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Tensions en Mer de Chine : Trump va-t-il définitivement "prouver" par la méthode forte qu’il n’est pas un "Tigre de Papier" ?
©Reuters

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En raison des tensions qui opposent Washington et ses alliés régionaux à Pyongjang et Pékin, certains évoquent un risque de "troisième guerre mondiale". D’autres en profitent pour accuser l’imprévisible Donald Trump de "provoquer" la Chine et de risquer une conflagration régionale et mondiale avec le risque suprême d’une guerre nucléaire en cas d’attaque nord-coréenne.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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L’envoi en Corée du Sud, le 26 avril dernier, du bouclier antimissile américain Thaad censé protéger la Corée du Sud face aux menaces balistiques de la Corée-du-Nord, est  considéré comme « une déclaration de guerre » et une « menace impérialiste » pour le régime de Pyongjang qui menace de riposter par une attaque contre des navires et porte-avions américains ou contre la Corée du Sud et le japon. Mais les dispositifs militaires navals et anti-missiles américains inquiètent également au plus haut point la République populaire de Chine dont l’objectif stratégique est au contraire de reprendre le contrôle de la Mer de Chine et d’y expulser à termes les forces américaines. Pékin estime en effet que le système anti-missile Thaad et ses puissants radars ne sont pas seulement capables d’annuler des frappes nord-coréennes visant la Corée du Sud mais ils peuvent affaiblir la force frappe chinoise. En raison de ces tensions qui opposent Washington et ses alliés régionaux à Pyongjang et Pékin, certains évoquent un risque de « Troisième guerre mondiale ». D’autres en profitent pour accuser l’imprévisible Donald Trump de « provoquer » la Chine et de risquer une conflagration régionale et mondiale avec le risque suprême d’une guerre nucléaire en cas d’attaque nord-coréenne.

Quant est-il exactement ? Il faut tout d’abord de raison garder et ne pas employer certains termes à tort et à travers. Le risque de « guerre mondiale » ou « atomique », qui vient tout de suite à l’esprit en raison du fait que l’Asie est la zone la plus militarisée et nucléarisée du monde, est assez improbable, en raison du pouvoir « égalisateur de l’atome » (P.M. Gallois) qui oblige ceux qui le possèdent à réfléchir sérieusement avant de l’utiliser contre d’autres puissances atomiques… D’où le fait que l’Inde et la Chine, ou l’Inde et le Pakistan, ennemis jurés, ne se font plus la guerre depuis qu’ils ont l’arme atomique. Quant au dispositif militaire américain déployé en mer de Chine et en Corée du ssud (bouclier anti-missile ;radars, porte avions ; destroyers, etc), de quoi parle-t-on exactement ? En fait le système anti-missile THAAD (Terminal High Altitude Area Defense), créé par la compagnie américaine Lockheed Martin Space Systems, est redoutable en lui-même mais aussi parce qu’il assorti d'un très puissant radar de type AN/TPY-2 capable de repérer et abattre des missiles balistiques de portée moyenne lorsqu’ils redescendent vers le sol. De ce fait, s’il a officiellement pour mission de protéger la Corée du Sud et les bases navales américaines face aux attaques éventuelles nord-coréennes, il affaiblit voire annule théoriquement une partie de la dissuasion et de la capacité de frappe de la Chine elle-même, qui pense être la cible recherchée derrière l’ennemi-épouvantail nord-coréen. Rappelons que l'armée américaine possède quinze bases en Corée du Sud, près de 30 000 soldats, et que l’Administration Trump, désireuse de « régler » le « dossier prioritaire nord-coréen » au plus vite et à sa manière, vient de faire revenir au large de la péninsule, le porte-avions USS Carl Vinson, qui rejoint ainsi une escorte de destroyers arrivés dès mars dernier. Par ailleurs, le sous-marin USS Michigan, qui peut transporter 154 missiles de croisière Tomahawk, est aussi arrivé en début de semaine dans le port sud-coréen de Busan dans le cadre d’une mise en scène médiatique tout aussi intense destinée à dissuader ou à mener une offensive, d’où les exercices militaires de grande envergure organisés par les navires américains avec l'armée sud-coréenne ces prochains jours.

