Le chaos géopolitique mondial qui vient... « Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? », le nouveau livre de Roland Lombardi<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Joe Biden lors du sommet de l'OTAN sur la crise en Ukraine.
Emmanuel Macron et Joe Biden lors du sommet de l'OTAN sur la crise en Ukraine.
©Thomas COEX / AFP

Géopolitico-Scanner

Les années 2019 et 2020 ont été traversées par une convergence de crises sans précédent : économique et sociale, sanitaire (géo) politique… Sur le plan intérieur, la crise des Gilets jaunes, le terrorisme, la montée du communautarisme et la pandémie ont profondément impacté notre modèle de société, remettant en question le pacte social et la façon dont les Français perçoivent leur classe dirigeante. L'Occident semble à bout de souffle. Roland Lombardi vient de publier « Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ?, Chroniques géopolitiques » (VA Éditions, 2022).

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

Vous pouvez suivre Roland Lombardi sur les réseaux sociaux :  FacebookTwitter et LinkedIn

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Roland Lombardi est spécialiste du Moyen-Orient, historien, enseignant et consultant en géopolitique. Il est analyste et éditorialiste pour le webmedia Fild. Après Les trente honteuses, ou la fin de l'influence française dans le monde arabe et musulman (VA Éditions, 2019) et Poutine d'Arabie, comment la Russie est devenue incontournable en Méditerranée et au Moyen-Orient (VA Éditions, 2020), il vient de publier Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ?, Chroniques géopolitiques (VA Éditions, 2022), préfacé par Emmanuel Razavi, Grand reporter et directeur de la rédaction de Fildmedia.com.

À l’occasion de la sortie de ce nouvel ouvrage, qui est une vision de l'évolution du monde à travers l’ensemble de ses chroniques écrites en 2019 et 2020, Alexandre del Valle s'est longuement entretenu avec ce « chercheur de terrain et du réel » afin d’évoquer l’actualité au prisme de ses analyses toujours aussi troublantes de justesse avec le recul. Car, comme le rappelle Emmanuel Razavi dans sa préface, « parfois dur, toujours lucide, Lombardi, c’est en fait l’école de pensée du réel, raison pour laquelle il collabore régulièrement avec des grands reporters. Depuis deux ans, ses chroniques font le bonheur des lecteurs de notre magazine en ligne ». Effectivement, toujours bien renseigné, souvent à contre-courant, son style incisif – cynique ou réaliste selon certains – ainsi que son sens aigüe de la prospective stratégique en font incontestablement aujourd’hui l’un des plus clairvoyants et visionnaires des géopolitologues français. C’est donc en ce sens qu’il faut lire Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? afin de comprendre l’évolution du monde, actuel comme de demain.

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Alexandre Del Valle : Pourquoi ce titre en référence au célèbre livre de Fukuyama publié en 1992, La Fin de l'histoire et le Dernier Homme ? Êtes-vous vous-même sur la ligne de ce penseur ou au contraire « Huntingtonien », c’est-à-dire plutôt sur la ligne du Choc des civilisations de Huntington ?

Roland Lombardi : Effectivement, le titre de mon dernier livre est un clin d’œil ironique et cynique au célèbre livre La fin de l’histoire de Francis Fukuyama, le penseur américain qui annonçait au début des années 1990, après la chute de l’URSS, la fin des idéologies et l’avènement de la démocratie libérale partout dans le monde, une économie de marché et une mondialisation heureuse. En un mot, un monde de Bisounours ! Fukuyama lui-même a reconnu l’erreur de son analyse même s’il croit encore, comme beaucoup, à la validité, à long terme, de celle-ci. En attendant, jusqu’en 2001, c’était exactement ce que voulaient croire les élites américaines, sur un mode victorieux, et les élites européennes, sur un mode angélique et naïf. Aujourd’hui, le monde est loin d’être « fukuyamesque » et nous sommes plutôt en plein dans le Choc des civilisations de Huntington. Même si je suis très réservé voire parfois critique sur la thèse de Huntington qui s’oppose à celle de Fukuyama. Car si le célèbre professeur américain de science politique ne préconisait pas le clash, mais l’annonçait comme un risque, il n’en reste pas moins qu’Huntington, même s’il dit beaucoup de vérités – comme ont pu les dire avant lui et sans la formidable polémique qu’elles suscitèrent à l’époque, Bernard Lewis en 1957 ou mieux, Fernand Braudel dans sa Grammaire des civilisations –,est parfois sommaire et n’a pas perçu par exemple les conflits au sein de ces mêmes civilisations que l’on peut observer aujourd’hui. Par exemple en Occident, l’opposition existentielle entre le progressisme d’une minorité et d’une élite déconnectée du réel et « la Révolte conservatrice et souverainiste » - sous toutes ses formes - d’une majorité des « peuples périphériques » occidentaux. Dans le monde arabo-musulman, Huntington n’avait aussi pas vu – mais il n’était pas un spécialiste de la région – l’opposition actuelle entre islamisme et la nouvelle volonté de « sécularisation », certes encore modeste, de gouvernance ou de la société dans certains mouvements ou États arabes importants.

