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Le drame de l'Ukraine, la dérive irrédentiste de Vladimir Poutine... Risque de IIIème guerre mondiale ?
©ARMEND NIMANI / AFP

Géopolitico Scanner

Cette semaine, notre chroniqueur Alexandre del Valle s'est entretenu avec Léonardo Dini, professeur de droit franco-italien et expert de politique internationale présent sur le front de l'Ukraine, l'un des meilleurs connaisseurs de la géopolitique russo-ukrainienne. Actuellement réfugié à Lviv, dans l'extrême-ouest du pays avec sa femme ukrainienne, après avoir fui Kiev, sous le feu de l'armée russe, il nous a fait part tant de ses analyses géostratégiques et politiques que de ses craintes quant à certains scénarii possibles peu rassurants. Le point sur une crise gravissime, fruit de 25 ans de dégradation progressive des relations russo-occidentales et russo-atlantiques depuis la fin de la Guerre froide

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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La première question que tout observateur neutre peut se poser est la suivante: Quel intérêt Poutine à s'isoler totalement du reste de la "communauté internationale" en envahissant et occupant ? D'après le professeur Dini, tout découle de son projet de "reconstitution d'une grande Russie dans le cadre de laquelle la "reconquête" de Kiev, ex-lieu de naissance de la sainte Russie ("Rous de Kiev"), est fondamentale pour la Russie. Or cette prise de guerre est très facile, et nécessite peu de moyens, d'autant que le président biélorusse, Loukachenko, s'est montré totalement prêt à mettre son territoire à disposition de la Russie pour prendre Kiev malgré ses dénégation". Pour Dini, si Vladimir Poutine ressort diabolisé, discrédité et totalement isolé internationalement de cette opération, il en retire en revanche un nouveau prestige intérieur auprès d'une population à la fois préparée et très nationaliste. Il nous rappelle qu'"au Donbass, un million d'habitants a déjà demandé la nationalité russe".

Notre interlocuteur est visiblement marqué par la violence de l'invasion de l'Ukraine sur décision de Vladimir Poutine - "qui a pour cela reçu l'approbation fervente de tout son entourage de plus en plus militaire (ministre de la Défense Serguei Choigou, et généraux jusqu'auboutistes, notamment") - et d'une grande partie de la population russe, qui, suivant la presse officielle russe, pense qu'il s'agit d'une opération de secours aux "frères russes persécutés et victimes d'un génocide de la part des "nationalistes nazis ukrainiens anti-russes" dans le Donbass. Notre interlocuteur est également très inquiet des propos - devenus récurrents - d'un président russe qui ne cache plus ses intentions irrédentistes. Il cite notamment "le discours de Poutine du 21 février dernier, qui a duré une heure et demi, sans équivoque : l'Ukraine est un territoire russe et fait partie de la Russie, elle est donc entièrement l'objet d'une conquête militaire". Notre professeur, pourtant au départ adepte d'une position modérée concernant la nécessité selon lui de na pas étendre l'OTAN vers l'est, est désormais fort alarmiste et prend très au sérieux les déclarations du Premier ministre britannique Boris Johnson qui a affirmé que "la Russie planifie la plus grande guerre d'Europe depuis 1945"...

