Et pendant ce temps-là, une milice génocidaire gagne la guerre au Soudan<!-- --> | Atlantico.fr
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Le chef de l'armée Abdel Fattah al-Burhan.
Le chef de l'armée Abdel Fattah al-Burhan.
©SAUDI PRESS AGENCY / AFP

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La guerre au Soudan s’intensifie depuis plusieurs mois entre les Forces de soutien rapide du général Mohamed Hamdan Daglo, dit Hemetti, et les troupes régulières aux ordres du général Abdel Fattah al-Burhan, qui s’était emparé du pouvoir par la force en octobre 2021.

Marc Lavergne

Marc Lavergne

Spécialiste de l'Afrique et de l'action humanitaire, membre du GREMMO, groupe de recherche sur la Méditerranée et le Moyen-Orient.

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Atlantico : Les Forces de soutien rapide viennent d’achever leur conquête d’el-Geneina, dans le sud-ouest du pays, en prenant le contrôle du camp militaire d’Ardamata. L’offensive menée au Darfour par les Forces de soutien rapide a poussé des centaines de milliers de civils à prendre la fuite. Quelle est la situation de la guerre au Soudan ?

Marc Lavergne : Le conflit au Soudan n'est pas une guerre civile. Il s’agit d’une guerre entre deux forces armées. D'un côté, l'armée régulière dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan, qui était le le bras droit du dictateur précédent, Omar el-Bechir, et d'un autre côté, des supplétifs de l’armée, les Forces de soutien rapide dirigées par le général Hemetti, de son vrai nom Mohamed Hamdan Daglo.

Il s’agit des soutiens de l'ancien régime, qui a été renversé par la révolte des civils en décembre 2018 et actée le 4 avril 2019. Le chef des supplétifs, le général Hemetti a trahi Omar el-Bechir avec le soutien de l'armée. L’ancien dirigeant du Soudan était visé par un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale. Il était devenu un obstacle et un poids pour le pays. L'armée et les supplétifs complices ont fait tomber la dictature précédente pour en mettre une autre à la place. Cela a conduit à une transition démocratique, en avril 2019, avec des syndicats, des groupes de quartiers, des associations et des partis politiques, qui étaient dans la clandestinité avant. Mais cela n'a pas fonctionné. En novembre 2021, l'armée a fait un coup d'Etat en se débarrassant des civils. Une compétition s'est alors engagée entre ces deux forces armées qui étaient contre les civils.

L'armée représentait 80 % du budget de l'Etat. Les civils souhaitaient que l'éducation, la santé, les constructions de routes soient préservées et garanties. Mais les rebelles, issus de tribus nomades du Darfour, avaient déjà exprimé leurs revendications. Cette région, qui se désertifie, s'est appauvrie et a été négligée par le pouvoir central. La jeunesse du nord du Darfour et du Soudan cherche donc à survivre, soit en traversant la Méditerranée pour venir en Europe, soit en se lançant dans différents trafics. Cela concerne aussi les Forces de soutien rapide. Elles étaient, comme la milice Wagner en Russie, reconnues par le pouvoir mais elles étaient priées de se débrouiller toutes seules pour trouver leurs moyens de subsistance. Les membres de Forces de soutien rapide se sont livrés à des trafics transfrontaliers de drogue et de différents matériaux, un peu comme au Mali, dans tout le Sahel. La survie de ces groupes nomades a de lourdes conséquences dans la région. Les nomades ont été tentés par les terres, les sources et les cultures des sédentaires à travers le pays.

Ces nomades ont survécu en devenant des mercenaires pour l'Arabie Saoudite et les Emirats au Yémen, pour le maréchal Haftar en Libye. Des trafics d'êtres humains et des trafics de marchandises se sont développés.

La guerre actuelle est née du fait que ces nomades ont refusé au printemps de l'année dernière d'entrer dans l'armée régulière. En réalité, l'armée voulait obtenir leurs ressources, le contrôle des frontières et les mines d'or. Les Forces de soutien rapide se sont érigées en protectrices et contrôleuses des orpailleurs qui viennent de tout le Soudan et de toute l'Afrique.

Cette offensive a donné lieu à des tueries à l’encontre des populations Masalit. Les Forces de soutien rapide et leurs alliés des milices arabes se sont emparés au début du mois de novembre de la base de l’armée régulière à El-Geneina. Cinq mois plus tôt, ils avaient déjà commis un massacre dans la ville. Les Forces de soutien rapide commettent-elles un génocide ?

La compétition entre les deux forces a explosé en une guerre sur le dos des civils dans la capitale. L’armée régulière a des avions, des tanks, des casernes, du ravitaillement et du matériel. A contrario, les Forces de soutien rapide avaient peu de moyens. Mais ils avaient leur capacité de mobilisation et leur base au Darfour. Ils ont pratiquement occupé la capitale, détruit les casernes et chassé l'armée. Le gouvernement s'est réfugié à Port-Soudan sur la mer Rouge.

