Comment la technologie travaille à réduire les accidents de la route causés par les téléphones mobiles <!-- --> | Atlantico.fr
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Le développement de la téléphonie mobile est à la fois une malédiction et une bénédiction pour les automobilistes.
Le développement de la téléphonie mobile est à la fois une malédiction et une bénédiction pour les automobilistes.
©Reuters

Minute tech

Un accident de voiture sur dix est causé par l'usage au volant d'un téléphone portable. De quoi inciter les constructeurs à chercher des solutions.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : Permettant d’être joignable n’importe où depuis son véhicule mais provoquant par son utilisation de très nombreux accidents de la route, le développement de la téléphonie mobile est à la fois une malédiction et une bénédiction pour les automobilistes. Quelles sont aujourd’hui les technologies existantes ou en cours de développement pour compenser les problèmes liés à l’utilisation des téléphones mobiles ? Vers quoi la recherche se dirige-t-elle ?

Jean-Pierre Corniou : L’industrie automobile a bénéficié, comme toutes les industries, des progrès continus de l’informatique  et de l’électronique. Depuis le développement de l’ABS en 1971, les apports techniques de l’électronique dans le fonctionnement du véhicule ont été constants. Deux domaines ont bénéficié parallèlement de ces avancées : les aides à la conduite et l’agrément de la vie à bord. Les fonctionnalités développées ont été concentrées  avant tout sur la conduite. La géolocalisation a été l’offre reine dès 1995 chez Renault avec le précurseur Carminat. Parallèlement à cette évolution lente, liée au rythme de renouvellement des modèles, et intégrant de plus en plus de fonctions d’aide à la conduite et de renforcement de la sécurité – navigation, régulateur de vitesse, assistances au freinage, outils d’aide à la vigilance - l’irruption massive de la téléphonie mobile a posé un sérieux problème à l’industrie automobile. Elle est restée longtemps très fébrile à l’idée de laisser d’autres acteurs pénétrer dans l’habitacle pour des raisons de sécurité au moins autant que par une méfiance avérée contre ce qui ne venait pas de l’écosystème automobile. Aussi l’industrie a-t-elle longtemps cherché, au nom de cette spécificité automobile, à développer ses propres outils, mettant au point de façon coûteuse des systèmes propriétaires complexes rapidement surclassés par l’offre du marché grand public. Ces produits étaient autrefois synonymes de haut de gamme, et chèrement payés par le client, et sont aujourd’hui banalisés sur toute la gamme au risque de ne plus  représenter de facteur de différenciation. Les systèmes embarqués reprennent aujourd’hui toutes les fonctionnalités accessibles sur un téléphone intelligent ou une tablette. Tactiles, à reconnaissance et synthèse vocales, parfois reconnaissant les gestes, ils bénéficient du même type de technique et d’environnement de développement que les objets mobiles.

Quelles sont les autres technologies embarquées qui ont tendance à se démocratiser ou qui vont le faire dans les années qui viennent (boite mail, Internet, divertissement des passagers) ?

Les constructeurs sont bien conscients que l’automobile doit faire face à une rude concurrence en matière de mobilité, qu’elle soit physique, avec les progrès des transports publics, ou virtuelle, grâce à tous les outils de la mobilité numérique. Réenchanter l’automobile, surtout en direction  des jeunes beaucoup moins autophiles que les générations antérieures, implique pour les constructeurs d’emprunter les outils et les codes sociaux engendrés par l’essor du numérique. Non seulement tout conducteur confie sa sécurité et son plaisir de conduire à des dizaines de micro-processeurs  - plus de 100 dans une Mercedes Class S -, mais tout ce qui concerne la distraction à bord est aujourd’hui numérisé. Ces processeurs sont reliés par un réseau local, le CAN (Controller Area network).

Néanmoins, la lutte restera toujours inégale entre un smartphone, véritable "couteau suisse" de l’accès à la mobilité numérique pour quelques centaines d’euros, et une voiture qui en dépasse de très loin le budget d’investissement et surtout le coût de fonctionnement.  Introduire les outils de la mobilité numérique à l’intérieur de la voiture est un chemin suivi depuis de nombreuses années par quelques constructeurs. Le patron de Ford, Alan Mullaly, est célèbre au CES de Las Vegas pour ses numéros de duettiste complice avec Steve Ballmer pour vanter Sync, le système conçu par Microsoft qui introduit toutes les facilités d’internet dans l’habitacle grâce à la reconnaissance et à la synthèse vocales. BMW s’est aussi engagé précocement dans cette voie et son système Connected Drive. Renault a également introduit sa propre tablette R-Link dans la Clio IV et la Zoe en 2012, cette tablette tactile offrant la possibilité d’accéder à un magasin "d’apps" pour enrichir le système de base. En 2012, 4,3 millions de voitures sur une production mondiale de  81,7 millions ont été équipées de ces technologies de connexion. Ce chiffre devrait croître rapidement avec la démocratisation de ces outils.

