de l'islam. Elle s'est cristallisée ces derniers jours sur le mal nommé “burkini”. Le débat a tourné court, virant à l'insulte sur les réseaux sociaux. Sans surprise, me direz-vous. Sauf que depuis quelque temps, c'est une véritable entreprise de dénigrement qui est à l'œuvre contre celles et ceux qui font entendre leur voix et leur différence. “Arabe de service”, “collabo”, “beurette vendue”, la liste est longue…

« Il y aurait selon ces insulteurs patentés – et souvent cachés derrière un pseudo – le “bon” et le “mauvais” musulman. Celui qui défend la liberté de la femme en s'indignant de l'interdiction du burkini et l'autre, “l'Arabe de service” qui s'en prend aux musulmans, le traître pointé du doigt qu'il faut décrédibiliser et faire taire.

« Seulement voilà, on ne va pas se taire. À chaque nouvelle provocation mise en scène par les exploiteurs de notre religion, nous serons de plus ne plus nombreux, j'en suis convaincue, à dénoncer cette stratégie pour mieux réaffirmer notre attachement à une religion de paix, qui se vit et s'épanouit dans la sphère privée.

« Il ne faut pas se leurrer, il s'agit bien d'une stratégie, une stratégie de conquête des esprits. Il y a de plus en plus de forces qui veulent implanter un islam rigoriste, obscurantiste au cœur de nos sociétés profitant d'un manque de repères. C'est une guerre d'usure qui nous est opposée. Elle teste notre résistance et nos défenses. C'est le cas avec le burkini. Le but est de nous faire reculer, en nous culpabilisant sur la liberté de ces femmes à disposer de leur corps. Nous ne reculerons pas au nom de cette même liberté fondamentale. »

Voilà, ma mamie adorée, le contenu de ma lettre. J'ai dit ce que je pense. C'est un cri du cœur.

Je me doute que Delenda ne va pas avoir la patience de me répondre par mail. Je me suis donc assise près du téléphone en attendant son appel. Et me demande ce qu'elle peut penser d'une telle polémique. Il n'y a presque plus de baigneurs et de baigneuses sur les plages de France et pourtant ce maillot de bain intégral continue, en cette fin du mois d'août, à déchaîner les passions. Ce qui me frappe c'est le discours consistant à dénoncer une France à la dérive, un pays qui a élevé la laïcité au rang de religion d'État. Les dessins affichant des femmes en topless s'indignant d'un burkini se multiplient dans les magazines. Le but est évidemment de ridiculiser, celles et ceux, qui honnissent le burkini mais ne trouvent rien à redire quand la femme choisit de se mettre quasiment nue sur la plage. Le parallèle est donc fait entre le burkini et le topless dans un incroyable tour de passe-passe idéologique !

Extrait de "Le monde ne tourne pas rond, ma petite-fille" de Sonia Mabrouk, aux Editions Flammarion

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