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Bien qu'au départ hostile à l'extension de l'OTAN vers les portes de la Russie, Dini pense maintenant que cette exigence poutinienne de non-extension de l'Alliance, si elle avait été garantie par les Européens pour "calmer" le Kremlin, "n'aurait pas empêché l'enchaînement belliciste et irrédentiste qui a suivi". Il nous rappelle les propos de la ministre des Affaires étrangères anglaise, Liz Truss: "Poutine ne s'arrêtera pas en Ukraine, il veut revenir au milieu des années 1990". Les États baltes pourraient être la prochaine cible ». Il est clair que dans ce cas, la conflictualité monterait d'un cran supplémentaire... car le conflit opposerait dès lors les forces de l'OTAN, dont les Pays-Baltes sont membres, à la Russie, donc deux puissances nucléaires... Et notre expert d'envisager une poursuite de la geste conquérante russe - et donc d'un scénario similaire en Géorgie (candidate à l'entrée dans l'OTAN, que Moscou accuse de ne pas avoir retenu les leçons de 2008...) ou ailleurs, y compris en Pologne, en Roumanie ou dans les Balkans. Leonardo Dini rappelle un autre passage du second discours inquiétant de Vladimir Poutine de jeudi matin, dans lequel ce dernier a clairement dit qu'il "pourrait y avoir des massacres de civiles de masse à cause du gouvernement ukrainien..." Bref, tous les ingrédients potentiels d'une conflagration régionale sont présents et opposent la Russie (et alliés) aux pays de l'OTAN et donc en premier lieu aux Etats-Unis, même si l'Europe risque d'être le principal théâtre de guerre, y compris nucléaire, en cas de guerre russo-américaine/russo-atlantique... Le professeur Dini estime que ce spectre cataclysmique, peu probable, n'est pas totalement impossible... L'Ukraine pourrait en effet être le déclic d'une Troisième guerre mondiale si des dérapages venaient à opposer, via Baltes ou Polonais interposés, des militaires russes et des forces de l'OTAN, sachant qu'en face des Russes présents dans le Donbass, en Crimée et en Biélorussie, de nombreux instructeurs militaires américains et britanniques ont été présents et pourraient l'être encore officieusement aux côtés de l'armée ukrainienne. Autre signe plus qu'inquiétant: "Poutine a désigné dans ses discours télévisés récents les "mercenaires nazis" et polonais" dans le Donbass et à l'Ouest, ce qui signifie qu'il prépare peut-être l'opinion publique à une éventuelle attaque contre les pays baltes et la Pologne". Poutine a d'ailleurs parlé de "conséquences jamais vues auparavant" si l'on interfère (le "on" étant n'importe quel pays de l'OTAN), ce qui nous "prépare à la fois à de très nombreuses pertes humaines, soit/et à une possible invasion de pays 'ennemis" des Russes comme la Pologne, les Pays Baltes ou la Roumanie", sans écarter totalement le scénario horrible d'une utilisation d'une bombe nucléaire", option que Poutine a présenté à de nombreuses reprises ces dernières années comme une option non plus seulement défensive mais offensive"....Poutine, déclara d'ailleurs à Davos, en mars 2021: 'on est en train de glisser lentement vers une guerre à échelle planétaire', ce qui peut vouloir signifier la III ème guerre mondiale"... Dernier point peu rassurant: "le cercle magique de Poutine n'est plus composé d'oligarques, mais d'un petit cercle de 5 à 6 personnes, dont le belliqueux ministre de la défense Choigou, actuel premier conseiller de Poutine, et qui pourrait à terme être le successeur du maître du Kremlin".

Le dialogue reste-t-il de mise ? 

