Syrie : Amina, la blogueuse gay, était un homme <!-- --> | Atlantico.fr
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Capture d'écran du blog A Gay Girl in Damascus, avec une photo d'une affiche de Bachar Al Assad (source : Electronic Intifada)
Capture d'écran du blog A Gay Girl in Damascus, avec une photo d'une affiche de Bachar Al Assad (source : Electronic Intifada)
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Cyber-Imposture

Une blogueuse lesbienne de Damas,"Amina",disparait. Une campagne de solidarité est lancée sur les réseaux sociaux. Le 12 juin, un réseau de cyber-enquêteurs débusque Amina : il s'agit d'un homme, d'un Américain. Chronologie d'une imposture encore très mystérieuse qui catastrophe les blogueurs du Moyen-Orient.

L'affaire Amina est une cyber-imposture folle. Aussi trouble et ravageuse pour de nombreux blogueurs et  cyberactivistes dans le monde arabe. Elle pourrait être même dangereuse pour les gays au Moyen Orient. L'histoire aura probablement d'autres rebondissements. Voici ses premiers chapitres.

Le blog 'A Gay Girl in Damascus"

Une blogueuse qui possède la double nationalité américaine et syrienne ouvre un blog le 19 février dernier depuis Damas sur la plateforme de blogs Blogger, de Google,  sous le pseudonyme Amina : Gay Girl in Damascus (depuis rebaptisé "Hoax" - imposture). Elle dit être lesbienne et fait la chronique du soulèvement et des répressions en Syrie, entrecoupée de récits sur ses amours clandestines. Le blog est repris par celui d'un réseau lesbien anglophone, puis sur le journal le Guardian, qui lui consacre un article, ainsi que de nombreux autres blogs, en raison d'un post  : Mon père, ce héros, où elle raconte comment son père, au courant de ses mœurs, la défend lors d'une visite  de la police secrète. 

Crédible? Très possible.Au Moyen Orient comme en Afrique, les blogs sont le seul espace public d'expression des gays, sous pseudonyme, et ils sont nombreux à bloguer en Egypte, au Liban, au Kenya. Le choix de la plateforme de blogs Blogger est logique : Google permet de bloguer sur une passerelle cryptée, en https, ce qui limite les risques d'intrusions et de surveillance. Mais en Syrie, en plein soulèvement ? La contagion des révolutions tunisienne et égyptienne ont  provoqué l'apparition de blogs très improbables, comme par exemple ceux de mamans tunisiennes tranquilles, soudain révolutionnaires.

Photo de "Amina"qui se révèlera celle d'une autre personne étrangère à l'affaire, Jelena Lecic

L'enlèvement

Le 6 juin, Rania, qui se présente comme une cousine de Amina, publie un appel sur le blog, et une toute première photo  d'Amina annonçant que sa cousine a été enlevée en pleine rue à Damas, sous ses yeux. Elle donne moult détails, y compris le type de voiture dans lequel Amina a été enlevée. "Je viens de parler à son père, qui essaie de la localiser" écrit-elle. Crédible ? Oui. Les blogueurs des régimes répressifs, en particulier tunisien, ont souvent partagé leur mot de passe avec une personne à l'étranger ou un proche, pour publier ce qu'ils envoient par mail, pour restaurer un blog piraté, ou pour lancer l'alarme en cas de silence trop prolongé. Une campagne en ligne s'organise sur le Net, avec un mot clé sur Twitter #freeamina et un groupe Facebook, qui va atteindre 15 000 membres en quelques jours.

Capture d'écran de l'ancienne page Facebook Free Amira,
avec des photos de Jelena Lecic, retirées depuis

La photo volée

Cette angélique photo réveille les doutes : d'abord ceux d'une spécialiste de l'anonymat en ligne,Liz Henry. En contactant  une Américaine qui mène une idylle en ligne avec la maintenant célèbre Amira, elle s'aperçoit que personne n'a jamais rencontré réellement Amina, ni aux États-Unis, ni au Moyen-Orient. Puis le Guardian reçoit un coup de fil affolé d'une jeune femme croate vivant en Angleterre, Jelena Lecic. Ses photos ont été utilisées sur le blog Gay Girl sans son consentement, et elle ignore tout d'Amina ou de l'affaire. La BBC l'interviewe.