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Quoi qu’il en soit, nous assistons aujourd’hui à une convergence de crises multiples, économiques, sanitaires, existentielles, civilisationnelles et le retour du fanatisme religieux, des nationalismes, des États nations voire des « Empires », des tensions internationales et de la guerre en plein cœur de l’Europe ! Même rattrapées par la sévère réalité, les élites progressistes occidentales veulent encore croire ingénument que le monde de Fukuyama est possible. Pour l’heure, en relations internationales et en géopolitique en général, c’est toujours le nombre et la force qui prévalent d’abord, et ce depuis la nuit des temps. Le monde, ça n’a jamais été et ne sera jamais Disneyland ! Pour paraphraser un politicien allemand, je dirai que si les Européens veulent rester des « herbivores » au milieu de « carnassiers », ils vont droit au suicide !

ADV : Dans vos écrits vous annonciez déjà en 2019 les limites de la politique d’Erdoğan alors qu’il était au fait de sa puissance à l’époque ? Là encore vous aviez vu juste, pourquoi ?

RL : Dans mon livre justement, il y a une chronique intitulée Erdoğan n’est grand que parce que nous sommes à genoux ! Elle décrit tout à fait cette évolution. Devant l’agressivité et les provocations du président turc notamment en Méditerranée orientale, en 2019-2020, seules la Grèce et la France se sont opposées à la Turquie, pays pourtant candidat à l’entrée dans l’UE et surtout membre de l’OTAN ! Mais les Européens étaient paralysés par la peur. Ce que craignent par-dessus tout, les dirigeants de l’UE, c’était une nouvelle arrivée massive de réfugiés sur leurs côtes. C’est pourquoi, Angela Merkel, comme d’autres, a préféré rester silencieuse, céder au chantage et au racket d’Ankara et ainsi payer des milliards pour qu’Erdoğan n’ouvre pas les vannes migratoires ! D’autant plus que l’Allemagne craint toujours des réactions hostiles et des troubles parmi la forte communauté turque présente sur son sol. Début juin 2020, l’Union européenne a même approuvé d’ailleurs une rallonge d’un demi-milliard d’euros à destination de la Turquie. Cette nouvelle enveloppe fut validée par le Parlement et proposée par la Commission elle-même alors que les tensions avec la France et la Grèce étaient des plus vives !

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Aucune sanction sérieuse n’a été votée par l’UE contre Ankara. Alors que déjà à l’époque, la Turquie était en grande difficulté économique, ce qui aurait assurément calmé ses ardeurs et l’aurait sûrement fait reculer. En fait, comme je l’écrivais à l’époque, Erdoğan, en homme rusé et habile, bluffait et savait pertinemment que les responsables européens étaient des faibles et qu’il n’avait rien à craindre de gens pour qui la génuflexion, devant n’importe qui ou n’importe quoi, est malheureusement devenue une tradition...

D’ailleurs, je ne m’étais pas trompé sur la stratégie d’Erdoğan et ses limites, puisqu’un an après, on est en train d’assister à une certaine forme de « reculade » générale du Sultan. Malgré son bellicisme et ses fanfaronnades, Erdoğan a été mis de plus en plus en difficulté sur le plan intérieur. Les problèmes domestiques se sont aggravés. Sa côte de popularité est en forte baisse dans les derniers sondages. Et la chute de la livre turque est vertigineuse. En 2019, un dollar valait 5,7 livres turques ; aujourd’hui, il en vaut plus de 11. Pour les Turcs et les marchés financiers, c’est une situation très critique. Les manifestations dans le pays se multiplient. Le Qatar, lui-même en difficulté, ne peut plus, comme il le faisait jusqu’ici, assurer seul la perfusion économique de la Turquie. Dès lors, le Sultan est contraint de mettre entre parenthèse ses velléités régionales dans la région. Le président turc a donc été forcé, ces derniers mois, d’engager une désescalade voire même un rapprochement avec ses adversaires géopolitiques régionaux d’hier : l’Arabie saoudite, l’Égypte et même les Émirats arabes unis, qui, profitant de la faiblesse de la monnaie turque, prévoient d’investir plus de 10 milliards de dollars dans l’économie turque, comme l’a annoncé MBZ lors de sa récente visite – historique –, le 24 novembre dernier, dans le palais présidentiel de Bestepe, de la capitale turque…