Pour Dini, "la tentative courageuse et intelligente, in extrema ratio, de médiation du président français Macron, était la seule potentiellement capable de faire basculer l'équilibre sur le terrain et d'obtenir des résultats concrets. Cependant, Macron a été confronté à trois obstacles: le premier, une méfiance mutuelle, maintes fois répétée, entre Biden et Poutine, entre Américains et Russes, à laquelle s'ajoute la difficulté du dialogue quasi impossible entre le Secrétaire d'Etat américain Anthony Blinken, d'origine ukrainienne et ardent défenseur de l'Ukraine et de l'indépendance, et son homologue russe, Serguei Lavrov. Deuxième, les intérêts économiques russes dans le gazoduc North Stream I et II, qui concernent directement l'Allemagne de Scholz, lequel à son tour a un rôle décisif pour pouvoir convaincre les Russes via Macron. Troisième: la machine de guerre russe, d'ores et déjà en marche, et les plans opérationnels techniques militaires, tels que Poutine les a défini, sont déjà actifs depuis cinq jours. Le risque était par conséquent important que Macron soit trompé par Poutine dans l'optique de la mise en place de l'évacuation du Donbass et de l'invasion militaire russe de celui-ci. Enfin, la question de l'Otan reste centrale, l'Amérique ne peut pas donner des garanties absolues sur la non-adhésion de l'Ukraine et surtout sur le retour au statu quo militaire à 1997". Nous sommes à un point de non-retour... Le professeur Dini ne cache pas sa déception, car des solutions auraient pu éviter cette escalade: "En fait, l'extrême fragilité politique, économique et militaire de l'Ukraine, qui remonte à sa naissance en 1919-1921 et qui persiste encore, est le plus grand obstacle à sa pleine autonomie et indépendance vis-à-vis de Moscou et de Washington. En ce sens, pour l'Ukraine, le véritable tournant avant l'invasion russe n'était pas dans l'adhésion à l'OTAN mais dans un savant équilibre entre l'approche de l'Union européenne et celle de l'Union douanière et économique eurasiatique. Cela aurait restauré son véritable rôle historique en tant qu'U-Kraina : la région frontalière eurasienne entre la Russie et l'Europe".

Evolution de la guerre de conquête russe sur le terrain

Edoardo Dini nous confirme que "la situation à Kiev et partout ailleurs s'aggrave depuis le début de l'invasion russe, la capitale ukrainienne ayant été évacuée par de nombreux habitants et par toutes les chancelleries occidentales, les troupes russes bombardant la ville. Même la ville de Lviv, près de la Pologne, à l'est, est visée et tombera tôt ou tard, comme est tombée Marioupol, au sud du Donbass, ces dernières heures". Après le départ de nombreux civils du Donbass et la reconnaissance de l'indépendance du Donbass par la Douma puis Vladimir Poutine lui-même et son Conseil de sécurité (réuni le 21 février dernier), la prochaine étape pourrait être selon notre interlocuteur un referendum au Donbass en vue d'un rattachement à la Russie, comme cela s'est produit pour la Crimée en 2014. Pour lui, "la prise totale de Kiev par les forces russo-biélorusses, est une question de temps. La capitale est en effet située tout près de la Biélorussie et quasi enclavée au nord, donc facile à prendre, majoritairement russophone linguistiquement. Conformément au discours de Poutine sur la non-existence historique de l'Ukraine, ce pays serait une "création artificielle de Lénine"......Certes, Dini ne nie pas la possibilité d'une grande résistance de la part des forces ukrainiens, "mais le rapport étant de 1 à 20 au niveau des équipements militaires, cette résilience ukrainienne, à Kiev ou ailleurs, ne pourra pas durer plus que quelques jours, au maximum une semaine". Et les armes livrées par les anglo-saxons ou les Polonais, légères ou moyennes, ne sont pas suffisantes. "Dans cette perspective, même la perspective d'une mini-république ukrainienne libre basée à Lviv ne semble plus possible"...

Dini nous rappelle que dans le narratif russo-poutinien (ou douguinien), la "Grande Russie" ne peut pas vivre sans cette capitale dont Poutine a rappelé qu'elle fut l'origine même de la nation russe ("la Rouss de Kiev"). Concernant ses habitants, le public occidental ignore souvent qu'ils sont majoritairement russophones; qu'ils demeurent divisés et que de ce fait, "il n'est pas certain que tout Kiev résiste face à une invasion russo-biélorusse", n'excluant même pas totalement que "Kiev s'intègre bien à la possibilité de revenir dans le giron russe". Information étonnante, Dini nous confie que "même au sein des hautes instances de l'armée ukrainienne existent de fortes divisions, sachant que l'ex-commandant en chef de l'armée a été récemment remplacé par un chef d'Etat-major issu de l'ex-armée russe, formé à Saint Pétersbourg, dont certains redoutent que comme d'autres officiers anciennement russes, il ne passe in extremis de l'autre côté en cas d'invasion, d'autant qu'il y a dans l'armée ukrainienne des agents dormants prêts à lever les masques"... Certains chefs de l'armée ukrainienne ont une double loyauté et une entente secrète avec Moscou". D'ailleurs, au moment où nous publions cet article (vendredi après-midi 25 février), Poutine vient d'appeler l'armée ukrainienne à prendre le pouvoir à Kiev en bonne intelligence avec Moscou et à renverser Zelenski.... 

