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Election législative partielle de l'Aube : quels enseignements ?
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François Baroin, député-maire de Troyes, s'étant fait élire sénateur en septembre, une législative partielle a été organisée dans la 3e circonscription de l'Aube. A quelques mois des élections départementales qui s'annoncent périlleuses pour la majorité, suite à la progression du FN dans différents scrutins et à l'élection de Nicolas Sarkozy à la tête de l'UMP, ce scrutin faisait figure de test.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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1- Un PS laminé sans que la « gauche de la gauche » n’en profite

Avec 14,7%, soit un score quasiment divisé par deux par rapport à l’étiage du PS en juin 2012 dans cette circonscription (28,8%), le candidat socialiste Olivier Girardin subit un échec cuisant. Ce piètre résultat qui a causé son élimination au premier tour, aurait pu être pire encore s’il n’avait pas pu s’appuyer sur son ancrage local. Dans la commune de la Chapelle-Saint-Luc, dont il est maire, il obtient ainsi 40,5% des voix et 34% sur l’ensemble de ce canton. Mais dans la partie la plus septentrionale et la plus rurale de la circonscription, le PS est quasiment rayé de la carte avec des scores inférieurs à 10% dans 4 cantons : 6,8% dans celui de Nogent-sur-Seine, 7,2% dans celui de Marcilly-le-Hayer, 7,8% pour celui de Villenauxe-laGrande et 8,6% dans le canton de Romilly-1. La situation n’est guère plus favorable dans celui de Romilly-2 : 11,5%. On mesure à ces chiffres l’ampleur du désaveu dont souffre le parti du président de la République. Et bien qu’appartenant à l’aile gauche du PS en tant que proche de Benoît Hamon, Olivier Girardin a subi de plein fouet l’impopularité record de François Hollande et son absence de résultats au plan économique et social.

Dans un contexte déjà très fortement abstentionniste, ce mécontentement a conduit une très grande partie de l’électorat socialiste à ne pas se mobiliser. Par rapport à l’élection législative de 2012, le candidat PS ne retrouve que 21% des voix s’étant portées sur la représentante du PS de l’époque alors que le suppléant de François Baroin, retrouve 41% des voix de ce dernier et la candidat du FN, 65% des voix frontistes de juin 2012. La démobilisation de l’électorat de gauche se lit également dans le taux d’abstention. Il atteint son maximum dans le canton de la Chapelle-Saint-Luc (79,9%), qui fut celui où, au second tour de l’élection présidentielle, François Hollande obtint son meilleur score de la circonscription (62,9%) alors que le canton de Marcilly-le-Hayer, qui vota le moins à gauche au second tour de la présidentielle (35,6% pour François Hollande) est celui qui a affiché la plus faible abstention (avec tout de même un taux de 68%) au 1er tour de la partielle.


Comme lors des précédents scrutins, le rejet du PS n’a pas profité aux autres formations de gauche qui enregistrent elles aussi de très faibles scores : 2,5% pour Nouvelle Donne, 4,5% pour Europe Ecologie-Les Verts et 7,5% pour le Front de Gauche. Ce dernier présentait Pierre Mathieu, qui bénéficiait pourtant d’une certaine notoriété au niveau local. Il était déjà candidat en juin 2012 et il est également conseiller municipal de Romilly, ville dans laquelle il atteint 19,3%, cette « prime » lui permettant de compenser des scores très faibles dans d’autres parties de la circonscription. Avec 7,5% sur l’ensemble de la circonscription, il réalise le même score qu’en 2012, ce qui démontre que le Front de Gauche ne parvient pas à capitaliser sur l’échec du PS ni à capter l’électorat socialiste déçu et opposé au virage social-libéral.

La situation économique est pourtant très difficile dans le département et la colère sociale gronde suite aux annonces de la délocalisation d’une partie de l’activité de l’usine Vachette située à Sainte-Savine (inclue dans le périmètre de la circonscription), aux 200 licenciements intervenus dans les établissements Petitjean à Saint-André-les-Vergers (commune de l’agglomération troyenne jouxtant la 3ème circonscription) ou bien encore au dépôt de bilan de l’entreprise Simpa laissant au chômage 360 salariés (sans compter les soustraitants) à Torcy-le-Grand et Vendeuvre-sur-Barse, communes néanmoins plus éloignées de la circonscription.


