Zéro émission nette de carbone : l’objectif que nous n’atteindrons jamais sans restructurer notre réseau électrique <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
Bien que le réseau électrique français soit bien interconnecté, la véritable difficulté réside dans le manque de capacités d'échange avec les pays voisins.
Bien que le réseau électrique français soit bien interconnecté, la véritable difficulté réside dans le manque de capacités d'échange avec les pays voisins.
©JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Nouveaux objectifs

Le Royaume-Uni va devoir réformer en profondeur son réseau électrique, selon un rapport de Nick Winser, ancien directeur général du National Grid. La France et l'Allemagne sont confrontées à des difficultés similaires.

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

Voir la bio »

Atlantico : Nick Winser, commissaire chargé des réseaux d'électricité et ancien directeur général de National Grid, a publié la semaine dernière son étude sur les connexions au réseau. Dans l’objectif du zéro émission nette, le Royaume-Uni va devoir réformer en profondeur son réseau, pourquoi ?

Damien Ernst : Au Royaume-Uni, il y a une importante présence éolienne. Le potentiel éolien considérable se situe principalement dans le nord du pays, en Écosse principalement, où se trouvent les meilleurs champs éoliens offshore. Cependant, il existe des défis majeurs pour exploiter pleinement cette ressource. Le gros des consommateurs se trouve dans le sud de l'Angleterre, ce qui nécessite la mise en place de lignes de transmission pour relier efficacement le nord et le sud du pays. Cette entreprise exige la construction de nouvelles infrastructures et l'obtention des autorisations nécessaires, ce qui peut s'avérer difficile en raison des oppositions locales. En conséquence, la construction de ces lignes reste en suspens et de nombreux projets sont bloqués.

Est-ce une problématique valable ailleurs ?

L'Allemagne fait face à un problème similaire en matière d'énergie éolienne. Le pays dispose d'une importante capacité éolienne en mer Baltique, mais la mise en place de lignes de transmission pour acheminer cette énergie vers les régions du sud rencontre des obstacles similaires. Les autorisations requises pour la construction de ces lignes sont difficiles à obtenir en raison des oppositions locales, ce qui entraîne des retards dans la réalisation de projets importants.

Un problème récurrent dans de nombreux pays, y compris l'Allemagne, est le développement inadéquat des réseaux électriques pour accompagner la transition énergétique. La vitesse à laquelle les parcs éoliens et solaires sont déployés dépasse souvent celle à laquelle les infrastructures de transmission nécessaires sont mises en place. Par exemple, en Allemagne, des parcs éoliens ont été construits sans une connectivité adéquate au réseau électrique en raison de la lenteur du développement des lignes électriques. Cela souligne le défi majeur de la transition énergétique, qui va au-delà de l'installation de panneaux solaires et d'éoliennes : il s'agit de développer les réseaux électriques et, en particulier, de construire les lignes de transmission nécessaires pour acheminer l'énergie produite vers les zones de consommation.

À Lire Aussi

Transition ratée : 4 mois après avoir arrêté le nucléaire, l’Allemagne méchamment rattrapée par la réalité

Pourquoi est-ce si dur d’avoir les deux ?

Ici, notre discussion se concentre principalement sur les parties du réseau électrique qui posent des défis majeurs, spécifiquement les lignes de transmission à haute capacité conçues pour acheminer d'importantes quantités d'énergie renouvelable sur de longues distances. L'installation de ces lignes est une nécessité, mais elle est extrêmement complexe. Ces lignes sont conçues pour transporter plusieurs gigawatts de puissance, cela rend difficile leur enterrement. Actuellement, donc elles sont aériennes. Et c’est ce qui suscite des inquiétudes parmi les riverains. Ces préoccupations sont principalement liées aux champs électromagnétiques qu'elles génèrent, une crainte qui, bien que raisonnable à certains égards, peut être exagérée. En réalité, à une distance de 100 mètres de la ligne, les mesures de champ électromagnétique sont très faibles, généralement de l'ordre de 3 à 4 microteslas, ce qui est négligeable sur le plan sanitaire. Toutefois, les perceptions collectives sur ce sujet peuvent être déformées. 

