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Le web avait bien besoin 
d’un G8 au Tuileries...
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La minute "Tech"

Il faut vraiment être très éloigné de la culture web pour avoir l’idée saugrenue d’organiser un « sommet » de l’internet. C’est pourtant ce que fait Nicolas Sarkozy, qui n’est pas connu comme étant un geek , avec ce « G8 » aux allures d’oxymoron [1]. Bémol : des rugissements de Rupert Murdoch avaient été annoncés cette semaine aux Tuileries.

Nathalie Joannes

Nathalie Joannes

Nathalie Joannès, 45 ans, formatrice en Informatique Pédagogique à l’Education Nationale : création de sites et blogs sous différentes plates formes ;  recherche de ressources libres autour de l’éducation ;  formation auprès de public d’adultes sur des logiciels, sites ;  élaboration de projets pédagogiques. Passionnée par la veille, les réseaux sociaux, les usages du web.

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Historiquement et morphologiquement, le web est radicalement incompatible avec les notions de « politique » et de « sommet ».

Historiquement, ce sont des universitaires qui, à la fin des années soixante, ont détourné au profit de leur intelligence collective un réseau militaire conçu à la demande – politique - du président Eisenhower en 1957. Petite confidence au passage : un de ces universitaires, Vinton Cerf,  rescapé des cinq inventeurs du web, pourrait profiter de son passage à Paris cette semaine pour rappeler le refus de la France de participer au développement du web naissant [2].

Morphologiquement, le « réseau des réseaux » n’a ni base, ni sommet, ni centre ; son évolution est vaguement gérée par un consortium qui met des années à adopter de nouvelles normes consensuelles, comme la stabilisation du HTML5 encore retardée de deux ans. Avis aux contradicteurs potentiels : les Etats-Unis régentent le web comme la France aurait régenté le minitel planétaire, le procédé de télévision en couleurs SECAM et la filière nucléaire graphite-gaz si la France avait imposé ses technologies au reste du monde. Mais la France est restée seule avec son minitel et les Américains contrôlent le web. End of the story, comme on dit à Hollywood.

Un bien beau casting

Il suffisait d’ailleurs de compter les invités américains au « G8 de l’internet »  pour prendre conscience du fait que l’essentiel – c'est-à-dire l’innovation – se passe loin de l’Hexagone. Par ordre alphabétique: Jeff Bezos (Amazon), Vint Cerf (co-inventeur du protocole TCP/IP et évangélisateur chez Google), Jack Ma (Alibaba.com), Rupert Murdoch (News Corp.) – oui je sais : Murdoch est né en Australie -, Eric Schmidt (Google), Jimmy Wales (Wikipedia), Mark Zuckerberg (Facebook). Sans oublier les inévitables consultants du groupe McKinsey. Ce n’est pas faire injure aux « invités » français de l’évènement que d’écrire ceci : à côté de Schmidt, Bezos et consorts, ils font figures de « nains ». Pour cette raison, ils seront d’autant moins nommés dans cette chronique que certains d’entre eux sont à l’affiche des Tuileries parce que leur entreprise finance le sommet. Leur générosité vaut bien une petite opération de « com » puisque, grâce à eux, le contribuable français ne paiera rien.

« Economie, impact, société, responsabilité »

L’ordre du jour de cette « plateforme d’expression pour nourrir les réflexions » des chefs d’Etat rassemblés ce jeudi à Deauville suscitait d’emblée la perplexité. On peut douter qu’Obama ait besoin de cet aréopage pour avoir sa petite idée sur le web, mais passons…

Mardi 24 mai : « Internet et la croissance économique ». En voilà un sujet qu’il est neuf !  Et la « Nouvelle économie » qui annonçait, en juillet 1998 sur la couverture de « Business Week », l’éradication définitive de l’inflation par les gains de productivité que génère le réseau ? Bon, d’accord, ce n’est pas exactement ce qui s’est passé ; c’est juste pour dire que la réflexion est quand même bien entamée… Et la trilogie de Manuel Castells sur l’ère des réseaux en 1999 ? Hmmm ? Ah ! C’est vrai : les gourous de McKinsey avaient quelques jolis PowerPoint à montrer aux politiques sur l’écran géant des Tuileries.

