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Des milliers de Tibétains en exil aux quatre coins du monde ont commémoré ces jours-ci la répression sanglante de l’insurrection contre le pouvoir maoïste chinois qui fit près de 90 000 morts en mars 1959.
Des milliers de Tibétains en exil aux quatre coins du monde ont commémoré ces jours-ci la répression sanglante de l’insurrection contre le pouvoir maoïste chinois qui fit près de 90 000 morts en mars 1959.
©Mandel Ngan / AFP

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Alexandre del Valle décrypte et analyse la situation des Tibétains et le rôle des autorités chinoises. Les Tibétains viennent de commémorer la répression de l'insurrection contre le pouvoir maoïste en mars 1959.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Des milliers de Tibétains en exil aux quatre coins du monde ont commémoré ces jours-ci la répression sanglante de l’insurrection contre le pouvoir maoïste chinois qui fit près de 90 000 morts en mars 1959. Ceci dans l'indifférence générale de la communauté internationale qui préfère parler des musulmans ouïgours... Deux poids, deux mesures dans l'indignation. Islamiquement correct oblige...

Rappelons les faits: en 1950, les soldats de la République populaire de Chine, régime totalitaire communiste fondé un an plus tôt par Mao Tse Doung, envahissent le Tibet, géré de façon indépendante depuis 40 ans. Une insurrection armée contre la domination chinoise y est donc lancée dès 1956, après moult brimades et répressions et de vaines tentatives de résistance pacifique, Elle se solde, entre les 10  et 19 mars 1959, par la mort de 87 000 tibétains bouddhistes indépendantistes et favorables au Dalaï-lama. Le plus gros massacre a lieu à Lhassa, lorsque le 14 ème dalaï-lama s’était vu ordonner par Pékin d’assister sans sa garde à un spectacle au quartier général chinois et que 10 000 militants tibétains indépendantistes redoutant ce piège s'étaient massés devant son palais (pour l'empêcher de sortir et le protéger. Entre-temps, le dalaï-lama s’échappe (17 mars) vers l'Inde. Depuis, la situation des Tibétains, durablement occupés et réprimés par le pouvoir autocratique communiste chinois, ne s'est jamais améliorée au point que la nation tibétaine est en passe de devenir minoritaire sur son propre seul, ce que le Dalaï-lama a qualifié de "génocide culturel.

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Les chiffres parlent d'eux-mêmes: depuis les répressions de mars 1959, la terrifiante "Révolution culturelle" des années soixante et les persécutions récurrentes jusqu'à nos jours, plus de 20% de la population tibétaine – 1,2 million– aurait péri sous le joug maoïste. Rappelons que plus de 99% des 6000 monastères, temples et sanctuaires religieux du Tibet ont été pillés ou décimés, que le Tibet est militairement occupé, économiquement pillé et ethniquement colonisé (par l'envoi de millions de chinois majoritairement Han). Pékin compte ainsi résoudre à sa manière le "problème tibétain", c'est-à-dire par la submersion démographique couplée à la sinisation forcée et à la "rééducation" marxiste-maoïste... La langue tibétaine, devenue minoritaire sur son propre sol autochtone, est condamnée à un déclin inéluctable par cette sinisation-"hanisation" progressive et forcée. Abandonnés par tous les gouvernements du monde, qui ne veulent pas se brouiller avec la nouvelle hyperpuissance chinoise (idem pour Taïwan, Hong-Kong, Xinjang, etc), les dirigeants en exil du Tibet libre redoutent une offensive inédite contre le mode de vie tibétain de la part d'un régime néo-maoïste devenu encore plus totalitaire depuis qu'en 2012 Xi Jinping a pris le pouvoir. Ce dernier pense que l'ambition chinoise de dépasser les Etats-Unis comme Hyperpuissance planétaire passe par l'homogénéisation culturelle, idéologique et sociale de son pays et des provinces récalcitrantes. L'emprise maoïste sur la société tibétaine s'est d'autant plus renforcée sous son règne que cette province a été choisie comme zone pilote pour inaugurer le système orwelien terrifiant de contrôle total de la société fondé sur le "crédit social", l'hyper surveillance technologique et l'enfermement/rééducation des "citoyens malhonnêtes": l'enseignement de la langue tibétaine est banni, l'apprentissage de l'orthodoxie communiste maoïste et de la vision de Xi est obligatoire et passe par la dénonciation des "superstitions" religieuses; les monastères sont harcelés par l'administration, les partisans du Dalaï-lama mis au ban; les campagnes d'urbanisation éloignent les nomades de leurs pâturages ancestraux; le Part communiste chinois va choisir le prochain Dalaï-lama, qui deviendra de ce fait un pantin soumis à Pékin et au PCC. Dans les médias, les écoles, les universités et les discours politiques, le leitmotiv du régime à l'endroit des Tibétains sommés de renoncer au fondement bouddhiste de leur identité est sans ambiguïté: le secrétaire du Parti communiste chinois les somme de «réduire leur consommation religieuse» afin de construire un «nouveau Tibet socialiste moderne»... Tout un programme qui rappelle celui imposé aux Ouïgours, à la différence près que les Tibétains ont bien moins de relais internationaux, onusiens, diplomatiques et financiers qui sont capables de faire parler du "génocide culturel" en cours à leur encontre.