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N’oublions pas au passage, que si Erdoğan est en si grande difficulté financière, il le doit aux dures sanctions votées, avant leur départ, par Pompeo et Trump (le soi-disant grand ami du leader turc !), alors que l’Union européenne a, de son côté, toujours hésité à pénaliser la Turquie lorsque celle-ci menaçait la Grèce et la France !

Mais Erdoğan a de la suite dans les idées, il est très malin. Aujourd’hui, avec l’Ukraine par exemple, il essaie habilement, tout en voulant garder un rôle de médiateur avec les Russes – avec plus de succès que la France d’ailleurs –, de reprendre toute sa place dans une OTAN focalisée sur le danger russe et ainsi revenir en odeur de sainteté auprès de l’administration américaine démocrate…

ADV : Vous êtes d’ailleurs l’un des rares à défendre le bilan de Trump. Et vous annonciez qu’avec l’arrivée de Biden et des démocrates au pouvoir, le monde serait paradoxalement beaucoup moins stable que sous Trump. Dans votre livre, reprenant une de vos chroniques, écrite en octobre 2020, vous annonciez qu’avec Biden, l’Ukraine serait l’épicentre de nouvelles tensions avec la Russie. Vous ajoutiez qu’on devait alors craindre, avec la nouvelle administration démocrate, « une dérive humanitaro-belliciste » et que« Certes, la tendance « isolationniste » s’est depuis largement diffusée dans l’opinion américaine voire même dans les allées du pouvoir. Or, il serait naïf de sous-estimer les capacités et le talent de certains groupes de pression à « remobiliser » les foules pour une éventuelle et nouvelle guerre humanitaire au nom des droits de l’Homme, surtout en des temps troublés et de grave crise intérieure... ». C’est assez troublant car avec la guerre en Ukraine, nous y sommes, non ?

RL : Trump avait beaucoup de défauts, c’est le moins que l’on puisse dire ! Son style « populiste » brutal, agressif, de l’« éléphant dans une boutique de porcelaine », a beaucoup choqué les bien-pensants. Mais il a peut-être été le président le plus « antisystème » de l’histoire américaine. Sa lutte incessante contre le politiquement correct et son propre establishment, contre ouragans et tsunamis et tout en tenant ses promesses électorales (très rare de nos jours…), ont fait toute sa popularité auprès d’une majorité d’Américains. Et l’entretiennent encore… En novembre 2020, lors de sa défaite discutée, il a recueilli, un record, 74 millions de voix (Biden, 81 millions) dont plus de voix noires qu’en 2016 et beaucoup plus de voix latinos. De fait, il a au moins permis de réveiller la démocratie américaine sclérosée jusqu’ici. Même si la pandémie est venue gâcher ses très bons résultats en matière d’emploi et de croissance, je n’évoquerai pas sa politique intérieure car ce n’est pas mon domaine. Je parlerai seulement de son bilan en politique étrangère durant ses quatre années de mandat. Tout d’abord Trump était un ignare en relations internationales. Mais comme tout bon manager, il a su très bien s’entourer et était un pur réaliste. Un non-interventionniste qui ne voulait plus que les États-Unis dépensent des sommes folles pour s’ingérer dans les affaires du monde et jouer le plus souvent aux apprentis-sorciers comme on l’a vu ces dernières décennies.

L’ancien président fut le premier leader américain, depuis des décennies, à n’avoir déclenché aucun conflit majeur dans le monde. Oubliés aussi la Corée, son désengagement militaire du Moyen-Orient, son initiative – certes imparfaite mais qui aurait inévitablement abouti en cas de second mandat – à propos d’une paix israélo-palestinienne et surtout les Accords d’Abraham, cet accord de paix historique signé entre Israël et quatre pays arabes et qui n’aurait jamais vu le jour sans les pressions de Trump. Certains ont eu le prix Nobel de la paix pour moins que ça !