Qui sera mis en place à Kiev par les Russes en remplacement de Zelensky? 

D'après un autre contact sur place, l'Ukraine pourrait donc devenir un protectorat de la Russie alimenté par un président pro-russe comme Victor Medvetchouk, actuellement en résidence surveillée, le sénateur leader du parti pro-russe. Leonardo Dini explique quant à lui que le profil d'un homme plus populaire auprès des Ukrainiens, comme" l'ex-président Petro Porochenko, serait plus utile pour les Russes, car plus à même de rester en place sur la longue durée en se présentant comme s'étant 'sacrifié" pour faire cesser la guerre et les massacres, même si  le but de Moscou est d'avoir à la tête du pays l'équivalent du président Loukachenko en Biélorussie". PourDini, "le signe qui va dans ce sens et qui ne trompe pas réside dans le fait que Poutine l'a récemment mentionné dans son discours en faisant référence aux juges qui le 'persécutent' et qui sont 'sous les ordres de l'ambassade des États-Unis". Détail intéressant, Porochenko est en train de recueillir en ce moment même "des consensus", il consulte les élus, et profite de sa popularité pour se repositionner ou polpositionner, ceci malgré la "persécution judiciaire" dont il se dit victime. "Plus que traître, contrairement à Medvetchouk, cet éventuel 'pro-consul à vie' de la Russie en Ukraine pourrait jouer un rôle de sortie de crise". Pour notre professeur, le pouvoir ukrainien sera rapidement renversé "dans le cadre d'un coup d'Etat qui rappellera celui perpétré en 1991 contre Mikhaïl Gorbatchov, alors trahi par ses généraux et bloqué dans sa dacha, pendant ses vacances, alors que le retour de l'URSS était proclamé au même moment à Moscou"

Pour Dini, "l'abandon de Kiev par les Occidentaux et les populations a de quoi inquiéter, car outre les 20 députés du parti pro-russe dont le parlement et le président Zelenski ont déploré le départ, c'est toute l'élite, les grands oligarques de Kiev qui sont partis vers Lviv ou l'étranger". Étonnement pessimiste sur la capacité de résilience des nationalistes ukrainiens, Dini estime qu'il est "loin d'être certain que toute la population ukrainienne entre en rébellion et investisse la rue, car une majorité d'Ukrainiens de l'Est ainsi que des poches pro-russes dans le sud pourraient se ranger du côté russe, surtout si Moscou brandit une menace de guerre totale". II rappelle que dans le passé, "dans les années 1919, 1921, après traité de Versailles, l'Ukraine, pays fragmenté, fut déjà divisé en deux entités, l'une gouvernée par les "russes blancs" pro-occidentaux, et l'autre par des pro-bolcheviques. De même, en 1654, une partie du pays était avec les fameux Cosaques pro-Polonais et l'autre dans le giron russe-tsariste, le Dniepr étant souvent une frontière entre deux Ukraine, l'Est pro-russe, et l'Ouest pro-polonais, pro-balte et non russe". 