2- Une dynamique frontiste moins puissante que dans l’Oise et le Lot-et-Garonne

Sous l’effet conjugué de l’effondrement du PS et de sa propre dynamique, le Front National est parvenu pour la 4ème élection législative partielle d’affilée1 à se hisser à la deuxième place et à disputer au second tour un duel avec la droite, le candidat socialiste ayant été éliminé au premier tour comme dans la 2nde circonscription de l’Oise en mars 2013, dans la 3ème du Lot-et-Garonne en juin 2013 et dans la 21ème du Nord en juin dernier.

Par rapport au premier tour de juin 2012, Bruno Subtil progresse sensiblement puisqu’il gagne près de 10 points (27,6% contre 17,8% à l’époque). Mais compte-tenu de l’abstention très élevée (75,4%), cette progression en pourcentages ne s’accompagne pas d’une progression en voix. Le candidat frontiste ne récupère l’équivalent que de 65 % des voix qui s’étaient portées sur le FN en juin 2012. Comme le montre le graphique suivant, ce ratio est cependant le plus élevé de celui des quatre principales forces politiques qui se présentaient.



Ceci démontre, d’une part, que dans un contexte très abstentionniste, l’électorat frontiste est plus mobilisé que celui des autres partis et d’autre part, que la dynamique frontiste est alimentée par l’apport d’électeurs qui ne votaient pas jusqu’à présent pour ce parti.

Géographiquement parlant, le vote frontiste se structure une nouvelle fois selon le clivage centre/périphérie. Comme on peut le voir sur la carte réalisée par Sylvain Manternach, Bruno Subtil obtient des scores en deçà de sa moyenne dans Troyes et sa première couronne, à La Chapelle Saint-Luc et à Romilly et enregistre en revanche ses meilleurs résultats dans les communes rurales des cantons de Nogent-surSeine et de Villenauxe-la-Grande.

La dynamique frontiste ne s’est pas arrêtée au premier tour. Bruno Subtil progresse encore au second tour et atteint 36,1%, soit un gain de 8,5 points et d’environ 1500 voix alors qu’aucun candidat éliminé au premier tour n’avait appelé à voter pour lui. Atteindre plus de 35% sans aucun soutien est certes une performance mais le FN peut néanmoins s’estimer un peu déçu car d’une part, le candidat UMP l’emporte très nettement avec un score de 63,9% et d’autre part car, comme le montre le tableau suivant, pour significative qu’ait été la progression du FN dans l’entre-deux tours, cette dynamique n’est pas aussi puissante que celle que l’on enregistra dans l’Oise et dans le Lot-et-Garonne, où les candidats frontistes engrangèrent 20 points supplémentaires et frôlèrent la barre des 50%.

La hausse s’apparente davantage à celle constatée en juin dernier dans la 21ème circonscription du Nord. Autre parallèle avec cette précédente partielle, le taux d’abstention qui a été très élevé dimanche dernier (72,8%), soit un niveau proche de celui de la 21ème circonscription du Nord (76,2%) et nettement plus élevé que dans le Lot-et-Garonne (47,5%) ou dans l’Oise (64,7%). Tout se passe comme si une abstention très élevée empêchait le FN de bénéficier pleinement de sa dynamique, une partie de son électorat le plus populaire ne se déplaçant pas.

Au soir du second tour, Bruno Subtil vire en tête dans 5 communes et dépasse les 45% dans 12, situées dans le nord de la circonscription et dans une partie du canton de Marcilly-le-Hayer plus au sud. Comme le montre la carte suivante, la géographie du vote frontiste n’est pas très différente de celle mesurée au premier tour.