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Deux poids deux mesures

D'évidence, les indépendantistes bouddhistes tibétains attirent bien moins l'attention des politiques et des médias occidentaux et même des instances mondiales (ONU, UE, OSCE, Conseil de l'Europe, ONG de défense des droits de l'Homme, etc) que les musulmans ouïgours du Xinjiang ou les Rohingyas de Birmanie, quant à eux à la fois soutenus par les 57 pays de l'Organisation de la Conférence Islamique (OCI) et par les démocraties occidentales, quand bien même les Ouïgours du Xinjang et les Rohingyas de Birmanie ont parfois embrassé, à la différence des Tibétains séparatistes pacifistes, des groupes terroristes islamistes connectés au jihadisme mondial. Les pays occidentaux ne ratent d'ailleurs jamais une occasion de complaire aux associations "antiracistes" à géométrie variable, aux lobbies islamiques et aux pétromonarchies du Golfe en dénonçant "l'islamophobie de Pékin (sans toutefois rien entreprendre pour sanctionner l'hyperpuissance chinoise comme ils le font contre la Russie pourtant bien moins dangereuse), mais jamais la "bouddhistophobie" du pouvoir maoïste. Ces pays démocratiques anciennement qualifiés de "Monde Libre" contre l'URSS, dont l'indignation est fort variable, ont mis au ban des nations la Russie - pourtant post-soviétique et qui a les mêmes ennemis civilisationnels qu'eux - mais n'ont curieusement jamais condamné moralement, juridiquement et solennellement le communisme responsable de 100 millions de morts (dont 50 au moins en Chine) comme ils l'ont fait pour le nazisme. La lutte contre l'islamophobie, vue comme une nouvelle forme de "racisme", est d'ailleurs devenue l'un des combats phare du Conseil des droits de l'homme des Nations unies, des instances internationales investies dans la défense des minorités et des droits de l'homme, tandis que la persécution des Bouddhistes tibétains ou autres minorités par Pékin n'est apparemment pas une "phobie" homologuée, ni une cause géopolitiquement et économiquement porteuse. La persécution tout aussi forte et ancienne des Tibétains par le régime néo-maoïste de Xi passe de ce fait totalement sous le radar.

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Pourtant, depuis l'arrivée au pouvoir suprème, en 2012) de Xi Jinping - qui s'est érigé en président à vie et a fait inscrire sa doctrine dans le marbre constitutionnel à l'égal de Mao, la situation s'est plus que dégradée: violations de liberté religieuse (bouddhiste); emprisonnements d'opposants anti-communistes et séparatistes, "rééducations communistes", etc. Le peuple tibétain n'a pas le droit de voyager ou de se déplacer en transports en commun, sauf s'il présente des dizaines de documents difficiles à compiler, ainsi que de participer à des concours publics, sauf pour ceux qui connaissent parfaitement le chinois. Pékin construit des usines dans la région, important de la main-d'œuvre chinoise avec la promesse de salaires plus élevés et de vacances plus longues, au détriment du peuple tibétain réduit à une minorité et à des citoyens de seconde zone sur son propre sol ancestral. Le droit de parole est pratiquement inexistant pour les Tibétains dont des milliers ont été torturés dans des prisons en ruine où beaucoup se meurent dans l'indifférence de la "communauté internationale" sans jamais pouvoir bénéficier de procédures régulières. Quant aux femmes tibétaines, elles ont été forcées de subir la stérilisation et l'avortement massifs. Mais cette cause n'a pas mobilisé les nouvelles génération de féministes occidentales surtout concentrées sur la dénonciation du "Mâle Blanc de 50 ans" et la défense "inter sectionnelle" du droit au voile islamique, mis sur le même plan que les droits des LGBT... Les Tibétains sont persécutés pour leurs croyances : les moines sont contraints de subir des sessions de «rééducation patriotique», comme les Ouïgours, et même de dénoncer le Dalaï-lama et de déclarer obéissance au Parti communiste. Et on ne comptera surtout pas sur les "islamo-gauchistes" devenus hégémoniques dans l'Université française, comme l'a dénoncé la Ministre des Universités Frédérique Vidal, pour dénoncer le sort des "réactionnaires" bouddhistes "islamophobes" qui s'attaquent aux Rohingyas au Myanmar et dont le Dalaï-lama a commis l'erreur impardonnable - pour les chasseurs "d'islamophobes" - d'alerter les Européens sur les dangers de l'immigration islamique de masse...