Quid du gazoduc Nord Stream II

Comment l'Europe va-t-elle faire pour ne pas sombrer dans la catastrophe énergétique si, après la "suspension" de ce gazoduc de la Baltique par l'Allemagne, d'autres sanctions renforcées venaient à bannir le gaz russe dans toute l'Union européenne, dans le scénario d'une double annexion du Donbass et de Kiev?  Sur fond de crise, il apparaît de plus en plus évident que l'objectif stratégique des Etats-Unis est, d'après M. Dini, "de creuser un fossé profond entre l'Union européenne et la Russie, en jouant avant tout sur l'arme énergétique. Ce n'est pas un hasard si les alarmes lancées par Washington concernant l'invasion russe imminente de l'Ukraine se sont déclenchées deux mois après l'achèvement du nouveau gazoduc North Stream 2"... On sait que pour l'heure, l'Europe dispose d'assez de réserves de gaz pour l'hiver et est en train de s'organiser pour avoir du gaz de remplacement: accords avec le Qatar et les pays arabes, Azerbaïdjan, Tunisie, Algérie, demain Libye, etc. Mais quel est l'intérêt de Vladimir Poutine et de son système de pouvoir - fondé presque entièrement sur la "pétro-gazo-stratégie" ("Etat Gazprom") - dans l'aventure ukrainienne? Celle-ci va en effet rendre invendable le gaz russe, à terme, sur le marché européen et occidental, au profit des gaz arabes, azéri ou du gaz de schiste américain. 

Le réponse à cette question se trouve dans la psychologie humaine: de deux choses l'une, ou bien Poutine joue au poker menteur, au bluff, tout en cherchant à terroriser psychologiquement mais en sachant où il va exactement s'arrêter, et il est certain que la dépendance envers son gaz primera sur les sanctions à moyen terme, option de moins en moins possible; ou bien l'irrationalité de son anti-occidentalisme et son refus de l'extension de l'OTAN vers l'Est, couplés à son syndrome de phobie d'encerclement ont déclenché chez lui une forme d'autisme stratégique et de suicide géoéconomique sur fond de surenchère nationaliste à usage de politique interne. Il est vrai que pour le moment, le peuple russe le suit largement dans sa politique de revanchisme anti-ukrainien et anti-atlantiste. 

Pourquoi les Occidentaux n'ont jamais voulu accepter de donner aux Russes qui le demandaient depuis 1991 des garanties de non-extension de l'OTAN vers l'Est et donc vers la chasse-gardée russe?

Pour notre professeur, la nécessité toute anglo-saxonne de contenir, encercler et même refouler leHeartland russe, coeur de l'Eurasie, est l'ADN stratégique même de l'OTAN, et cet encerclement continu depuis 1991-97 a rendu le clan poutinien au pouvoir depuis 2000 littéralement hystériquement anti-occidental. Cette folie néo-impérialiste atlantiste et cette arrogance de l'Occident ont en fin de compte poussé Moscou dans les mains de la Chine, de la Corée du nord, des pires ennemis de l'Occident, ceci alors même que la Russie poutinienne du début tendait au départ la main à l'Occident, à l'UE et même à l'OTAN, à qui elle demandait en vain de ne plus tourner ses missiles et ses doctrines stratégiques contre la Russie...   "Aujourd'hui, poursuit Dini, comme durant les pires heures de la Guerre froide, deux gros blocs ennemis et nucléarisés se font face, tandis que des pays non-alignés, comme l'Inde ou le Brésil, sont en train de se rapprocher de la Russie et hésitent, comme l'a montré la visite chaleureuse de M. Bolsonaro à Moscou ou surtout les récents accords entre la Russie et l'Inde. Sans oublier l'allié chinois, grand bénéficiaire... 

Quid de la Chine ?