S’il avait été réélu, il aurait maintenu les sanctions américaines et devant l’asphyxie grandissante de l’économie du pays, les mollahs iraniens auraient été forcés de revenir à la table des négociations sur le nucléaire pour sauver leur régime. Aujourd’hui, avec la main tendue à Téhéran par Biden depuis un peu plus d’un an, les négociations sont toujours dans l’impasse…

Il suffit de voir qui dans le monde s’est réjoui le jour de sa défaite : au-delà des dirigeants européens et de leur joie « orgasmique » et béate, l’Iran bien sûr, la Turquie et le Qatar (car Trump s’apprêtait à inscrire les Frères musulmans sur la liste américaine des organisations terroristes !) et bien entendu la Chine.

Car le grand avantage de Trump a été de comprendre, du point de vue américain j’entends, les grands défis géopolitiques de demain. Ce qui fait toute la différence avec Biden et son administration. Et cela rejoint justement votre question sur l’Ukraine.

Avec le retour aux commandes des Démocrates et des « idéalistes » à Washington, la vieille stratégie antirusse « brzezińskienne » la plus virulente et comme je l’annonçais, les tensions diplomatiques connaissent un regain inquiétant entre la Russie et les États-Unis, avec pour principal théâtre : l’Ukraine. Pour certains stratèges américains, la Russie de Poutine est le Croque-mitaine parfait, bien moins puissante et dangereuse que la Chine… Pour d’autres, plus influents peut-être, la Russie est le meilleur moyen de détourner l’attention de l’opinion publique américaine des problèmes domestiques de Biden… Ou mieux, de la pression contre la Chine qui, par sa finance prédatrice, a déjà pris en otage la majorité des économies occidentales. Certains puissants soutiens de Biden, pour des questions de simples conflits d’intérêts personnels avec Pékin, ne veulent pas, par ailleurs, d’une poursuite de la grande guerre économique avec l’Empire du milieu initiée par Trump…

Or, cette politique antirusse est, d’un point de vue strictement objectif, totalement absurde. Car pour les États-Unis, la seule et véritable puissance qui menace leur suprématie mondiale (mais aussi l’Europe) dans l’économie, le commerce, l’influence et le militaire, est la Chine, et non la Russie. Et au contraire, une stratégie américaine censée aurait été en toute logique un partenariat, voire une alliance avec Moscou contre Pékin. Trump, ses généraux et surtout son habile Secrétaire d’État, Mike Pompeo, (dans mon livre d’ailleurs, il y a un chapitre intitulé, « Pompeo le Mazarin de Trump ») l’avaient très bien compris. C’est pourquoi ils avaient lancé une grande guerre commerciale inédite contre la Chine (qui commençait à porter ses fruits avec l’accord « historique » signé avec la Chine en janvier 2020) et tenté, en dépit du blocage de l’État profond étasunien, une normalisation des relations avec Poutine, dans la droite ligne de l’ancienne et efficace stratégie de Kissinger, visant à toujours séparer Pékin et Moscou.

Au lieu de cela, les pressions et les séries de sanctions commerciales contre Moscou n’ont fait que pousser toujours un peu plus la Russie dans les bras de la Chine, créant ainsi un véritable front oriental uni en Asie, et surtout à présent avec la guerre en Ukraine…

Dans ce conflit, l’invasion russe de ce pays est bien évidemment condamnable car elle viole la souveraineté de l’Ukraine et le principe d’intangibilité des frontières. Mais sans minimiser les responsabilités de Moscou, il ne faut toutefois pas perdre de vue que la situation incombe aussi grandement à la politique des Occidentaux et de l’OTAN ces dernières années et surtout depuis un an avec l’administration Biden. La question de savoir si les responsables des guerres ne sont pas ceux qui les déclenchent, ou plutôt ceux qui les ont rendues inévitables, est plus que jamais d’actualité. Qui ont été les vrais pyromanes ? Car c’est flagrant, rien n’a été fait de sérieux pour éviter cette guerre du côté de l’Occident. Bien au contraire… Avec la politique de sanctions maximales de l’UE contre la Russie, sans réelles initiatives diplomatiques sérieuses et dictée par Washington, le divorce avec Moscou sera profond et l’Europe, par effet boomerang et qui ne s’est pas remise de la pandémie, va en payer les plus lourdes conséquences économiques, sociales et humaines… Si d’ici là, les idéologues occidentaux les plus dangereux ne nous entraînent pas dans un conflit ouvert avec les Russes ! Car une opération sous « faux drapeau » est toujours possible et alors là…

