Zuckerberg s'en prend à Obama sur la surveillance numérique mais oublie d’appliquer ses principes vertueux aux utilisateurs de Facebook<!-- --> | Atlantico.fr
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Facebook est souvent critiqué pour l'opacité de ses pratiques.
Facebook est souvent critiqué pour l'opacité de ses pratiques.
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The Clash

Le gouvernement américain serait une menace pour internet et ses utilisateurs, d'après Marc Zuckerberg, qui sur sa page Facebook a presque directement dénoncé Barack Obama. Le donneur de leçons s’offre ainsi un coup de publicité en prêchant pour sa paroisse.

Bertrand Duperrin

Bertrand Duperrin

Bertrand Duperrin est directeur au sein du cabinet Nextmodernity et blogeur. Il est un des spécialistes français de l’évolution conjointe des modes de travail et des technologies.

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Atlantico : L'appel de Zuckerberg à Obama pour contester la surveillance numérique est-il légitime  ou audacieux ?

Bertrand Duperrin : Légitime, il l’est certainement. Personne ne peut nier que des dispositifs de surveillance à grande échelle existent et que leur utilisation n’est pas toujours conforme et proportionnée à leur but originel. En plus du danger évident que cela fait porter sur les libertés individuelles il y a également un risque économique fort lié à une perte de confiance des utilisateurs et des investisseurs.

Par contre, en fait d’audace, je vois surtout de l’opportunisme. Le sujet est d’importance et ces pratiques sont depuis peu dévoilées au grand jour, un consensus international se forme sur le sujet, il est donc facile pour Zuckerberg d’aller dans le sens du vent. Il apparait comme le défenseur des libertés, celui qui prend l’initiative. Pour quelqu’un qui est souvent critiqué pour l’opacité de ses propres pratiques, c’est un moyen finalement facile de passer pour le « gentil », une image qu’on lui  accole rarement.

Pouvons-nous dire qu'aujourd'hui Facebook met en place toutes les dispositions nécessaires pour protéger les données de ses utilisateurs ?

La sécurité des données est quelque chose de relatif. La question n’est pas de savoir si elles sont en sécurité ou non mais quels sont les moyens à déployer pour passer les systèmes de sécurité.

Facebook dit accorder une grande importance au sujet et on ne peut que le croire même si les spécialistes ont l’habitude de dire que si un gouvernement veut accéder aux données il finira par les avoir d’une manière ou d’une autre.

Maintenant, soyons sérieux deux minutes. Quand Facebook ou d’autres parlent de l’attention portée aux données des utilisateurs, c’est une véritable tartufferie. Ils les protègent des regards du gouvernement mais surtout pas de leur propre regard. Le gouvernement ne verra pas - soit disant - vos données précautionneusement protégées par Facebook, mais Facebook ne se privera pas de les regarder, stocker, analyser et revendre. L’avenir nous dira si en nous protégeant ainsi Facebook ne nous protège pas de la peste pour mieux nous inoculer le choléra.

On parle de Facebook, mais le même discours pourrait s’appliquer à de nombreux autres acteurs. Google en tête.

Une étude américaine menée entre 2005 et 2011 par l'université Carnegie Mellon  a mis en exergue la difficulté des utilisateurs de Facebook de protéger leurs données face aux multiples changements de conditions d'utilisation,  que pouvons-nous en penser ?

Que Facebook est un peu schizophrène sur le sujet. Leur intérêt commercial est que les données leur soient le plus accessible possible, mais ils se rendent compte que pour mériter la confiance des utilisateurs, il leur faut un certain niveau de protection. D’où des errements dus à une ligne visiblement peu claire et hésitante. Si on ajoute à cela le fait que la gestion des paramètres de confidentialité n’est pas des plus intuitives, les utilisateurs ont raison de se plaindre. Mais il ne faut pas s’attendre à ce que Facebook rende les choses simples de ce coté : n’oublions pas, selon la maxime désormais célèbre, que lorsqu’un service est gratuit, c’est l’utilisateur qui devient le produit. Sans données la gratuité n’est pas possible et le business model s’effondre

Vint Cerf, de Google a récemment dit que « la vie privée est une anomalie ». Je ne pense pas que Facebook pense autre chose ou ait intérêt a penser autre chose en dépit de discours qui se veulent rassurants.

Le coup de gueule de Zuckerberg peut-il lui jouer des tours ? Comment Facebook sensibilise-t-il ses utilisateurs aujourd'hui à la protection des données?

Non, c’est au contraire un bon coup de publicité gratuit pour lui. Ça déplace le débat de ses propres pratiques à celles du gouvernement, ça le positionne en protecteur des libertés individuelles. Il a fait son boulot en montrant le danger réel qui existe par rapport à la santé d’une industrie d’avenir, il a certainement eu une discussions très intéressante avec Obama, point final. Au pire on pourra lui reprocher une certaine hypocrisie, mais de là à penser que les utilisateurs vont abandonner Facebook pour cette seule raison ou qu’il peut subir des rétorsions de la part des autorités, il y a un pas que je ne franchirai pas.

Sans aller jusqu’à dire qu’il s’agit d’un non événement je ne pense pas que ça change grand chose. Dans 3 mois son coup de sang aura été oublié.

Les formes d'utilisation publicitaires de Facebook ne sont-elles pas d'une certaine manière une forme d'exploitation des données, et par conséquent une surveillance des données ?

Comme je le disais plus haut, Facebook, Google et consorts sont des mini NSA. L’appel de Zuckerberg est un sommet d’hypocrise et de malhonnêteté  intellectuelle, mais l’exploitation des données est à la base du web gratuit que nous connaissons aujourd’hui. Zuckerberg ne peut dire autre chose et ne peut agir autrement, sauf à scier la branche sur laquelle il est assis.

En fait cela pose une question d’ordre éthique, quasi philosophique. Est ce que se faire « espionner » par un gouvernement qui invoque la raison d’Etat, et par une entreprise qui développe son business en vous offrant un service gratuit est la même chose ? Pour Zuckerberg la réponse est claire : l’analyse des données par le gouvernement, c’est mal, par Facebook, c’est bien. L’Etat, c’est dangereux, le business, c’est cool.

C’est un débat de société sur lequel on ne pourra pas faire l’impasse dans les années à venir, une fois que la population sera pleinement consciente des dangers, des enjeux mais aussi des opportunités, lorsqu’elle sera plus mûre sur le sujet. Les conséquences seront majeures. D’un côté la fin de la vie privée, de l’autre l’effondrement du modèle économique du web actuel avec toutes les conséquences sur l’économie et l’emploi.

Voulons-nous que la vie privée devienne une nouvelle monnaie qu’on échange contre des services ? C’est la question. Aujourd’hui la réponse implicite, par défaut, est « oui », mais pour combien de temps encore.

Zuckerberg ne fait-il pas uniquement sa propre publicité, sans une réelle volonté de vouloir changer les choses ?

Oui et non. Qu’il fasse sa publicité et se mette dans une position qui lui permette - pour une fois - de jouer le rôle du gentil est évident. Par contre il peut avoir intérêt à ce que les choses changent : c’est la confiance dans l’économie numérique qui est en jeu, avec ce que cela représente en termes de d’utilisateurs, de revenus, d’investissements.

Par contre, ne nous méprenons pas. Il ne défend pas les libertés individuelles, mais la croissance d’un secteur économique en général et de son propre business en particulier.

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