Tous ces systèmes, aujourd’hui bien au point, ont l’inconvénient de figer l’offre au niveau technique atteint lors du développement du véhicule, soit environ deux ans avant sa sortie. Deux ans, dans le monde numérique, c’est long. Mettre à jour les systèmes embarqués coûte cher et implique un effort, et le client est peu enclin à payer pour cette fonctionnalité. Ils sont donc assez rapidement dépassés par l’offre courante  des objets connectés personnels. Il s’est vendu un milliard de smartphones dans le monde en 2013 et ces produits présentent une gamme d’applications quasi infinie, qui couvre les besoins des automobilistes aussi bien que les autres usages de la vie quotidienne.

Dans quelle mesure le développement de ces technologies embarquées risque-t-il, en proposant toujours plus de fonctionnalités, d’encourager la déconcentration des conducteurs ? Est-il seulement possible de ne pas le faire ?

Il faut totalement différencier l’offre destinée au conducteur et celle destinée aux passagers. Conduire est une contrainte quasi-professionnelle qui ne supporte aucune forme de distraction. Téléphoner ou écouter ses courriels grâce à la synthèse vocale n’est pas recommandé… Même la réussite de l’intégration de ces systèmes dans l’habitacle ne garantit pas leur innocuité en matière de conduite. Il est reconnu par les études qu’un accident corporel sur dix implique l’usage d’un téléphone. Toute communication téléphonique, même main libre, monopolise de l’attention au détriment de la conduite. Si ces systèmes doivent être utilisés à l’arrêt, on ne voit pas l’intérêt d’alourdir la facture de sa voiture pour des fonctionnalités déjà disponibles avec l’outil que l’on a dans sa poche. En revanche les autres passagers peuvent utiliser les outils de distraction comme la vidéo à bord, avec casque, très populaire auprès des enfants.

Les constructeurs ont également été obligés d’admettre qu’à armes inégales avec les Apple et Samsung, ou Tom Tom, ils ne pouvaient pas négliger les outils du client et se sont donc convaincus, avec peine, qu’il fallait faciliter leur usage en toute sécurité. C’est ainsi que les constructeurs ont accepté d’accueillir les appareils de leurs clients en proposant des prises USB et une intégration sans fil grâce à Bluetooth.

Les voitures "sans pilote" semblent se développer extrêmement vite. Peut-on imaginer que la voiture devienne un jour un simple lieu de détente en attendant la fin du trajet ? Une sorte de train personnel ?

Les cas d’usage de la voiture sans conducteur sont beaucoup plus réduits que ce que notre imaginaire, alimenté par les multiples annonces récentes des constructeurs, aimerait croire. Il y a dans ce constat une raison simple : la conduite est un exercice très complexe qui ne peut se modéliser totalement. Il est possible sans aucun doute et dès maintenant de traverser le Nevada ou le Wyoming à 70 miles /h avec une voiture automatisée. C’est beaucoup plus compliqué en ville dans un trafic intense, où les obstacles sont multiples, ou sur les routes sinueuses semées d’obstacles. Se pose également un délicat problème de responsabilité. Si le Code de la route exige qu’aujourd’hui le conducteur soit toujours maître de son véhicule, qu’en sera-t-il en cas d’accident en conduite automatisée ? Se retournera-t-on vers le constructeur ? On imagine donc que, dans un futur proche, les voitures automatisées pourront être utilisées dans des cas très limités, recherche de place de parking ou circulation très ralentie dans un embouteillage par exemple. Mais surtout, les capteurs et logiciels multiples qui sont indispensables pour remplir ces fonctions peuvent être, comme dans la Mercedes classe S, exploités par le conducteur. Ainsi doté de "capacités augmentées", il peut anticiper et réagir plus efficacement aux multiples incertitudes de la route, qu’elles soient induites par l’état du réseau, les conditions climatiques ou le comportement des autres usagers. La voiture pourra également pratiquer un auto-diagnostic préventif ou appeler automatiquement les secours en cas d’accident. C’est une voie plus réaliste qui permettra des gains réels en sécurité sans rupture brutale avec les pratiques actuelles de la conduite et de la réglementation.

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