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"Adieu Monsieur Haffmann" de Jean-Philippe Daguerre : survit très bien aux honneurs des Molières
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Revoir "Adieu Monsieur Haffmann" quelques mois après ne fait que renforcer l'impression de qualité ressentie la 1°fois. Du grand théâtre

Rodolphe  de Saint Hilaire pour Culture-Tops

Rodolphe de Saint Hilaire pour Culture-Tops

Rodolphe de Saint Hilaire est chroniqueur pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).

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THEATRE 
ADIEU MONSIEUR HAFFMANN

Auteur et metteur en scène : Jean-Philippe Daguerre

Avec: Gregori Bacquet en alternance avec Charles Lelaure ou Benjamin Breniere, Alexandre Bonstein en alternance avec Marc Siematycki, Julie Cavanna en alternance avec Anne Plantey, Franck Desmedt en alternance avec Jean-Philippe Daguerre, Charlotte Matzneff en alternance avec Salomé Villiers

INFORMATIONS

Théâtre Rive Gauche

6 rue de la Gaieté 75014 Paris

Réservations: 01 43 35 32 31/www.theatre-rive-gauche.com

Du mardi au samedi à 19h - matinée le dimanche à 17h30 

Jusqu'au 6 janvier 

RECOMMANDATION 

            EN PRIORITE

THEME

Nous sommes en 1942 à Paris, aux heures les plus noires de l'occupation et au début de la chasse aux juifs, en plein cœur de leur détresse. L'étoile jaune est de rigueur, la rafle du Vel d'hiv est pour demain, on se cache comme on peut.

Le pitch est d'une simplicité... biblique. Monsieur Haffmann, Joseph,  bijoutier juif, propose à Pierre, son employé catholique, artisan talentueux, de devenir à sa place le patron de  la bijouterie pendant que lui se cache... à la cave. Pierre lui propose un marché : d'accord, à condition que Joseph accepte d'essayer de faire un enfant à sa femme... le temps qu'il faudra. En effet, Pierre est stérile comme il l'explique lui même:  "la machine fonctionne, c'est à l'intérieur que ça ne va pas." Marché honnête ou marchandage sordide et dilatoire ?

Ce qui parait de prime abord détestable se révèle burlesque puis émouvant et  enfin libératoire ; sans rien révéler de l'épilogue et de la trame dramatique de cette histoire sinon véridique du moins, hélas,  vraisemblable, ajoutons un détail-clé : dans la cave, à côté de divers photos de famille témoins d'une époque douloureuse toute récente, trône un tableau, une toile de Matisse !

POINTS FORTS

1/ Le Jeu des acteurs

Joseph, au départ manipulateur honnête et gai,  à l'arrivée, manipulé sincère et triste paradoxalement. La tête parfaite de l'emploi, profondément humain, sincèrement heureux de faire le bien jusque dans un comportement suicidaire dont il  paiera les conséquences quelque part, mais pas celles que l'on croit. C'est N. Sierimatycki qui tient le rôle ce soir.

Otto Abetz, le fameux Ambassadeur, noir dedans, blanc dehors, sanglé dans son costume croisé immaculé,  éblouissant d'autorité et de sagacité, à la fois féroce et bonhomme... On en est presque à le remercier à la fin du dernier tableau, et....

Suzanne Abetz, Madame l'ambassadrice du Reich, d'origine française, épatante dans son rôle de poule gloussante et caquetante, grande connaisseuse des crûs bordelais, à l'affut des vins bouchonnés, jamais avare de bons mots. Elle pétille, elle nous fait rire à force de fautes de (mauvais) goût, elle nous enchante.

 Franck Desmedt a créé le rôle d'Otto dès l'origine, et le perpétue en alternance.  Charlotte Matzneff joue celui de Suzanne.

Une mention particulière pour le personnage d'Isabelle Vigneau, tout en délicatesse et retenue dans ce rôle ambigüe d'épouse "prêtée" (pendant un an, quand même) et joué par Anne Plantey.

2/ Le ton et l'esprit de l'écriture

C'est assez remarquable de la part de l'auteur et metteur en scène de réussir à inscrire sur une toile de fond aussi sombre et scabreuse - qui tient au contexte de cette l'époque- un discours si léger, une émotion si souriante, et de poser une sorte de regard humaniste sur les vicissitudes de la vie ; aucun pathos, aucune complaisance, aucune revendication ni révolte, c'est une autre vision de cette époque grave et compliquée que nous propose Jean Philippe Daguerre en nous tenant en haleine jusqu'au morceau de bravoure final.

POINTS  FAIBLES

. Un démarrage peut être un peu lent, un face à face entre Joseph et Pierre un peu pesant.

. Il faut être très attentif, dés le début, aux détails (les photos...), aux meubles mêmes (le lit...) pour ne rien perdre de la montée en puissance de la pièce, capter le rythme qui s'installe peu à peu, apprécier jusqu'au bouquet final le suspense qui gagne et le danger qui monte ; c'est un détail.

EN  DEUX MOTS

Un travail d'orfèvre qui joue sur les trois tableaux : la compassion pour les victimes de la Shoa,  la dérision pour les dangereux pantins du fascisme, l'admiration devant le courage de certains... jusqu'à l'ultime "libération ". 

Avec ses "paroles fortes et vives" (sic J.P. Daguerre) et ses comédiens exceptionnels, Monsieur Haffmann n'a pas volé ses 4 Molières !

UN EXTRAIT

Pierre (le mari) : "Ca va, Joseph, vous tenez le coup ?"

Joseph (le bijoutier) : "Je suis Guignol cherchant sans cesse à échapper au gendarme... Le plus dur, c'est le manque physique des miens... la peau de mes enfants... leurs cheveux... c'et si doux les cheveux d'un enfant... le sourire de Rachel, la chaleur de ses doigts, le corps se nourrit des énergies des gens qu'on aime... Et puis il y a la peur..."

L'AUTEUR

Jeune metteur en scène (20 années de création, plus de 20 pièces montées), Jean-Philippe Daguerre, formé au conservatoire de Bordeaux, a débuté sa carrière théâtrale comme acteur. Il se tourne vite vers la mise en scène et se fait remarquer dans son premier Cyrano de Bergerac. Il monte les grands classiques tels Le Cid, Le Bourgeois Gentilhomme, Les Fourberies de Scapin et Aladin, récemment au théâtre du Palais Royal

En 2018 , "Adieu Monsieur Haffmann"  remporte 4 Molières dont celui du meilleur spectacle de théâtre privé, de la révélation féminine et du meilleur second rôle pour Franck Desmedt.

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