Dans cette intrigue de plus en plus trouble, sur fond de guerre civile et de massacres en Syrie, deux cyber-enquêteurs se sont déjà mis  en chasse de l'auteur du blog sur Internet. Avinunu, du site londonienElectronic Intifada, et Andy Carvin, le responsable nouveaux médias de la radio publique américaine NPR, avec l'aide d'un groupe de blogueurs sceptiques et déjà très en colère. Ils remontent toutes les pistes, les groupes de discussion sur Yahoo ou Amina est passée, les registres de propriétaires des états américains où elle est supposée avoir vécu, les adresse IP (adresses d'un ordinateur). C'est long, c'est fastidieux, mais l'enquête à mains croisées arrive à une adresse en Géorgie, aux États-Unis, appartenant  à Thomas MacMasteret Britta Froelicher. Le cyber polar se déroule sur le site de NPR et  sur le site d'Electronic Intifada(en anglais).  Une invitation sur Facebook à un barbecue en Ecosse est même mise à contribution pour croiser les dates et la localisation des propriétaires, qui vivent  à l'étranger.

Le couple, contacté, y compris par le Washington Post, nie. Mais les soupçons se confirment quand des photos d'eux en Syrie disparaissent soudain de leur compte photos Picasa. Tom MacMaster a un bien étrange profil : américain, marié, ses fantasmes le portent vers l'activisme politique au Moyen-Orient, mais à 40 ans, il  étudie en classe de Mastère à l'université de Saint Andrews, en Écosse, tandis que son épouse, Britta, consacre une thèse à l'économie de... la Syrie. Ils se trouvaient d'ailleurs temporairement dans un pays voisin, la Turquie, "en vacances', quand les cyber-enquêteurs les ont contactés.

Les aveux

Tom MacMaster

Harcelé, le 12 juin, Tom MacMaster craque et publie sur le blog de "Amina" une courte déclaration : "Amina n'existe pas. C'est une œuvre de fiction", suivie d'une pédante justification de l'imposture par la nécessité de dénoncer "la couverture superficielle du Moyen Orient par les médias'. La réponse de Twitter (lien cliquable) :#FuckyouTom. The Guardian a fait  amende honorable via son médiateur.Déjà, des réflexions de chercheurs sur la "pseudonymité", nouvelle ramure des sciences de l'information, font leur apparition sur les blogs.Mais le mal est fait. Les retombées pour les blogueurs et activistes qui s'expriment sous pseudonymes, au Moyen Orient, sont graves, dans une  cyber-guerre qui vise à décrédibiliser les opposants.

Sur GayMiddleEast, le vétéran des blogs gays au Moyen Orient, Dan, qui ferraille depuis des années à ses  risques et périls personnels contre les fatwas et les  homophobes  écrit : Je suis si fou de rage que je tape n'importe comment".

Alaa, l'un des blogueurs clés de la révolution égyptienne, se féliciteaujourd'hui d'une transparence payée de répressions  policières continuelles : "Je suis content que les activistes en ligne égyptiens aient toujours refusé l'anonymat, ce qui nous a immunisés contre ce genre de souk" #Amina

Mona, journaliste au Koweït, est catastrophée : "Oh purée, le régime syrien va exploiter à fond l'affaire  #Amina pour prouver que le soulèvement est fomenté par "des puissances étrangères". La page Facebook emblématique de la revolution égyptienne, "Nous sommes tous Khaled Said" commente : "Cette imposture est un coup de poignard dans le dos des activistes en ligne, et surtout de ceux qui doivent dissimuler leur véritable identité pour se protéger des dictateurs. Je crois que la confiance que beaucoup de gens avaient dans l'activisme social a été détruite par cette imposture"@Andy Carvin conclut sombrement : "Si nous pouvions calculer le nombre d'heures passées cette semaine sur #Amina, chacune d'entre elle a été une heure que nous n'avons pas pu consacrer à la  Syrie".

Il doit être signalé qu'une autre affaire est à la disposition des journalistes,  à Paris même.   La fausse démission en direct sur France 24 d'une fausse ambassadrice syrienne à Paris, pourtant contactée via l'ambassade de Syrie à Paris, et qui a eu lieu durant ces mêmes journées.  France 24 vient de porter plainte pour usurpation d'identité.

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