Mais fait intéressant, autant on n’observe pas de corrélation nette entre évolution de la participation et du vote FN entre les deux tours, autant la progression frontiste semble en partie indexée sur le score des candidats PS et Front de Gauche au premier tour. La hausse du FN est la plus forte (+13,8 points) dans le canton de Romilly-2, où Pierre Mathieu avait obtenu 21,1% au premier tour (contre 7,5% en moyenne sur la circonscription). Elle atteint 10,9 points dans le canton de la Chapelle-Saint-Luc qui avait voté à 34,7% (14,7% en moyenne) pour le candidat socialiste Olivier Girardin et 10 points dans le canton de Troyes-4, dans lequel le PS était à 19,1%. A l’inverse, les candidats socialiste et communiste obtinrent leurs scores les plus faibles dans les cantons de Nogent-sur-Seine et de Marcilly-le-Hayer, or comme le montre le graphique suivant, c’est précisément dans ces deux cantons que la progression frontiste a été la plus faible.

Est-ce à dire que l’électorat de gauche ayant voté au premier tour s’est massivement reporté sur le FN au second tour ? La réalité est sans doute plus complexe car comme l’avaient montré des analyses de l’Ifop sur les partielles de l’Oise et du Lot-et-Garonne2 , un important turn-over a généralement lieu d’un tour à l’autre dans le corps électoral. A la lecture des listes d’émargement, on constatait que toute une partie des électeurs s’étant déplacés au premier tour n’était pas venue au second et qu’inversement des abstentionnistes du premier tour étaient « rentrés dans la bataille » uniquement pour le second tour. Les électeurs de gauche sont surreprésentés dans la première catégorie tandis que les électeurs frontistes le sont, dans des proportions moins importantes, dans la seconde.

Pour autant, le fait que le FN progresse le plus dans les cantons ayant voté le plus à gauche laisse à penser qu’une part non négligeable des électeurs de gauche n’a pas répondu à la consigne du front républicain et à même voté dans le sens contraire. Cette progression sensible dans ces zones renvoie sans doute aussi à un facteur sociologique. Il s’agit de communes ouvrières : Romilly par exemple, qui fut longtemps une ville communiste, abrita de nombreuses usines textiles et compte encore un important atelier de réparation ferroviaire. Et ces communes populaires, sont, dans l’Aube comme ailleurs, des espaces où l’audience frontiste est de plus en plus forte, ce qui a sans doute permis à Bruno Subtil d’y trouver plus facilement qu’ailleurs de nouveaux électeurs entre les deux tours.

3- Un candidat de droite bien implanté et qui a bénéficié du front républicain.

Gérard Menuel est une figure politique connue dans la troisième circonscription de l’Aube. Il est en effet le suppléant de François Baroin depuis la première élection de ce dernier à l’Assemblée Nationale en 1993. De par ce fait, il a déjà été trois fois député quand François Baroin fut amené à exercer des fonctions ministérielles. Gérard Menuel est également conseiller municipal de Troyes. A ces responsabilités politiques s’ajoute un engagement dans le syndicalisme agricole qui le conduisit notamment à présider la Chambre d’agriculture du département. Fort de cette stature de notable mais aussi du soutien actif de François Baroin et dans un contexte national favorable à la droite, Gérard Menuel atteint au premier tour le score envié de 40,7%. La circonscription est certes ancrée à droite, mais ce score est tout à fait satisfaisant puisqu’il correspond au résultat obtenu par François Baroin lui-même au premier tour en 2012 (41,4%).

L’avance dont le candidat de droite bénéficiait à l’issue du premier tour s’est très largement amplifié au second tour puisque Gérard Menuel a gagné pas moins de 23 points et est élu avec 63,8% des voix soit plus de 27 points d’avance sur son concurrent du FN. L’analyse par canton montre que c’est également dans les cantons les plus à gauche que le candidat de droite a le plus progressé : +34 points dans le canton de SainteSavine ou plus 30 points dans celui de La Chapelle-Saint-Luc par exemple3 . Si comme on l’a vu, une partie de l’électorat de gauche a vraisemblablement opté pour le FN au second tour, une part plus importante encore a choisi d’appliquer la discipline du front républicain. Bien qu’étant moins suivie que par le passé, cette ligne a permis à un candidat de droite bien implanté de bénéficier de renforts appréciables et de résister de manière sereine à une poussée frontiste néanmoins réelle.

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