Et si le pic des émissions mondiales de CO2 avait été atteint en 2023 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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De la fumée s'élevant d'une cheminée d'une usine près d'Orebro, dans l'ouest de la Finlande.
De la fumée s'élevant d'une cheminée d'une usine près d'Orebro, dans l'ouest de la Finlande.
©Olivier MORIN / AFP

Atlantico Green

Les émissions de CO2 dans le monde auraient connu un pic en 2023, selon l'Agence Internationale de l'Energie.

Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Atlantico : Selon l’Agence Internationale de l’Energie, les émissions de CO2 dans le monde auraient atteint leur maximum en 2023. Ce déclin est-t-il structurel et comment l’accélérer dans les années à venir ?

Philippe Charlez : L’Agence Internationale de l’Energie va « un peu vite en besogne ». Si le rythme d’accroissement des Gaz à Effet de Serre s’est ralenti par rapport à la première décennie de ce siècle, en absolu, les émissions ont continué de croitre depuis la COP21 de 2015. Excepté la baisse conjoncturelle de l’année 2020 pour cause de pandémie, la croissance moyenne sur les dix dernières années est de l’ordre de 1%/an. Les prévisions des modèles montrent que l’on tend progressivement vers un plateau et non vers un déclin. En effet, si les pays de l’OCDE continuent de réduire significativement leurs émissions grâce à des politiques publiques volontaristes, il n’en est pas du tout de même des pays émergents privilégiant légitimement leur développement à la lutte contre le réchauffement climatique. Dû au poids démographique des pays émergents (7 milliards d’individus aujourd’hui, neuf milliards à l’horizon 2050 selon les prévisions de l’ONU), la consommation d’énergie primaire aujourd’hui de 170 PWh pourrait atteindre 240 PWh à l’horizon 2050. Dans la mesure où, pour des raisons de coût, une partie significative de cette énergie restera carbonée (et surtout charbonnée !), les émissions mondiales auront beaucoup de mal à décroitre. Aussi, les scénarios réalistes (comme le scénario STEP de l’AIE) prédisent un mix énergétique 2050 contenant encore 50% de fossiles (contre 82% en 2022) et émettant de l’ordre de 30 GtCO2 (contre 35 GtCO2 aujourd’hui). Il faut donc davantage parler de stagnation que de déclin. En termes de températures, ces émissions nous conduisent à un monde à 2,7° très éloigné de celui entre 1,5°C et 2°C dont avait rêvé l’Accord de Paris. Et la géopolitique ne va pas vraiment dans la bonne direction. Après la chute de l’Union Soviétique, on aurait pu croire à l’émergence d’un monde multilatéraliste promouvant une transition écologique mondiale. Malheureusement nous sommes aujourd’hui revenus à une logique de blocs encore plus marquée où l’Europe est prise en étau entre les Etats-Unis et les BRICS. Les résultats des élections européennes et américaines devraient renforcer un peu plus cette logique de bloc pénalisant le chemin vertueux vers un monde décarboné. Accélérer le déclin des émissions demanderait une coopération mondiale que l’on ne voit hélas pas venir.

Comment les politiques gouvernementales et les innovations technologiques ont-elles influencé la réduction des émissions de CO2 en 2023 ? Quels secteurs économiques ont le plus contribué à la stabilisation et au début du déclin des émissions de CO2 en 2023 ? Pouvez-vous donner des exemples concrets ?

Les émissions mondiales ne se sont pas réduites en 2023. Elles se sont au contraire accrues de 2% et nous avons à nouveau battu les records de consommation de pétrole, de gaz et de charbon. A elle seule la Chine, qui a mis en œuvre deux centrales à charbon par semaine, est coupable de plus de la moitié de cette augmentation. L’Empire du Milieu a certes construit plusieurs centrales nucléaires, est le premier producteur mondial de voitures électriques, d’éoliennes et de panneaux solaires mais, les technologies vertes ne peuvent que très partiellement satisfaire la croissance de sa consommation énergétique. Il ne faut pas s’attendre à voir les émissions chinoises et indiennes diminuer avant une dizaine d’années. 