Les gesticulations de Kim Jong Un et les muscles de Trump, le « faux tigre de papier »

Se sentant « provoqué » par ces manoeuvres « impérialistes », vues comme la préparation d’une future intervention militaire américaine sur son territoire, le régime nord-coréen a riposté en organisant "les plus importants exercices de tirs d'artillerie" de son histoire, exercices supervisés par Kim Jong-un lui-même à l'occasion du 85e anniversaire de la création de l'armée nord-coréenne. Après ces manœuvres fortement médiatisées, les militaires nord-coréens ont juré leur « loyauté totale » envers Kim Jong-Un, et promis de se transformer en « 10 millions d'armes à feu et 10 millions de bombes", pour vaincre « les impérialistes américains ». Rappelons tout de même que la menace lancée par l’Administration Trump de frapper la Corée du nord par anticipation dès la prochaine escalade de provocation et pour anéantir le projet nucléaire militaire et balistique nord-Coréen avant que des ogives nucléaires puissent bientôt être lancée par l’armée de Pyongjang sur le territoire américain lui-même – ce qui pourrait être possible d’ici deux ans -, ne date pas d’aujourd’hui. On se souvient que le premier qui envisagea sérieusement de frapper le régime de Kim Jong Un fut Bill Clinton, entre 1992 et 1994. Par ailleurs, on sait que le déploiement en cours du dispositif Thaad a été décidé dès 2016 par l’Administration précédente et que c’est Barak Obama lui-même qui a présenté le dossier nord-coréen comme une « priorité absolue », lors de la passation de pouvoirs à Donald Trump. Si une frappe a lieu dans les quelques jours, ce qui est possible étant donné les mouvements de flotte en mer de Chine et la récente convocation exceptionnelle des Sénateurs par le président américain (une telle convocation avait également précédé le déclenchement de la guerre américaine contre l’Irak de Saddam Hussein en 2002), il est clair que celle-ci s’inscrira plus dans la continuité que dans la rupture. Continuité d’un dossier qui hante la diplomatie et l’armée américaines depuis des décennies. Et continuité dans l’interventionnisme qui, loin des déclarations de campagnes néo-isolationnistes du « Trump 1 » (président non-interventionniste iconoclaste), demeure une constante de la géopolitique étatsunienne depuis la fin de la guerre froide et sera poursuivie par « Trump 2 » (président US rentré dans le rang). On croyait le monde multipolaire en marche et l’interventionnisme occidentalo-américain enterré, mais rien n’y fait, tant les constantes de la géostratégie américaine l’emportent sur les variables de la conjoncture électorale, au moins en matière de politique étrangère. Finalement, si une intervention militaire ponctuelle - essentiellement dissuasive - a lieu ou même si une action plus radicale est lancée qui viserait à renouer avec la politique du « regime change », Donald Trump, qui est entouré de faucons-militaires comme jamais, n’aura fait que mettre en œuvre un plan qui est sur la table depuis longtemps. Ainsi, lorsqu’il s’est dit prêt à régler le « problème » nord-coréen, sur fond d’envoie médiatisé vers la péninsule du porte-avion américain Carl Vinson, Trump a plus changé de ton et accompli les désirs du lobby militaro-industriel et des faucons américains que véritablement révolutionné les affaires stratégiques. Et après les frappes contre un aéroport syrien le 7 avril dernier et contre une base de Da’ech en Afghanistan le 13 avril, il saisit une nouvelle occasion de « prouver » qu’il n’est pas un « tigre de papier » comme nombre de nord-coréens et de chinois l’ont dit un peu vite…

En attendant, au cas où il n’y aurait pas de frappes américaines et où le régime de Pyongjang menacé de nouvelles sanctions et soumis à des pressions chinoises renoncerait à ses prochains essais nucléaires, Washington et Séoul n’en poursuivront pas moins l’installation en Corée du Sud du dispositif anti-missiles THAAD) susceptible de mettre la Corée du Sud à l’abri de la menace nord-coréenne, ceci après des années d’accords de dupes qui ont démontré que les sanctions économiques accompagnées de discussions onusiennes et d’aides économiques occidentales et sud-coréennes n’ont pas calmé le tigre nord-coréen mais l’ont au contraire convaincu qu’il pouvait continuer à défier impunément les alliés stratégiques des Etats-Unis dans la région que sont le Japon et la Corée du sud.