Une partie de ces FSR, des Forces de soutien rapide, est issue de la tribu des Rizeigat. Ils s’en prennent aux Masalit depuis de nombreuses années. En 2002 déjà, au Darfour, les Rizeigat attaquaient les sédentaires, brûlaient les villages et les chassaient pour prendre leurs terres. Les nomades ont vu que leur salut consistait à descendre vers le Sud, vers les terres les plus fertiles et d'en chasser les habitants.

Les milices en question aujourd'hui essayent de prendre l'ensemble du Darfour, qui est une région fertile.

Nous assistons à une colonisation avec extermination du peuple Masalit en particulier, qui est réparti au Tchad et au Soudan. Ils essaient de se réfugier au Tchad. Mais ils sont égorgés, assassinés, violés pour la plupart. Il s’agit d’un drame effroyable.

Depuis de nombreuses années, le gouvernement s’est servi de supplétifs pour massacrer les Masalit et d'autres peuples non arabes, brûler les villages et chasser la population.

Le conflit entre les Forces de soutien rapide et les forces armées soudanaises ne menace-t-il pas l'avenir du Soudan après le coup d'Etat ?

Le Soudan n'existe plus virtuellement. Il n'y a plus de pouvoir légitime. Il n'y a plus de pouvoir du tout. Personne ne peut venir au secours des civils qui sont massacrés. Aujourd'hui, les Forces de soutien rapide sont en train de prendre la capitale historique, la capitale des sultans du Darfour, El Fasher, après avoir pris El-Geneina et massacré la population, en violant, en tuant les hommes, les femmes mais aussi les enfants pour qu'ils ne deviennent pas plus tard des rebelles contre eux. Personne ne vient au secours des Masalit et des peuples qui pourraient être victimes de cette faction puisqu'il n'y a plus d'Etat central.

L'armée n'a même pas cherché à se battre contre les Forces de soutien rapide dans cette capitale d’El Fasher et dans d'autres villes. L’avenir du Soudan est incertain.

Il y a également une dimension internationale à ce conflit. Des pays soutiennent les « rebelles » des Forces de soutien rapide alors que d’autres nations ont apporté leur soutien à l'armée régulière.

Que peut faire la communauté internationale face à cette guerre et cette crise ? Pourquoi détourne-t-elle les yeux face à ce conflit et ces massacres ?

La communauté internationale est divisée. Mais la France devrait jouer un rôle et s’engager afin de mettre fin à cette crise. La France est présente au Tchad avec une force aérienne, des soldats et pourtant elle ne fait rien. Ces soldats sont à 30 kilomètres de la frontière. Face aux massacres, le gouvernement français tourne les yeux.

La France est chassée de tout le Sahel pour tout ce qu'elle a voulu faire et n'a pas fait. La France a donc l’occasion, au regard de la situation au Soudan, de montrer que l'armée française peut servir à ramener la paix. L'Europe et les Etats-Unis n'auraient aucune objection à cela.

L'armée française a essayé de sécuriser le passage de la frontière. Des Masalit sont attendus par leurs égorgeurs à la frontière. Des personnes ont été enterrées vivantes dans des fosses.

Si la France veut être respectée et reconnue en Afrique, il est temps qu'elle fasse quelque chose pour les Africains.

Quelles pourraient être les conséquences de cette guerre et de ce génocide pour la population soudanaise ?

La plupart des pays voisins du Soudan soutiennent les Forces de soutien rapide pour de mauvaises raisons. Le Tchad soutient aussi les FSR.

L’avantage des Forces de soutien rapide concerne l’or qu’ils vendent à Dubaï et qu’ils peuvent redistribuer aux chefs d'Etats africains afin d’obtenir leurs soutiens.

L'armée régulière est soutenue par l'Egypte. Les militaires soudanais ont été formés en Egypte.

Il y a eu des tentatives de négociations de l'Union africaine, des Saoudiens (avec les Américains) pour essayer de ramener le calme. Tout cela n'a abouti à rien.

Le Soudan a-t-il un avenir dans ce contexte trouble ?

C'est la grande question qui se pose. Le conflit a déjà fait des dizaines de milliers de victimes, a entraîné le déracinement de populations entières et l'effondrement de l'Etat. Ce processus touche toute l'Afrique.

La volonté de construire un Etat, une nation semble avoir disparu et volé en éclat.

Le Soudan est confronté à une multitude de problèmes avec notamment le Darfour. Les Rizeigat veulent mettre la main sur l'ensemble du Darfour. Mais ils ne cherchent pas à faire un Etat. Ils souhaitent juste piller des richesses et pour partir à l'assaut du reste de l'Afrique. Il n'y a pas d'autres buts de guerre que de prendre le contrôle des richesses du pays.

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