"The Monopolists” : le livre qui révèle la curieuse genèse du Monopoly<!-- --> | Atlantico.fr
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Contrairement à l'histoire promulguée par Parker Brothers, la société éditrice du Monopoly, le jeu n'a pas été inventé par Charles Darrow en 1935.
Contrairement à l'histoire promulguée par Parker Brothers, la société éditrice du Monopoly, le jeu n'a pas été inventé par Charles Darrow en 1935.
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Quatre-vingt ans plus tard...

Contrairement à l'histoire véhiculée par Parker Brothers, la société éditrice du Monopoly, le jeu n'a pas été inventé par Charles Darrow en 1935 mais par Elizabeth J.Magie en 1903 quand elle a créé le Landlord's Game, au travers duquel elle souhaitait illustrer la "nature antisociale du monopole".

Début février, le groupe Hasbro a fêté les 80 ans de son produit star, le Monopoly, ou jeu de plateau le plus célèbre du monde, vendu à 275 millions d'exemplaires dans 111 pays et traduit dans 43 langues depuis sa création en 1935, comme le rappelle Le Figaro. Car si l'on en croit l'histoire des Parker Brothers, société éditrice du jeu, le Monopoly a été inventé à l'époque de la Grande Récession aux Etats-Unis par Charles Darrow, un ingénieur au chômage qui voulait sauver son fils atteint de la scarlatine. Cette invention miraculeuse le rendit richissime et son fils fut sauvé. Depuis des décennies, cette histoire, symbole du rêve américain a ému les médias et augmenté le chiffre d'affaires de Parker Brothers par la même occasion. Seule ombre au tableau : elle est fausse, comme le raconte la journaliste Mary Pillon dans son dernier livre intitulé "The Monopolists: Obsession, Fury, and the Scandal Behind the World’s Favorite Board Game".

Marie Pilon est journaliste pour le Wall Street Journal quand elle commence à s'intéresser Monopoly en 2009. Chargée d'écrire un article sur la genèse miraculeuse du jeu, elle découvre l'existence de Ralph Anspach, un professeur d'économie pour l'Université de San Francisco qui avait été en procès contre Parker Brothers dans les années 70 après avoir créé un jeu de plateau intitulé "Bust the Trust " qui se rapprochait trop du Monopoly au goût de ses créateurs. Après huit ans de bataille juridique, il avait finalement obtenu gain de cause et avait obtenu la permission de continuer à commercialiser son jeu à condition qu'il change son nom en "Anti-Monopoly".

Intriguée par cette affaire, Marie Pilon décide de contacter Anspach, alors âgé de 80 ans et se retrouve alors absorbée dans une histoire bien plus complexe que ce qu'elle avait imaginée de prime abord."Plus j'allais loin, plus je me rendais compte que c'était très compliqué, qu'il y avait beaucoup de points de vue. Cela implique les affaires, la loi, l'histoire, les interactions humaines", raconte-t-elle au blog LongReads.com.  

Anspach lui raconte alors son histoire. Dans les années 70, dans sa quête de prouver à la cour que son jeu n'est pas un plagiat de celui de Parker Brothers, il découvre que les origines du Monopoly remontent à 1903 quand Elizabeth J. Magie crée le Landlord's Game ("Le Jeu du Propriétaire") comme un outil d'éducation.

A la fin du 19ème siècle, aux Etats-Unis, la tendance est au progressisme. L'économiste Henry George propose de limiter le pouvoir des propriétaires fonciers avec un impôt unique et son livre "Progrès et pauvreté" est la bible de nombre d'Américains. Quand le père de Magie lui fait lire pour la première fois, elle adhère immédiatement. Aussi, à la mort de George en 1897, elle se fait une mission de continuer son œuvre et crée son jeu, "The Landlord's Game" à travers lequel elle souhaite illustrer la "nature antisociale du monopole". Elle a donc l'idée d'inclure deux sets de règles dans son jeu : les monopolistiques et les anti-monopolistiques.

Son jeu met en scène différentes infrastructures : une maison pour les pauvres, des banques, des chemins de fer, des prison… Quant aux cases du plateau, elles ont des noms dans le genre "la maison des pauvres" ou encore "la propriété du Seigneur Sang-bleu", comme le rapporte le magazine Obvious.