Par ailleurs, le déploiement du dispositif anti-missile et radar qui va protéger la flotte américaine et la Corée du Sud, embarrasse également la gauche et les pacifistes sud-coréens - qui risquent de remporter l’élection présidentielle en mai prochain -, d’où également l’accélération de la livraison du système Thaad avant cette élection qui devrait donner la victoire au Parti démocratique du favori Moon Jae-In, farouche pacifiste et très hostile au déploiement du bouclier anti-missiles problématique. 

L’embarras du président chinois face à l’allié encombrant et incontrôlable nord-coréen

Bien évidemment, Pékin et Moscou, les deux pays de l’OCS (Organisation de la coopération de Shanghai), sorte d’anti-OTAN, s’y opposent aussi, officiellement car ce serait un facteur de chaos régional mais surtout parcequ’il s’agit là d’une menace réelle pour les capacités balistiques chinoises, à l’instar du système anti-missile américain en Europe centrale qui n’a cessé d’être combattu par Vladimir Poutine depuis les années 2000 qui y voyait une incursion occidentale aux portes de la Russie et un grave facteur de déséquilibre stratégique au détriment de la Russie et donc un casus belli. Et de même que la Russie a pris des mesures de rétorsion contre les pays qui voudraient servir de têtes de pont à l’avancée de l’OTAN et de nouveaux systèmes anti-missiles américains à ses portes, la Chine a lancé des mesures de rétorsion économiques contre la Corée du Sud, notamment en interdisant aux touristes chinois de se rendre dans le sud de la péninsule.

Lui-même premier embarrassé par les projets et menaces nucléaires et balistiques de son incontrôlable allié nord-coréen, le président chinois Xi Jinping - qui a rencontré en Floride Donald Trump - a appelé ce dernier à la "retenue" vis-à-vis de la Corée du Nord, dans la perspective du nouvel essai nucléaire ou balistique annoncé par Pyongjang à l’occasion de l’anniversaire des 85 ans de l’armée populaire nord-coréenne. Alliée de la Corée du Nord, farouchement hostile à la présence militaire des Etats-Unis en Mer de Chine, Pékin est tout de même obligé de composer pour au moins trois raisons :

-La Chine n’a pas la puissance militaire nécessaire pour se permettre une guerre à court ou moyen terme contre les Etats-Unis qu’elle perdrait inévitablement ;

- En tant que puissance mercantiliste, et malgré son projet d’autonomiser-domestiquer sa production et son économie, Pékin vit des échanges internationaux et n’a pas la possibilité de contrer trop violemment et frontalement les Etats-Unis comme peut se permettre de faire la Russie de Poutine quasi autarcique et peu dépendante des échanges mondiaux.

-Troisièmement, plus la menace nucléaire et balistique nord-coréenne augmentera, plus cela donnera un prétexte aux Etats-Unis et à ses alliés (Corée du Sud, Japon, Taïwan et même Vietnam ou Thaïlande) de renforcer le dispositif dit « d’encerclement " de la Chine.

Un accord pragmatique tacite entre l’Oncle Sam et l’Oncle Xi ?

Pékin a donc à donc en termes clairs tout intérêt à convaincre Pyongjang de cesser de donner un prétexte à l’ingérence militaire américaine en mer de Chine méridionale et orientale. Aussi de nombreux observateurs avisés estiment-ils probables que les « deux Oncles », « Oncle-Xi », comme on le surnomme en Asie, et l’Oncle Sam - ou plutôt Donald - se soient déjà mis d’accords de façon cynique ou pragmatique sur ce qu’ils pouvaient mutuellement tolérer l’un de l’autre et sur les modalités acceptables de la « réduction » du fauteur de trouble nord-coréen. Dans ce cas de figure, et sauf à être réellement fou, le dictateur mégalomaniaque de Pyongjang aurait tout intérêt à calmer ses ardeurs bellicistes qu’il pourrait payer à la fin des comptes très cher. Kim Jong Un a certes procédé comme de coutume à une surenchère verbale et à des mouvements de troupes et de missiles, menaçant de « répliquer à toute attaque nucléaire par une attaque nucléaire", mais le calcul du négociateur-joueur de pocker Donald Trump (en mal de reconnaissance et de crédit) consiste à compter sur ce qui reste de rationalité au dictateur qui ne peut qu’être conscient qu’une guerre nucléaire serait pour lui la dernière… D’où aussi les propos sages de Xi-Jinping qui a déclaré qu’il conviendrait de résoudre au plus vite la question du nucléaire nord-coréen et de procéder à la dénucléarisation rapide de la péninsule", propos tenus lors de la seconde conversation téléphonique avec Donald Trump qui a eu lieu depuis la rencontre de début avril entre les deux présidents en Floride.

