Politiques "trop à gauche" ou "pas assez à gauche" : ce que les électeurs y voient vraiment<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande est lui considéré comme un président de gauche avec une politique de droite.
François Hollande est lui considéré comme un président de gauche avec une politique de droite.
©Reuters

Question de point de vue

Les Français sont partagés quant à l'orientation politique du Premier ministre : 29% pensent qu'il n'est ni de droite ni de gauche, 27% le disent de gauche et 17% estiment que c'est un homme de droite. François Hollande est lui aussi considéré comme un président de gauche avec une politique de droite. Au-delà des chiffres des sondages, analyse de ce que mettent les électeurs derrière ce vocable.

Damien Philippot

Damien Philippot

Damien Philippot est directeur des études politiques au Département Opinion et Stratégies d'entreprise de l'Ifop.

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Atlantico : Sur l'ensemble des Français, 29% pensent que Manuel Valls n'est ni de droite ni de gauche, 27% disent qu'il est à gauche, et 17% estiment qu'il est à droite (sondage Ifop). Sur quels critères les électeurs se basent-ils pour identifier un politique de droite ou de gauche ? Que mettent-ils derrière ces mots ?

Damien Philippot : Manuel Valls est en effet perçu par les Français comme ayant un positionnement politique particulier, assez étranger au traditionnel clivage gauche-droite. Cela explique d’ailleurs qu’il parvienne en tant que Premier ministre à séduire tant les sympathisants de gauche (sa cote de satisfaction dans notre dernière étude pour le JDD atteint 79% parmi les proches du PS) que, dans une moindre mesure, ceux de droite (59% au sein des sympathisants UMP dans la même enquête). Si l’on se réfère aux études de popularité menée avant qu’il n’arrive à Matignon, il bénéficiait d’ailleurs de scores très élevés parmi les proches de la droite, ce qui lui permettait au global, sur l’ensemble des Français, de se classer parmi les personnalités les plus populaires.

Cette ambivalence dans la perception qu’ont les Français de Manuel Valls s’explique par les positions qu’il a prises tant lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, que, moins récemment, lorsqu’il s’est installé comme une personnalité d’avenir au sein du Parti socialiste. A la place Beauvau, Manuel Valls a tenu des discours de fermeté, sur les roms par exemple, ou sur les reconduites à la frontière, qui ont pu séduire une partie des sympathisants de droite, parce qu’ils rappelaient ceux de Nicolas Sarkozy, tout en heurtant certains proches de la gauche, qui attendaient d’un gouvernement socialiste une attitude plus "humaniste" (on se souvient notamment de la polémique qu’avaient suscité ses paroles sur l’absence de volonté d’intégration des roms).  Et auparavant, notamment lors de la primaire socialiste pour la désignation du candidat à l’élection présidentielle, Manuel Valls avait cultivé une certaine originalité dans ses propositions, par exemple dans sa remise en cause des 35 heures, ou dans sa volonté de mettre en place une TVA sociale, autant de propositions qui pouvaient trouver un écho certain à droite, tout en mettant le feu aux poudres dans une partie de la gauche.

Il convient néanmoins de relativiser cette perception générale. Ainsi, aux yeux des sympathisants socialistes, dans la même étude, Manuel Valls est considéré comme étant de gauche par 44% d’entre eux, et seuls 11% le classent à droite.

François Hollande est jugé trop à gauche par 28% des Français, 34% pensent qu'il n'est pas assez à gauche et 30% disent qu'il est "comme il faut". Que signifient ces formules ? Comment interpréter cette ambivalence dans l'opinion publique ?

Que François Hollande soit davantage jugé comme étant à gauche que Manuel Valls s’explique d’abord par l’impopularité du président de la République. En effet, François Hollande ne bénéficie aucunement de la part des proches de la droite de la bienveillance dont jouit Manuel Valls (dès le début de son quinquennat d’ailleurs, il a été très sévèrement jugé par les sympathisants de l’UMP ou du FN qui ne lui ont accordé aucun état de grâce ; aujourd’hui, sa cote de popularité est proche de zéro, tant parmi les sympathisants de l’UMP que de ceux du FN). En fait, d’une manière assez mécanique, les Français se sentant proches de la droite le classent plus facilement à gauche, la gauche représentant le "camp ennemi" ; du point de vue de la cohérence politique que se donnent les Français parvenant à s’auto-positionner sur l’échiquier gauche-droite, si François Hollande mène une politique qu’ils n’apprécient pas, c’est forcément que cette politique est "de gauche". Peu importe aux yeux de ces mécontents que François Hollande et Manuel Valls soient censés mener la même politique, le premier, en tant que président de la République, décidant les grands axes que doit respecter le second, en tant que Premier ministre. Il est d’ailleurs possible, si la popularité de Manuel Valls venait à se dégrader, que les sympathisants de droite, par rejet du camp au pouvoir, soient plus nombreux à l’avenir à le classer à gauche, et à le faire comptable comme François Hollande de la politique socialiste menée en France.

François Hollande par ailleurs, dans l’imaginaire d’une part encore significative des Français, reste l’homme qui a prononcé le discours du Bourget, où il a clairement pris position contre la finance, ce qui constitue un véritable marqueur de gauche. Il est accusé d’avoir alourdi la pression fiscale sur les contribuables, ce qui est aussi souvent considéré comme une politique "de gauche". Ainsi, du fait de ses prises de position passées et de son parcours politique personnel, il est plus facilement considéré comme étant de gauche que Manuel Valls.

