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Quand la peur s'invite sur les réseaux sociaux
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Revue de blogs

Danah Boyd est une chercheuse américaine qui étudie les pratiques sur ses réseaux sociaux. Dans l'un de ses plus récents articles, publié sur "The Guardian", elle s'interroge sur la surenchère des stimuli destinés à attirer l'attention sur les réseaux sociaux et parmi ceux-ci, le plus efficace : la peur.

Danah Boyd est une chercheuse cool : elle est non seulement très populaire en ligne (63 000 abonnés sur Twitter)  mais également l'une des rares à étudier depuis leurs débuts et à comprendre de l'intérieur les réseaux sociaux, par sa passion de l'Internet et par ses recherches sur les jeunes internautes américains. Dans une tribune récente sur The Guardian, elle s'est interrogée sur la peur et le gigantesque pouvoir de dispersion qu'ont les réseaux sociaux sur la propagation de cette émotion. Voici des extraits traduits de son article, reproduits avec son autorisation : 

[...] "J'aimerais poser une question avec laquelle je me bats ces dernières années : quel rôle jouent les médias sociaux dans la création ou la diffusion de la peur sociétale ? Cette question prend racine dans trois présupposés de base : 1 Nous vivons dans une culture de la peur. 2. The attention economy (l'économie de l'attention) procure un terrain fertile à la culture de la peur. 3. Les médias sociaux amplifient l'économie de l'attention. [...]

La peur et l'attention

"L'expression "culture de la peur" fait référence aux moyens par lesquels la peur est utilisée par les marketeurs, les politiciens, les créateurs de technologie et les médias pour réguler la population et modeler ses conceptions du monde. La peur n'est pas juste un produit de forces naturelles. Elle peut être générée de façon systématique pour attirer, motiver ou écarter les personnes. Ceux qui détiennent le pouvoir utilisent depuis longtemps  la peur pour contrôler la population. Une définition du "terrorisme", par exemple, est l'utilisation systématique de la peur pour atteindre des buts politiques. [...]

L'économie de l'attention procure un terrain fertile à la culture de la peur. Dans les années 70, le chercheur Herbert Simon avait argumenté que "dans un monde riche d'informations, l'abondance d'informations signifie la mort de quelque chose d'autre : la rareté de ce qui est consommé par l'information". Ce que l'information consomme est assez évident : elle consomme l'attention de ses récipiendaires.

Ses arguments ont donné naissance tout à la fois à la notion de l'"information overload" (overdose d'informations) mais aussi à celle d'"économie de l'attention". Dans une économie de l'attention, l'acceptation des personnes à accorder leur attention à différentes informations provoquant des stimuli génère de la valeur pour les stimuli en question. De fait, l'importance économique des publicités est calibrée sur l'idée que capter l'attention des gens sur quelque chose a une valeur. 

Les nouveaux médias sont étroitement imbriqués dans l'économie de l'attention. Les journaux essayent de capter l'attention des lecteurs par les gros titres. Les TV et les stations de radio tentent de retenir les gens pour qu'ils ne changent pas de canal.  Et  l'histoire des médias d’information exploitant la peur pour attirer l'attention est longue. [...]

Maintenant, voilà qu'arrivent les médias sociaux...[...] Quel que soit notre ressenti devant ces masses d'informations, une chose est claire : le volume d'informations ne va pas décroître de sitôt. Si l'on considère l'augmentation d'informations et de médias, ceux qui veulent que les gens consomment leurs productions livrent une bataille difficile pour capter leur attention. Tous ceux qui pratiquent le marketing en ligne sur les médias sociaux savent à quel point c'est difficile d'attirer l'attention des gens dans ce nouvel écosystème.  

Plus les stimuli en compétition pour votre attention sont nombreux, plus les capteurs d'attention doivent lutter pour vous inciter à regarder de leur côté. Le plus souvent, ceci débouche sur une guerre psychologique, les capteurs d'attention exploitant toutes et n'importe quelles émotions pour vous attirer.

Et c'est là que nous voyons la peur revenir dans le cadre. Parce que la peur est un mécanisme biologique pour attirer l'attention des gens, nous voyons des personnes qui instrumentalisent la peur pour attirer l'attention. La peur est une émotion extraordinairement efficace à exploiter. La peur est un levier particulièrement puissant dans un environnement où l'attention disponible est limitée. [...]