Donald Trump, qui avait ainsi reçu l’Oncle Xi dans sa résidence privée et qui avait annoncé qu’il se donnait « 100 jours » pour régler les différends avec la Chine, a clairement appelé de son côté Pékin à se « responsabiliser », rappelant à juste titre que le principal soutien économique, diplomatique et militaire de la Corée du Nord depuis des décennies est bien la Chine elle-même, la seule capable de faire plier Pyongjang. Quant au premier ministre japonais, lui-aussi concerné au premier chef en tant que principale cible - avec la Corée du Sud - des missiles et menaces de Kim Jong Un, il a salué l’administration Trump pour avoir osé mettre, contrairement au pacifiste Obama, "toutes les options sur la table" face à Pyongyang, y compris les plus expéditives. Des manoeuvres ont d’ailleurs été initiées également en fin de semaine dernière entre le porte-avions américain Carl Vinson et la marine japonaise, elle-même de plus en plus active depuis que le Japon a mis de facto fin à son obligation de ne pas avoir d’armée offensive réelle qui datait de la seconde guerre mondiale après sa défaite en 1945.

En guise de conclusion, après les frappes américaines début et mi-avril en Syrie et en Afghanistan, Donald Trump le néo-isolationniste devenu interventionniste, ne rate plus aucune occasion de montrer ses muscles et de prouver que America first ne veut pas dire America alone. Apparemment imprévisible, irrationnel et même « fou », selon certains, qui lui prêtent même le slogan « je suis plus fou encore que Kim Jong-un », Trump donne une leçon de stratégie en étant bien moins naïf et passif qu’on l’a cru, et surtout en alliant le bluff à la surprise, de sorte que ses adversaires internes ou externes ne peuvent plus affirmer ni qu’il est un faux nationaliste, ni qu’il est un « tigre de papier » ou un faux dur. Et ceux qui affirment qu’il a trahi ses promesses pro-russes et isolationnistes de campagne ne peuvent pas prétendre avoir été surpris, car il n’a cessé de répéter durant la campagne qu’il s’entendrait « peut être ou peut-être pas » avec Moscou, qu’il agirait au cas par cas, qu’il ne ferait pas l’erreur d’avertir ses ennemis sur ses intentions, et qu’il agirait de façon pragmatique suivant les rapports de force et les intérêts convergents ou pas entre son pays et ses partenaires. Quant à l’OTAN et aux alliances américano-asiatiques, certains au sein de l’establishment démocrate ou néo-conservateur américain, l’ont accusé de vouloir dissoudre ou abandonner la plus puissante organisation militaire du monde et d’abandonner ses alliés à ses ennemis, notamment après qu’il ait menacé de laisser tomber les pays de l’Alliance ou alliés asiatiques qui ne contribuent pas assez à l’effort de défense, alors qu’en réalité l’auteur du bestseller « L’Art du Deal » n’a fait que « convaincre » de la sorte les pays européens et les alliés d’Asie de prendre leurs responsabilité en augmentant leurs budgets de défense afin que les contribuables américains ne supportent pas seuls l’essentiel de l’effort de défense pour les autres. Finalement, Trump a obtenu de ses alliés européens et asiatiques, par sa méthode expéditive et ses menaces de désolidarisation, ce que Barak Obama et les Secrétaires généraux de l’OTAN demandaient à leurs partenaires depuis longtemps sans succès.

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