Quoi d’autre ? « L’impact d’internet sur la société ». Voui, voui, voui…Bien sûr, bien sûr…L’impact…La société. .. Hé mais ça sent bon son Dominique Wolton, çà (c’est un sociologue qui a des idées sur internet et sur la société). Il n’y a pas que Wolton pour penser très fort là-dessus. Ecoutons la vox populi : « Les jeunes d’aujourd’hui, ils ne font rien qu’à déconner sur Facebook ! Ils font leurs devoirs avec Wikipedia. Ils s’informent par Twitter. Ils n’écoutent plus Alain Duhamel à la radio et ne regardent même pas Laurence Ferrari à la télé. Une vraie désintermédiation, que je vous dis. Quelle époque… »

Et puis: « Le Net de demain ». Il sera tellement sémantique et web 3.0 qu’on n’aura plus besoin de Google pour… « Non, Eric (Schmidt) ! S’il vous plaît, ne partez pas…Il faut faire la photo de groupe. »

Enfin, peut-être. Ce n’est pas sûr : « La propriété intellectuelle ». Quoi ? Vous avez entendu Hadopi ? Répression ? Sanctions ? Suppression des panneaux qui annoncent les radars ? Meuh non, voyons… Juste : « régulation par la pédagogie ». Ouf. Les pirates et néanmoins futurs électeurs peuvent retourner à leurs téléchargements.

Les résultats de ces cogitations devaient être soumis illico presto aux grands de ce monde parqués à Deauville pour un G8 normal. As usual comme on dit à Hollywood. Nul doute qu’ils ont dû passer une nuit épuisante, entre mercredi et jeudi, à lire tout çà pour en parler le lendemain. Comme si le G8 n’avait que çà à faire en ce moment.

En attendant Rupert (Murdoch)

Le plus intéressant dans ce « G8 de l’internet » C’est la métamorphose lexicologique du thème central. On est suavement passé du « web civilisé » au « web responsable ». Il paraît que « civilisé »  faisait de la peine aux censeurs chinois. Bon, d’accord, allons-y pour « responsable ».

Serait « responsable », un internet qui se mettrait à l’abri des réseaux terroristes et des maffias. OK, Barack s’en occupe. Il vient d’installer un « Tsar de la cyber sécurité » qui va secouer la National Security Agency et les onze autres agences de renseignement des Etats-Unis d’Amérique.

Serait « responsable » un internet, ou un web 2.0, qui ne permettrait pas aux réseaux sociaux  de collecter les données personnelles des internautes. Non, non Mark (Zuckerberg), ne partez pas. On ne pensait pas du tout à Facebook. On disait comme çà. On a besoin de vous pour la photo de groupe. Comment ? Vous vous autorégulez vous-même sur Facebook ? Ah ben voilà…

Serait « responsable » un internet dont les « géants » ne seraient pas suspectés par la Justice américaine – aïe !!! – de diffuser des publicités illégales sur des médicaments puissants. Mince…Un moteur de recherche assez connu fait l’objet d’une enquête préliminaire.

Serait « responsable », un internet sans Wikileaks…Hurlements, vociférations. Les Anonymous prennent d’assaut la Pyramide du Louvre. Julian Assange fait la grève de la faim.

On a tous compris que derrière le mot « responsable » se ruminent des tentatives d’esquisses de contrôle politique du web. Théorie du complot ? Même pas. Il suffit de remplacer « internautes » par « automobilistes » pour voir à quoi pense un pouvoir politique quand il parle de « responsabilité ». Voir plus haut, à propos des panneaux de radars.

Cette chronique ayant été rédigée avant l’ouverture du « G8 de l’internet », c'est-à-dire sans savoir ce qui allait s’y passer – on appelle çà un « avant-papier »  - il ne restait plus qu’à espérer que si le bouillant Rupert Murdoch a effectivement fait le déplacement, c’était pour pousser une de ces « gueulantes » dont il le secret. Qu’importe le sujet. Car Rupert est comme Larry Ellison, le boss d’Oracle : un bad guy, un killer. Et il en aurait fallu  beaucoup comme ces deux-là – mais Larry n’est pas venu -  pour rendre mémorable ce G8 de l’Internet.

[1] Oxymoron : formulation qui contient deux notions contradictoires comme « se hâter lentement », « sommet du rock’nroll »  à Woodstock sous l’égide de l’ONU ou «G8 de l’internet »

[2] En 1977, Vinton Cerf et deux autres inventeurs américains du web sont venus en France pour rencontrer Louis Pouzin qui développait depuis plusieurs années un réseau universitaire de « commutation par paquets ». Cette technologie française était en avance sur les travaux américains. D’où une offre de collaboration. Le réseau français « Cyclades » a été sabordé en 1978 pour des raisons politiques : Giscard, Barre et le ministre des PTT Norbert Segard, derrière lesquels agissaient les ingénieurs de la DGT ancêtre de France Télécom, ont eu peur qu’un réseau décentralisé fasse de la concurrence à la presse. Or il ne fallait pas contrarier la presse à l’approche d’élections législatives que la gauche pouvait remporter. Et il fallait que le pouvoir politique central garde le contrôle complet du réseau…centralisé.

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