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Entre redécoupage des cantons et évolution de la sociologie des candidats, la vague de fond des départementales dont personne ne parle
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Discrètement, mais sûrement

Avec l'élargissement des cantons et l'obligation de présenter des binômes hommes-femmes, c'est toute une population de conseillers territoriaux qui pourrait être renouvelée à l'occasion des élections du 22 et du 29 mars. L'enjeu ne se trouve pas uniquement dans la couleur politique.

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan est docteur en science politique. Il est chargé de cours au Centre National de la Fonction Publique Territoriale, et à l’Institut Supérieur de Management Public et Politique.  Il a publié en 2010 Culture Territoriale chez Gualino Editeur,  Droit constitutionnel et gouvernances politiques, chez Gualino, septembre 2014, Développement durable des territoires, (Gualino) en 2016, Culture territoriale, (Gualino) 2016 et En finir avec le Président, (Editions François Bourin) en 2017.

 

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Atlantico : Depuis qu’ils ont été redécoupés (une première depuis 214 ans), les cantons vont être  moins nombreux (2054 à partir de 2015 contre 4035 auparavant), mais plus grands, satisfaisant ainsi un objectif de rééquilibrage démographique. Les populations urbaines récupèrent de ce fait un peu plus de poids au plan électoral. Dans quelle mesure cela influe-t-il sur les élections des 22 et 29 mars, par rapport aux précédentes ? Quelles nouvelles problématiques cela introduit-il ?

Olivier Rouquan : Le redécoupage des cantons a été opéré en tenant compte de la règle démographique reconnue par le Conseil constitutionnel au nom de l’égalité face au suffrage (principe constitutionnel), qui interdit un écart de plus de 20% entre circonscription - ici entre la population du canton et la moyenne départementale. Elle avait déjà été utilisée pour les législatives. Les réformes du droit électoral s’efforcent de diminuer le décalage entre la composition des assemblées représentatives et celle de la société. Ici, en vertu du critère géographique, le clivage à réduire porte sur la surreprésentation initiale des  zones rurales versus les aires urbaines, où vit 80% de la population.

Afin de ne pas démultiplier le nombre d’élus du fait de l’adoption concomitante du binôme homme-femme (dispositif lui favorable à la parité, figurant également dans la loi du 17 mai 2013), le nombre de cantons a été divisé par deux;  ils sont donc plus grands, ce qui permet néanmoins de respecter les seuils législatifs minimaux de 13 cantons pour les départements de plus de 150 000 habitants et de 17 pour ceux de plus de 500 000 habitants. Certains cantons sont délimités en tenant également compte des périmètres des intercommunalités, qui ne cessent du fait des réformes territoriales successives de croître. Bref, cette modification tient compte de la reconfiguration sociodémographique de la Nation, structurée par les aires urbaines. Ceci pourra poser un problème à l’avenir de gestion des territoires ruraux et de leur écoute suffisante. Attention aux effets de bascule !

Source : institut Harris

Selon l’institut de sondage Harris, la moitié des candidats sont des fonctionnaires actifs (35%) ou à la retraite (15%). Ce seraient donc les retraités de la fonction publique qui viendraient remplacer les notables locaux habituels (34,54 % de CSP+, et 26,59% de retraités, selon les chiffres du Ministère de l'intérieur). Qu’est-ce que cette évolution de la sociologie des candidats change aux enjeux de ces élections ?

Le fait que nombre de retraités soient élus locaux n’est pas un scoop. Ils ont plus de temps et ont tissé du fait de leur carrière des réseaux relationnels, qu’ils peuvent mettre à profit de leur mandat – ils constituent 30% des conseillers généraux sortants et 42% des maires en place. Cela ne contrarie en rien, pas plus que le fait que les fonctionnaires soient surreprésentés en politique (donnée là encore très ancienne), qu’ils conservent pour partie un profil de "notable".

Qu’est-ce à dire ? Il s’agit d’un leader ancré dans son bassin de vie, qui est implanté auprès du tissu associatif, qui a un nom connu et reconnu (en partie sur des bases privées). Evidemment, cette dynamique traditionnelle cède le pas à une montée en puissance des compétences d’élu manager et communicant, qui procèdent plus de la société informationnelle et urbaine. Mais attention, au niveau municipal et départemental, la reconnaissance par la société civile de proximité reste indispensable. Les grands cantons modifieront-ils cette donne ? Pas sûr. Simplement, un nouveau profil de notable émerge.

Source : institut Harris

En outre, quelle influence l’obligation de parité et la forte représentation du FN ont-elles sur la sociologie des candidats ?

Le renouvellement de la sociologie des élus est le fait de partis politiques qui sont obligés d’initier des stratégies d’innovation, parce qu’ils n’occupent pas les places fortes. De fait, écologistes (pour les femmes et les jeunes) et Front National (pour les jeunes et les milieux plus modestes) sont en situation de promouvoir des candidats qui n’ont pas le profil des élites cooptées par le PS et l’UMP. Pour les Verts d’ailleurs, cette stratégie n’a pas été tenue. Les effectifs des éligibles de l'UMP, du PS, du Centre et d'EELV (autrement dits de ceux qui occupent les pouvoirs) sont composés pour plus d'un tiers de cadres et professions libérales, mais de peu d'employés (15% ou moins) et encore moins d'ouvriers (1% ou moins), soit en décalage total avec la composition sociologique de l’électorat ; alors que le FN a sélectionné pour candidater à ces départementales plus d’ouvriers et d’employés que la moyenne (22%).

Pour être exact cependant, les partis de gouvernement, du fait des changements géographiques mentionnés et de l’adoption du binôme, profitent de la non reconduction des sortants pour régénérer nombre de leurs élus - par exemple pour le PS la Bretagne et Midi-Pyrénées. Pour répondre à votre question, cette élection peut offrir un renouvellement du personnel politique (féminisation, diversité sociologique) qui n’a pas de connotation au regard du clivage droite/gauche.

Ce n’est donc pas seulement la couleur politique des candidats qui importe pour ces élections… Sont-elles moins politiques qu'il n'y paraît ?

La campagne électorale est elle très politicienne. Nombre d’indicateurs montrent que le débat et sans doute les déterminants du vote seront très "nationaux" ; la campagne a été menée par les leaders tels que N. Sarkozy, M. Valls et M. Le Pen… Les enjeux locaux, alors que 71% des sondés ne connaissent pas le nom du président du conseil départemental, que ses compétences et son avenir semblent incertains, que la présence massive du FN (en nombre de candidats et dans les médias) capte une partie du débat, ont peu de chance de susciter la réflexion et de motiver le vote local… Le véritable échec politique de la décentralisation est démocratique : élection après élection, les scrutins liés aux collectivités territoriales portent peu, sinon au niveau municipal (et encore), sur leur action publique. Une partie de l’abstention croissante suscitée par ces élections en est un autre signe. Trente cinq ans après, la décentralisation ne suscite pas des élections intermédiaires visibles et lisibles. D’ailleurs, le fait de ne pas avoir regroupé les scrutins locaux à échéances fixes, et à mi-mandat des élections nationales est une erreur.

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