Quant à la baisse des émissions des pays de l’OCDE en général de l’Europe en particulier, elle est quelque peu trompeuse. Depuis 1990 (année de référence du Pacte Vert européen), les émissions territoriales européennes ont certes baissé de l’ordre de 30%. L’Europe apparaît donc comme le meilleur élève de la planète. Toutefois, en filigrane se cache une très forte désindustrialisation (la part de l’industrialisation en France est passée de 20% du PIB au début du siècle à 10% aujourd’hui) particulièrement dans les filières très énergétivores comme la sidérurgie, le ciment, le verre ou la chaux. L’OCDE a donc partiellement exporté vers les émergents des émissions qu’elle réimporte ensuite sous forme de produits manufacturés. Ceci se lit à travers l’empreinte carbone (émissions territoriales + émissions d’importation – émissions d’exportation) des Français (9tCO2 d’empreinte contre 6tCO2 d’émissions territoriales).

Ainsi la baisse des émissions françaises entre 2022 et 2023 (4,8% selon du CITEPA c’est-à-dire 19 MtCO2 dans un monde qui les a accrues de…500 MtCO2) doit être analysée avec beaucoup de circonspection. Retour à la normale du parc électronucléaire, accroissement des prix de l’énergie plongeant de nombreux ménages modestes dans une certaine précarité énergétique et contraction de l’activité industrielle avec un accroissement inédit des faillites (+35% en 2023), la réduction de nos émissions vient surtout de la baisse d’activité et non de « l’efficacité des mesures gouvernementales en termes de décarbonation et de la sobriété énergétique des Français » comme l’a clamé sur les antennes le ministre de l’Ecologie Christophe Béchu.

L’objectif du Pacte Vert européen qui impose aux Etats Membres une baisse de leurs émissions de 55% en 2030 risque d’accentuer un peu plus cette désindustrialisation au profit de la Chine et des Etats Unis et de nous conforter dans un « stato-consumérisme » remarquablement décrit par l’essayiste Jérôme Fourquet. Un consumérisme reposant sur la dette et la dépense publique et non plus sur la production industrielle comme tel était le cas durant les trente glorieuses. Bassier ses émissions via le stato- consumérisme s’avère donc très trompeur !

Quel rôle jouent les pays en développement dans cette transition vers un déclin structurel des émissions de CO2, et quelles mesures spécifiques pourraient être mises en place pour soutenir leurs efforts ?

Les pays émergents qui représentent aujourd’hui les deux tiers des émissions mondiales compteront pour plus de 80% à l’horizon 2050. Leurs émissions viennent en majorité du charbon et en particulier de l’électricité charbonnière qui compte à elle seule pour le tiers des émissions mondiales. Face à cette situation, nous avons proposé avec Nicolas Meilhan de changer radicalement de logiciel en s’attaquant en priorité à l’électricité charbonnière (27 % des émissions mondiales) concentrée à 95 % dans un « club » de 14 pays produisant plus de 100 TWh d’électricité charbonnière par an. Pour ce faire, nous proposons d’instaurer une taxe à l’importation égale à un quart du pourcentage électrique charbonnier sur les biens en provenance du « club des 14 ». Ainsi, tout produit importé d’Inde (74 % d’électricité charbonnière) ou de Chine (61 % d’électricité charbonnière) en France (ou tout autre pays importateur de ces produits) serait respectivement taxé à hauteur de 19 % et 15 %. Collectés par un organisme international, les fonds seraient redistribués en grande partie aux pays les plus pauvres pour qu’ils puissent à la fois assurer leur transition et surtout s’adapter au réchauffement (90 % des victimes se situent dans les pays émergents). Sur l’année 2022, une telle taxe aurait rapporté 1250 G$. Le système est triplement vertueux : il pousse les pays charbonniers à décarboner, les consommateurs à se détourner de leurs produits et permet de financer la transition des plus pauvres. Il permettrait aussi de rendre notre industrie davantage compétitive.

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