Qu’un tiers des Français le considère à l’inverse comme étant "pas assez à gauche" tient surtout au jugement émis par les personnes se positionnant à la gauche du PS, voire "à la gauche de la gauche". Ces dernières estiment en effet que François Hollande est en décalage avec ses positionnements de campagne électorale, que je viens de rappeler, et qu’il mène une politique trop libérale. Il n’y a donc pas à proprement parler d’ambivalence dans l’opinion publique, mais seulement un prisme de jugement qui diffère selon son propre positionnement politique individuel. Plus on est à gauche, moins on a tendance à considérer François Hollande comme un homme de gauche.

Source : sondage BVA

Sur quels critères les sondeurs se basent-ils pour identifier une politique de droite et de gauche ? Comment cela a-t-il évolué dans le temps ?

Les sondeurs n’ont pas à identifier une politique comme étant de gauche ou de droite. Ils s’intéressent non pas à l’examen des politiques elles-mêmes, mais à la perception que peuvent en avoir les Français. Et dès lors, ils interrogent les sondés sur leurs représentations personnelles, forcément subjectives. Ainsi, un sondage peut demander aux personnes constituant l’échantillon interrogé de catégoriser une politique menée, leur demandant si elles la considèrent comme étant "de droite" ou "de gauche", mais il ne donnera pas de définition à ces qualificatifs, laissant les interviewés libres de procéder à leur propre classification personnelle.

Toutefois, dans l’analyse des comportements et représentations politiques des électeurs que fait le sondeur, il lui est possible d’identifier des marqueurs de gauche et des marqueurs de droite. L’électeur de gauche par exemple sera davantage intéressé par les problématiques à caractère économique ou social et accordera moins d’importance aux sujets comme l’immigration ou l’insécurité, qui, s’ils ne sont pas sans importance pour lui, sont quand même relégués au second plan ; à l’inverse, l’électeur de droite fera davantage état de sa préoccupation à voir traiter ces enjeux régaliens. En fait, du point de vue des préférences politiques, l’électeur de gauche sera plus sensible que celui de droite à la justice sociale, sa vision du monde incluant davantage l’idée que la naissance reproduit les inégalités, et qu’il convient à l’action politique de les corriger, quand l’électeur de droite sera plus respectueux de ce qui s’apparente selon lui à un "ordre naturel" des choses auquel il convient de ne guère toucher. En matière de fiscalité par exemple, le proche de la gauche privilégiera la progressivité de l’impôt alors que l’électeur de droite s’attachera surtout à le voir diminuer ; s’agissant des prestations sociales, il penchera pour une forte redistribution, quand l’électeur de droite parlera "d’assistanat".

Mais il ne faut pas tomber dans la caricature, et sur nombre de sujets, les enquêtes montrent que ce sont bien souvent des différences de degrés qui persistent, plutôt que des antagonismes brutaux. Ainsi par exemple, une majorité de sympathisants de gauche jugent aujourd’hui qu’il y a trop d’étrangers en France, ce qu’on aurait pu considérer comme un positionnement spécifique au peuple de droite. Aujourd’hui peut-être plus qu’il y a quelques années, les frontières sont plus floues entre les attitudes des électeurs de gauche et celles des proches de la droite.

Source : sondage BVA

Les électeurs de droite voient-ils la gauche de la même façon que ceux de gauche et inversement ?

L’autopositionnement sur l’échelle gauche-droite n’est plus aujourd’hui une chose évidente pour nombre de Français. Ainsi, dans nos enquêtes, une part significative des sondés se déclarent sans sympathie partisane particulière, alors même que de gauche à droite l’offre politique est actuellement assez riche en France. Par ailleurs, on relève qu’aujourd’hui, plus que par le passé, les électeurs sont capables d’une mobilité forte sur l’échiquier politique, changeant d’inclination, parfois plusieurs fois, au cours de leur vie électorale, et n’hésitant pas à basculer d’un camp à l’autre en fonction des personnalités se présentant, ou de leur humeur du moment.

En dépit de cette instabilité, nombre de Français sont capables de se dire "plutôt de gauche" ou "plutôt de droite", et ce clivage continue de reproduire quelque chose d’assez solidement ancré dans les divergences de représentations personnelles qui existent au sein de la population. Comme je le notais plus haut, il existe toujours des "visions du monde" pas tout à fait similaires qui partagent les Français en deux camps politiques. Il est difficile de savoir par la suite à quel niveau de conscientisation personnelle l’on se situe dans l’analyse de ses propres représentations politiques ; cela dépend nettement de l’intérêt que l’on porte à la politique , de son niveau d’engagement politique personnel et aussi de son capital culturel. Toujours est-il qu’un autopositionnement politique s’accompagne nécessairement d’un minimum d’identification des valeurs politiques du camp dans lequel on s’inclut, et de manière parallèle, d’une capacité à définir ce que sont celles du camp adverse. L’homme de gauche par exemple se considèrera ainsi souvent attaché à la justice sociale, et persuadé que l’homme de droite l’est moins. A l’inverse, celui qui se classe à droite se verra en défenseur de l’ordre, accusant facilement la gauche de laxisme. N’oublions pas que le champ politique est aussi un champ de la "détestation" et que l’on se construit politiquement aussi par rejet de l’adversité politique. Le jugement sur la politique menée par le pouvoir en place finit ainsi toujours pour ses opposants par se structurer à l’aune de ce besoin assez primaire de dévaloriser la politique que les dirigeants qui sont au responsabilité sont en train de mener.

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