Avec les médias sociaux, l'intersection entre la peur et l'attention est plus fractionnée [qu'avec les médias traditionnels, ndr]. Il y a certainement des messages diffusés depuis une grande distance, mais la majorité de cette capture d'attention a lieu dans le monde des contenus générés par les utilisateurs. Ceci créé un écosystème ou l'hystérie ne vient pas nécessairement de là haut, mais plutôt, de partout autour de nous. 

De façon intéressante, la peur sur les réseaux sociaux n'est pas exploitée uniquement par les marketeurs, les magnats et les politiques. Les amis, la famille, les collègues utilisent de façon de plus en plus fréquente la peur pour attirer l'attention, parce que ça marche. Mes recherches s'intéressent à la culture des ados, donc, je vois beaucoup cela à travers ce prisme. Je vois que les parents ont recours à la peur pour que leurs enfants leur prêtent attention. Je regarde tandis que des ados utilisent la peur pour attirer l'attention de leurs pairs. Les ados et les parents développent tous un sens aigu de ce qui va attirer l'attention de leurs interlocuteurs. L'attention est effectivement la monnaie de la société actuelle.

L'hystérie est un élément de ceci, qu'elle s'exprime dans la fabrication de peurs ou simplement la dramatisation. Beaucoup des pratiques des ados, que les adultes déplorent, dérivent de ce désir d'attirer l'attention dans une économie de l'attention. Cependant, les adultes ne sont en aucun cas innocents de ceci. Eux aussi utilisent la peur pour capter l'attention. Considérez les différentes campagnes contre les drogues et la sécurité en ligne. Alors, pouvons-nous vraiment blâmer les ados de tenter de maîtriser ce paysage défini par les adultes ? [...]

Les gens utilisent régulièrement Facebook et Twitter pour partager des liens et raconter leurs histoires. Certaines font partie de la peur. Des messages angoissants sur des politiciens, des crimes, et les "autres" (des gens différents, ndr) se répandent régulièrement sur les médias sociaux. La plus grande partie de ceci est invisible à la population au sens large parce qu'elle est localisée à l'intérieur du réseau social. Pourtant, quand on s’assoit avec les gens et qu'on regarde Facebook ensemble, je tombe souvent sur des messages lourds d'angoisse. Étant donné le climat politique aux États-Unis, je ne suis pas surprise de trouver des discussions sur les Mormons - et, en particulier, sur Mitt Romney. Je ne suis pas non plus surprise de trouver des messages paniqués, disant que les médias d'informations ont caché la vérité sur le 'véritable' certificat de naissance du Président Barack Obama. Des discussions angoissées sur la violence, les prédateurs sexuels, et d'autres questions de sécurité des enfants sont omniprésentes chez les parents. Les femmes enceintes s'inquiètent autour d'articles qu'elles trouvent sur l'autisme, l'empoisonnement au mercure et les vaccins. Chaque communauté semble craindre quelque chose, et ces craintes s'exacerbent en ligne. 

Dans un certain sens, rien de tout cela n'est nouveau. Nous avons vu des pics de peur provoqués par des médias qui existaient avant. Le chercheur en sciences de la communication George Gerbner a remarqué que la couverture par les médias généralistes d'événements violents provoquent chez les gens l'idée que le monde est plus dangereux qu'il ne l'est réellement.  Il a appelé ce phénomène le "syndrome du monde méchant". Plus les gens sont exposés à des contenus négatifs sur ce qui se passe dans le monde, plus ils croient que le monde est un endroit maléfique. Mais qu'arrive-t-il quand ils sont exposé à la méchanceté, à la cruauté, à la peur et à l'angoisse par le biais de personnes qu'ils connaissent ?  

Les médias en réseaux connectent les personnes à leurs amis, à ceux qu'ils aiment, mais ils créent aussi une infrastructure par laquelle l'information peut circuler rapidement. Les photos de bébé et les annonces festives se répandent comme une traînée de poudre, mais la désinformation et la peur aussi. Comment cette production de peur affecte-t-elle la société ? Qui porte la responsabilité du contrôle de la peur ? Est-ce une question de conception [de la technologie, ndr] ? Une responsabilité individuelle ? Un problème sociétal ?  

Les médias sociaux sont là pour rester. Nous devons dépasser le stade où nous les célébrons ou les fustigeons, afin de réfléchir à comment vivre de façon productive avec eux. Nous avons besoin que les gens s'engagent vraiment dans l'examen des dynamiques qui se révèlent être les conséquence d'une nouvelle infrastructure de connexion entre les personnes. [...]

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