Au grand désespoir de Magie, la plupart des gens s'entichent des règles monopolistiques et ne s'intéressent pas aux autres. "Les jeux de plateau nous permettent de faire des choses qu'on ne peut pas faire dans la vraie vie. Et être un monopolistique et battre tout le monde, c'est quelque chose que la plupart d'entre nous n'ont pas l'habitude de faire avec des amis ou de la famille", explique Mary Pilon au LongReads.com.

En 1904, Magie brevète le Landlord's Game. Mais la culture du jeu de cette époque et le manque de production de masse font qu'il est rapidement dénaturé : à travers les Etats-Unis, les gens l'apprennent par le bouche à oreille et développent leurs propres variantes, raconte Pilon dans son livre. Vingt ans plus tard, quand Magie dépose finalement un brevet pour une version actualisée du jeu, ses intentions originales sont déjà définitivement occultées dans  l'imaginaire populaire.

Malgré tout, tout n'est pas faux dans l'histoire du Monopoly racontée par Parker Brothers. En 1935, Darrow est effectivement au chômage et son fils souffre bien de la scarlatine. Afin de pouvoir lui payer des soins, il décide d'essayer de vendre ce jeu de plateau que des amis lui avaient appris dans le passé. Il demande donc à son ami dessinateur F.O Alexander d'agrémenter le plateau avec quelques illustrations et s'en va soumettre son projet aux Parker Brothers.

Après l'avoir rejeté une première fois, la société change finalement d'avis et lui achète le "Monopoly" pour l'équivalent à l'époque de 7 000 dollars et des poussières. Le succès ne se fait pas attendre : dès sa première année de commercialisation, le Monopoly se vend à 278 000 exemplaires. La suivante, Parker Brothers en écoule 751 000 de plus. Dans une lettre incorporée par Pilon dans son livre, Darrow raconte à la société dans des termes très vagues, qu'il a été inspiré par un jeu auquel il avait joué un jour avec ses amis.

Mais Parker Brothers ne tarde pas à comprendre que l'ingénieur a été plus "qu'inspiré". Par précaution, la société décide d'acheter toutes les variantes du jeu qui circulent encore. Afin d'éviter un scandale, Parker Brothers conclut également un arrangement avec Magie. Cette dernière accepte de vendre pour 500 dollars, à condition que Parker Brother commercialise ses jeux aussi bien qu'elle l'a fait avec le Monopoly.

En 1936, Magie raconte tout dans une interview pour The Evening Star : elle avait déclaré être en colère contre Darrow pour lui avoir volé son jeu. « Si quelqu'un compte les frais de l'avocat, de l'imprimante et du bureau des brevets utilisés pour développer le jeu, le jeu lui a probablement coûté plus d'argent que ce qu'il lui en a rapporté », écrit alors le journal, selon un article de Slate.

En 1939, les frères Parker impriment donc une version modifiée du Landlord's Game en 1939, avec le visage de Magie sur la couverture, ainsi que deux autres de ses jeux. Mais, "il y a très peu de preuves qu'ils aient été sérieusement commercialisés", écrit Marie Pilon. En effet, le recensement de 1940 liste l'occupation de Magie comme "créatrice de jeu" avec un revenu de 0 dollars. Elle meurt huit ans plus tard.

Depuis, quelques autres articles relatant l'histoire réelle du Monopoli sont parus. Il y a par exemple eu celui de Libération, publié en 1985 suite au procès d'Anspach, où le journaliste écrit que quand il a découvert le Landlord's Game, Charles Darrow jouait plutôt mal. "ll a frôlé la banqueroute à plusieurs reprises avant de comprendre les règles du jeu", avait notamment raconté un témoin à Libération. Ralph Anspach lui-même a publié en 2010 un livre intitulé The Billion Dollar Monopoly (R) Swindle.

Malgré tout, la fausse histoire de Parker Brothers reste la plus connue. C'est parce qu'elle fait plus rêver, explique Mary Pilon. "Quand nous pensons à l'innovation et à comment les choses sont faites, nous aimons les histoires à la Cendrillon. Mais la vérité c'est que quand les choses sont faites, c'est souvent grâce à un effort collectif avec beaucoup de tests, c'est bien plus compliqué que ça", écrit celle qui laisse entendre que "The Monopolists : Obsession, Fury, and the Scandal Behind the World’s Favorite Board Game", pourrait peut-être un jour être adapté au grand écran…

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