En attendant, mettez-vous à la place des stratèges chinois : ils ne peuvent que se frotter les mains en voyant les Américains, les Européens et les Russes s’étriper. En définitive, avec Biden, nous risquons d’assister, à terme, au crépuscule de l’Empire américain, à l’accélération de l’effondrement de l’Europe et au final, à l’avènement du siècle chinois, comme je le prédis dans mon livre…

ADV : Vous pensez vraiment que les dirigeants européens sont en train de pousser l’Europe dans le mur ?

RL : On le voit avec la guerre en Ukraine, les dirigeants européens jouent pitoyablement les petits vassaux de Washington et font preuve d’un suivisme et d’un atlantisme affligeants. Alors que l’Ukraine n’a aucun intérêt vital pour l’Europe et que la Russie n’est nullement un danger sérieux. Au contraire, elle pouvait même s’avérer être un partenaire voire un allié précieux face aux véritables enjeux géopolitiques de l’Europe et aux défis immenses de demain en Afrique, en Méditerranée ou au Moyen-Orient.

L’Europe est définitivement le ventre mou de l’Occident et les Européens ne savent pas définir le vrai ennemi, ce qui est une erreur fatale en relations internationales. Or, il y a trois dangers géopolitiques réels et majeurs qui menacent l’Europe de l’intérieur : l’immigration, l’islamisme et l’idéologie progressiste et tous ses travers (acculturation, wokisme…). Toutefois, les leaders européens sont toujours dans le déni idéologique et préfèrent encore s’en prendre à la Russie pour des raisons morales, au détriment de la Realpolitik. En sacrifiant au passage leurs propres intérêts sécuritaires, stratégiques, énergétiques et économiques et toujours un peu plus leur indépendance et leur souveraineté au profit de l’OTAN et des États-Unis (avec leurs armes et leur gaz de schiste). Quelle inconséquence !

J’irai même plus loin. Dans mon livre, je rappelle plusieurs fois la phrase de Mao : « Le poisson pourrit toujours par la tête ». Car en définitive, le vrai problème de l’Europe et peut-être son principal danger, avant même ceux que je viens d’énumérer, c’est sa classe dirigeante, technocratique et politicienne de plus en plus déconnectée du réel et paralysée par la peur. L’exemple typique est celui de la France : il n’y a malheureusement rien à attendre de politiciens, aux mains et aux esprits liés, qui nous gouvernent. Sans courage, empêtrés dans de multiples conflits d’intérêts personnels, toujours soumis aux « puissances de l’argent » et aux ordres de l’« État profond » atlantiste du Quai d’Orsay (dixit Macron en 2019) qui semble encore tenace, nos « chefs » sous influence feront donc à chaque fois passer les intérêts supérieurs de la nation à l’arrière-plan. Tout en écornant toujours un peu plus l’image et l’aura de la France sur la scène internationale.

Jusqu’ici, dans la guerre en Ukraine, les gesticulations et la diplomatie spectacle inefficaces de l’Élysée et à des fins bassement électorales, comme par exemple la publication pathétique du roman-photo de son locataire face à gestion de la crise, ont montré leurs limites. Les Russes ne sont d’ailleurs pas dupes et préfèrent des médiateurs plus sérieux comme les Turcs, les israéliens ou les Chinois. Ils savent que le président français utilise cette guerre pour sa réélection en avril prochain et n’est que dans l’illusion et le coup de com’ permanent. Pour eux, il reste le « petit télégraphiste de Washington », qui a pris fait et cause pour Kiev en lui fournissant, comme ses alliés de l’OTAN, du matériel militaire, ne proposant par ailleurs rien de très concret.

ADV : Que répondez-vous à ceux qui prônent une « No-Fly Zone », la livraison d’armes ou encore l’envoi d’avions de guerre à l’Ukraine par la Pologne ?

