Euro 2016 : petit debrief rhétorique de nos debriefeurs de matchs<!-- --> | Atlantico.fr
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Le procédé favori est celui de la substitution, car chacun tient à placer son idée ou son homme : "On est bon face à l’Islande d’accord, mais ce qui compte c’est face à l’Allemagne, etc."
Le procédé favori est celui de la substitution, car chacun tient à placer son idée ou son homme : "On est bon face à l’Islande d’accord, mais ce qui compte c’est face à l’Allemagne, etc."
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Rhétorico-laser

L’Euro 2016 n’est pas seulement un festival de buts et de surprises : c’est aussi un immense déploiement de rhétorique, voire chez certains commentateurs, de pure éloquence.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Certes, la langue de bois a une large place dans la rhétorique de nos footballeurs. C’est le cas des sélectionneurs qui, comme les politiques, ne veulent pas dévoiler leur jeu à l’avance. Tout comme un Président qui entretient le suspense sur le futur remaniement, le sélectionneur garde jalousement le secret de sa prochaine équipe (Ah ! le fameux « dispositif » !), quitte à meubler une conférence de presse entière de généralités et de tautologies : « quand un match n’est pas joué il n’est pas gagné » ; « il n’y a pas de petits adversaires », « ce qui s’est passé, on ne peut pas le changer » etc. Didier Deschamps est sans conteste champion en la matière : celui qui lui fera avouer quel sera son choix, de Rami ou d’Umtiti,, de Sissoko ou de Kanté, n’est pas encore né. L’interpellation, toujours souriante, des journalistes est un de ses tours préférés : « vous le ne saurez pas, même si vous insistez ». Fermez le ban. Mais l’homme a plus d’une balle dans son fusil rhétorique : il manie la litote avec aisance (« les Islandais ne sont pas en ¼ de finale par hasard ») ; l’euphémisme (« on s’est dit des choses à la mi-temps ») ; et l’image lui vient volontiers : « il a fallu secouer le cocotier ». Une telle panoplie devait nécessairement en faire un des personnages préférés de Nicolas Canteloup.

Mais rien ne vaut les commentaires des « experts ». Les médias rivalisent de plateaux prestigieux où anciens internationaux débattent avec des journalistes sportifs ou même des « people » sur les mérites respectifs des joueurs et des équipes. Mention particulière doit être faite de la très populaire « Dreamteam » de BFM TV animée avec brio par Jean-Baptiste Boursier, qui passe aussi bien la parole que Payet le ballon, et qui lorsque le débat s’étiole devient un grand relanceur comme le Pogba des meilleurs jours. Arbitre également à ses heures, lorsque ces garçons éternels que sont les « footeux » tombent dans une cacophonie de cour de récré. Assurer une telle fluidité de l’émission dans de telles conditions relève du grand art.

Car ils ne sont PAS d’accord, les garçons, mais alors pas du tout : partisans du « 4-4-2 » contre fanatiques du « 4-3-2-1 », supporters de l’attaque « dans l’axe » contre stratèges du débordement latéral, théoriciens de la « sentinelle » contre théologiens du milieu offensif, adeptes de la « folie dans le jeu » contre sages de la patience constructive ; sans compter les pour « Matuidi à gauche » et les pour « Matuidi à droite », les pro et les anti Pogba, les Sissokophiles et les Sissoko-sceptiques, les inconditionnels de Griezmann et les inquiets pour Griezmann… Tous s’envoient des escadrilles d’arguments puisant dans la grande histoire du football (de la coupe du Monde 1958 au dernier match de Leicester) comme dans la psychologie individuelle et collective ; et bien sûr dans la technique invoquée tous azimuths, quitte à noyer le profane (que je suis) sous le calcul savant des « intervalles », la sophistication des arrières « coulissants » et autres « dispositifs en losange ». 

Et, dans l’empoignade générale, les contre-arguments se multiplient sur le plateau comme les contres sur le terrain :

Réfutation factuelle : « Mais non, voyons, à Arsenal il joue à gauche ». 

Minimisation : « Oui, il a touché beaucoup de ballons mais il n’en a pas fait grand-chose »

Marginalisation : « Le talent c’est bien, mais l’essentiel c’est l’envie » 

Contextualisation : « Allons ! On ne peut pas comparer un match de Ligue 1 et un quart de finale de l’Euro »

Raisonnement par l’absurde : « Si on suit ta logique, on sort Kanté que tu avais pourtant mis au centre de ton dispositif »  

Reformulation : « en football, il n’y a pas de certitudes mais il y a des confirmations »

Péjoration : « Ce n’est pas un joker, c’est un pis-aller »

Antiphrase : « C’est vrai que la France a rencontré jusqu’ici des équipes de premier plan ! »

Le procédé favori est celui de la substitution, car chacun tient à placer son idée ou son homme : « Et si on parlait du vrai problème : la défense ! » ; « Bon, on a beaucoup parlé de Pogba, mais le vrai sujet c’est Matuidi » ; « On est bon face à l’Islande d’accord, mais ce qui compte c’est face à l’Allemagne etc. »   

Qui dira désormais que le football n’est pas un sport savant ? Et que l’homme n’est pas décidément un animal interprétatif ? 

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