Elle n'a certes aucun intérêt à une troisième guerre mondiale, car sa priorité est de continuer à augmenter sa prospérité en vendant tout ce qu'elle peut au reste du monde grâce à la mondialisation, et dans ce contexte, le premier ministre chinois a récemment demandé à la Russie de "respecter les règles internationales". Mais en même temps, le leader suprême, Xi Jinping, a dénoncé explicitement l'extension de l'OTAN comme source première du conflit avec l'Occident... Toujours est-il que le seul élément susceptible de calmer l'ours russe semble être la Chine, même si celle-ci est plus qu'ambiguë: au même moment ou Moscou s'étend au détriment de son voisin ukrainien nié en tant que nation souveraine, la Chine ne cache plus son objectif stratégique suprême immédiat de "récupérer" Taiwan...  dont la souveraineté est totalement niée depuis la guerre froide, et le rattachement inévitable, de gré ou de force, tôt ou pas trop tard, comme conséquence logique du principe déjà avalisé au niveau international d'"une seule Chine"... Le pouvoir de Pékin pourrait d'ailleurs être tentée de profiter de l'attention russo-américaine focalisée autour de l'Ukraine pour attaquer Taiwan, donc de créer un deuxième "front" en Asie, qui serait presque impossible de contenir pour les Etats-Unis...

Les solutions de paix: "la voie diplomatique ou la guerre"

Nicolas Sarkozy n'a probablement pas eu tort de résumer la situation par cette alternative simple mais implacable, à laquelle l'ex-Président, consulté ce vendredi matin par Emmanuel Macron, a ajouté la nécessité d'une refondation de l'architecture de sécurité européenne et de l'OTAN. Les solutions, qui, si elles avaient été suivies, auraient pu éviter d'en arriver à la situation actuelles, sont connues de longues dates. Elles ont été souvent martelées par Moscou depuis 1997 sans succès et sans jamais convaincre les Américains, trop sûrs d'eux et de leur mission expansionnisme atlantiste pan démocratique pour dominer l'Eurasie: la non-extension de l'OTAN vers la Géorgie et l'Ukraine. Mais le pouvoir russo-poutinien est arrivé à un tel de degré de radicalisation anti-occidentale et de désamour, devenu un hyper ressentiment revanchard, que cette condition ne semble plus suffisante à elle seule... 

Peut-être que le tout au tout de Poutine est un bluff et qu'il participe d'une stratégie de négociation visant à demander plus pour avoir un peu. Peut-être s'agit-il au contraire d'une façon de ne plus avoir à négocier quoi que ce soit, car le chef du Kremlin demande à présent aux Occidentaux l'impossible: le retrait total de l'OTAN des pays y ayant adhéré après 1997, en plus de la démilitarisation totale ubuesque de l'Ukraine. 

Que se passera-t-il si la Russie attaque un jour les Pays Baltes, membres de l'OTAN? où les espaces aériens sont depuis des années une zone de tension fort sismique entre forces aériennes et navales russes et forces atlantistes? Un conflit autour des pays baltes ou de la Pologne pourrait être un déclic d'un dérapage et d'un engrenage généralisé vers une troisième guerre mondiale... 

Pour calmer la situation, notre professeur entrevoyait encore, le 20 février dernier, quelques solutions de bon sens, comme: 

- La renonciation à l'extension de l'OTAN vers l'Ukraine et vers "l'étranger proche russe"

- L'acceptation de l'autonomie pleine du Donbass et application des accords de Minsk II revisités et renforcés qui pourraient être appelés "Minsk III" ou autre accord,

- L'acceptation de la reconnaissance de la souveraineté russe sur la Crimée (avec une option de partage de la péninsule par les marines des deux pays)

- La fin des sanctions associées à cette presqu'île ainsi qu'au Donbass;

Cinq jours et des centaines de morts plus tard, et après les buts de guerre de plus en plus inquiétants et ambitieux affichés par Vladimir Poutine, Leonardo Dini ne croit plus en ces solutions. Il craint que les menaces croissantes du président visent à tester les capacités de réaction et à confirmer la faiblesse tentatrice des démocraties occidentales et il redoute même quelque chose de plus grave et général encore qui dépasse largement l'Ukraine: une volonté de bouleversement des rapports de force et stratégiques mondiaux qui transparaît dans la demande de Poutine - apparemment impossible à satisfaire -, à savoir le retour au "statu quo stratégique" d'avant 1997, donc avant l'élargissement progressif de l'OTAN... 

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