RL : Que c’est une grave erreur ! Ces décisions nous feraient immanquablement devenir des cobelligérants et nous entrerions alors dans une spirale infernale. La Pologne faisant partie de l’OTAN, le risque de casus belli est immense… Si les dirigeants européens veulent rester des médiateurs et privilégier la diplomatie – la seule solution pour préserver les intérêts de l’Europe –, ils ne doivent pas prendre parti. Mais dans l’affolement général, l’hystérie collective actuelle anti-russe et la petite musique dangereuse des va-t-en-guerre – ceux qui aiment les « guerres justes » mais avec le sang des autres – qui se fait de plus en plus entendre dans les médias et surtout au sein des arcanes du pouvoir à Paris, Londres et Washington, on ne peut qu’être très inquiet pour la suite… Surtout que l’histoire nous a appris que les idéologues, même ceux de l’émotionnel et des droits de l’homme, sont toujours les plus dangereux et que les guerres sont souvent le meilleur exutoire aux problèmes internes… Rien que sur le plan économique, les sanctions maximales contre la Russie vont faire très mal aux Russes certes, mais elles vont également être catastrophiques pour le monde et en premier lieu pour l’Europe ! Elle ne s’est pas encore remise des conséquences économiques de la pandémie et avec sa posture face à la Russie, l’UE se tire une balle dans les deux pieds et va connaître non plus une crise mais une catastrophe économique et humaine !

Alors bien-sûr, lorsque vous dites cela aujourd’hui, on vous traite de « munichois », de « pacifiste » ou pire de pro-russe et que sais-je encore. Mais ceux qui prônent une intervention indirecte ou pire, directe de l’OTAN ou de l’Europe en Ukraine, sont, soit idiots ou ne mesurent pas les terribles conséquences de telles décisions si elles devaient être prises. Nous ne sommes pas ici face à l’armée de Kadhafi ! Sont-ils vraiment prêts à entrer en guerre avec la Russie, l’une des deux plus grandes puissances nucléaires mondiales ? Sommes-nous prêts moralement et matériellement à une Troisième guerre mondiale – car c’est de cela qu’il s’agit – pour l’Ukraine ? Je ne le pense pas et ce n’est pas sérieux ! D’ailleurs, la plupart de nos officiers supérieurs, qui eux savent ce qu’est le prix d’une guerre, ne cessent de nous mettre en garde contre cette folie…

En dépit de l’hystérie générale, du « Poutine-bashing », du sensationnalisme et de la formidable guerre psychologique et de l’information lancé par le camp atlantiste (la même qu’en 2015 lors de l’intervention russe en Syrie et on a vu la suite !), je pense qu’à terme, même si le temps joue contre lui et que son plan ne se déroule pas comme prévu du fait de la résistance ukrainienne inattendue, Poutine aura finalement atteint une grande partie de ses objectifs. Comme on dit, c’est toujours à la fin du bal que l’on paie les musiciens ! Le siège de Kiev et le soi-disant « enlisement » russe dans le nord-ouest, ne sont peut-être que des diversions tactiques. Dans l’est (l’Ukraine utile et plutôt russophile), l’armée russe progresse rapidement (toutes les cartes occidentales dans les médias sont fausses ou incomplètes). Une fois installés sur le pourtour de la mer Noire et de la mer d’Azov et coupant ainsi l’Ukraine de sa façade maritime, les négociations en cours avec les Ukrainiens feront que, d’ici la fin du mois de mars et sauf dérapage, le pays connaîtra surement une partition. A l’est du Dniepr et au sud, une partie sous influence de Moscou, et à l’ouest, un état-croupion, tourné vers l’Occident mais avec des infrastructures et une armée détruites, une économie ruinée, forcé de demander sa neutralité et de renoncer à son adhésion à l’UE et à l’OTAN. Pour les sanctions, qu’ils avaient prévues, les Russes s’en remettront. L’Europe, non !

L’émotion est toujours dangereuse et à proscrire dans l’analyse géopolitique au profit de la Realpolitik, c’est triste mais c’est comme ça. Richelieu nous invitait à toujours faire la différence entre morale privée et morale publique. Un observateur honnête, et d’autant plus un dirigeant politique, doit savoir raison garder et rester un « monstre froid ». Le célèbre général chinois, Sun Tzu, écrivait déjà au VIe siècle avant J.-C. : « Dans les affaires d’un État, on n’entreprend jamais une action qui ne répond pas aux intérêts de son pays ». Comme sur tous les dossiers internationaux, notre action en Ukraine doit être exclusivement fondée sur le pragmatisme et « le calcul des forces et l'intérêt national » comme le rappelait Henry Kissinger, le père de la Realpolitik moderne. Malheureusement, on en est loin…

Roland Lombardi publie "Sommes-nous arrivés à la fin de l'histoire ?" chez VA Editions

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