Même les immolations de moines et militants tibétains ne font plus couler l'encre des médias qui ménagent la dictature orwélienne maoïste de l'Oncle Xi...

Depuis 2009, on recense près de 170 cas connus d'immolation par le feu de Tibétains protestant contre la répression religieuse et culturelle à laquelle sont soumis dans les différentes régions qui composent ce qui reste d'un Tibet occupé, repeuplé par des Chinois Hans et divisé de façon à détruire durablement son unité civilisationnelle et politique. Depuis l'immolation du moine Tapey, qui, le 27 février 2009, mis le feu au monastère de Kirti, la plupart des auteurs d'immolation ont été des moines qui ont protesté, en vain, contre la fermeture et de la destruction de temples et monastères. Il est vrai que face au rôle économique et stratégique croissant, et en raison de l'extrême dépendance des démocraties occidentales vis-à-vis de l'usine du monde chinoise, la plupart des gouvernements occidentaux ou autres autrefois les sponsors de la cause tibétaine, ont fini par limiter leur soutien, voire y mettre totalement fin. Précisons que depuis que le Dalaï-lama a officiellement renoncé à la pleine indépendance du Tibet, désormais divisé en plusieurs régions et provinces, le combat des moines et du chef tibétain consiste simplement à sauver les meubles dans le cadre de luttes pacifistes, sans jamais utiliser; contrairement aux Rohingyas et aux Ouïgours, à l'arme du terrorisme: simplement protéger une civilisation ancienne, ses valeurs spirituelles et culturelles ancestrales et uniques, dans le cadre d'une stratégie de non-violence. Le fait même que les seuls actes radicaux des moines bouddhistes tibétains soient des immolations mais jamais des assassinats d'enfants et civils innocents contrairement à certains groupes terroristes rohingyas et ouïgours, devrait pourtant rendre la cause tibétaine et du Dalaï-Lama plus noble et défendable de la part des défenseurs occidentaux des droits humains et des minorités. Mais tout porte à croire que ceux qui, comme les islamistes palestiniens, kosovars, ouïgours ou rohingyas ont cédé à la tentation du terrorisme ont "mieux" réussi à mobiliser les paradoxales belles âmes progressistes occidentales...

Même en Inde - pays qui a pourtant accueilli en 1959 le Dalaï-lama et abrite depuis des décennies la plupart des réfugiés fuyant la répression chinoise ainsi que le gouvernement tibétain en exil (à McLeodganj), les activités politiques des Tibétains y sont sévèrement limitées, car bien qu'étant un ennemi séculaire de la Chine, le pouvoir hindouïste-BJP du premier ministre Narenda Modi veut éviter les sujets de frictions (dèjà nombreux) avec son redoutable voisin.

En guise de conclusion...

La politique chinoise de «normalisation» du Tibet passe comme nous l'avons vu 1/ par une immigration massive de Chinois Hans destinée à modifier substantiellement l'équilibre démographique -, 2/ par l'exploitation intense des ressources naturelles, 3/ par la dissuasion de toute expression religieuse jugée "contraire au communisme" maoïste, 4/ par un hyper-contrôle orwellien totalitaire et 5/ une politique de "rééducation"-soumission massive.

Dans ce contexte, les journalistes, les politiques, les ONG défenseurs des droits humains et les observateurs étrangers qui défendent les Tibétains voient leur accès interdit au toit du monde. La censure officielle y rend encore plus difficile la connaissance de la situation réelle: les sanctions contre les "sources non autorisées" par le pouvoir totalitaire néo-maoïste sont extrêmement sévères. A cela s'ajoute l'autocensure des observateurs internationaux concernant l'opposition au pouvoir de Pékin dans un contexte d'une montée inexorable de l'Hyperpuissance chinoise envers laquelle la crise sanitaire a révélé que le reste du monde - et en particulier l'Occident désindustrialisé - sont dangereusement eux-mêmes "hyper-dépendants". La cause tibétaine indépendantiste en paie plus que jamais le prix, et pas seulement les Ouïgours.

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