Malheureusement, ces inquiétudes ont contribué à une opposition significative à l'égard de ces lignes électriques. Les communautés locales et les gouvernements municipaux résistent à leur installation. Cette opposition dépasse même celle observée ces dernières années vis-à-vis de l'énergie éolienne offshore, en grande partie parce que ces lignes sont associées dans l'imaginaire collectif aux champs électromagnétiques nuisibles, bien que cela soit largement infondé sur le plan scientifique. Des anecdotes peu crédibles, comme les rumeurs de vaches arrêtant de produire du lait près de ces lignes, ont contribué à renforcer ces perceptions, même si elles ne reposent pas sur des preuves scientifiques solides.

À Lire Aussi

Gaz : les réserves européennes sont pleines pour l’hiver, cela sera-t-il assez ?

Sur le plan politique, le soutien à ces projets de lignes électriques souterraines est un défi. Les politiciens sont souvent enclins à promouvoir le développement de l'énergie éolienne ou solaire en raison de leur popularité relative, mais soutenir des projets de lignes électriques peut s'avérer impopulaire auprès des électeurs. Les politiciens cherchent avant tout à gagner des voix, ce qui rend ces projets politiquement complexes. En conséquence, la construction de ces lignes de transmission rencontre de nombreux obstacles, à la fois techniques et politiques, ce qui ralentit leur avancement.

Pourquoi est-ce que ces projets ont besoin d'être aériens ?

Il y a une première raison majeure qui sous-tend cette situation. En réalité, les sources d'énergie renouvelable sont généralement situées à une grande distance des principaux centres de consommation. Prenez par exemple les installations éoliennes et solaires. Elles sont souvent localisées dans des régions où la demande en énergie est considérablement faible.

En outre, l'intégration harmonieuse des énergies renouvelables dans le réseau électrique exige une solution au problème de leur fluctuation de production. Une stratégie consiste à collecter ces énergies renouvelables sur une vaste étendue géographique, ce qui permet de mutualiser les ressources de production. Cette approche se fonde sur l'idée que plus la zone de collecte d'énergie renouvelable est étendue, plus la constance de la production d'énergie est assurée. Cela est particulièrement vrai pour les éoliennes, où l'hypothèse sous-jacente est que les variations de vent sont moins marquées sur une grande surface. Cependant, il ne suffit pas uniquement de collecter l'énergie sur une large zone ; il faut aussi mettre en place des mécanismes qui autorisent les échanges fluides d'énergie et de puissance à travers ces vastes zones. Cette étape nécessite la mise en œuvre d'une capacité électrique considérable, capable de gérer ces flux importants.

À Lire Aussi

Nucléaire ou renouvelables : le match des énergies par temps de canicule

Deuxièmement, les parcs éoliens et solaires sont souvent implantés à une distance considérable des centres de consommation majeurs. Cette séparation géographique aggrave encore les défis liés au transport de l'énergie renouvelable vers les zones où elle est nécessaire. En résumé, il y a deux points cruciaux à aborder : la fluctuation de production, qui peut être atténuée par une collecte sur une vaste zone avec des connexions électriques à forte capacité, et la distance entre les sites de production et les centres de consommation.

Et du coup, vous évoquiez l'exemple allemand ? Est-ce que en France nous avons le même problème ?

En France, nous sommes confrontés à des défis similaires. Pour illustrer cela, prenons l'exemple de la France. Dans l'idéal, il serait judicieux d'installer une grande quantité de panneaux photovoltaïques dans les régions ensoleillées du sud du pays et de développer des parcs éoliens le long de la côte atlantique. Cependant, il manque actuellement les infrastructures nécessaires pour acheminer efficacement cette énergie vers les zones de consommation, notamment vers le centre et le nord de la France. 

Le problème de la France est encore plus complexe. Bien que le réseau électrique français soit relativement bien interconnecté, la véritable difficulté réside dans le manque de capacités d'échange avec les pays voisins. Le potentiel photovoltaïque majeur de l'Europe se trouve principalement en Italie et en Espagne. Idéalement, lorsqu'il y a un surplus d'énergie solaire, une partie de cette énergie devrait être transmise vers les régions nordiques de l'Europe. Cela nécessite un renforcement des connexions entre l'Espagne et la France.

Cependant, la réalisation de ces projets se heurte à des obstacles significatifs. Par exemple, la construction de la dernière ligne traversant les Pyrénées a pris plus de 10 ans en raison des oppositions citoyennes et des contraintes environnementales imposées.

Cette problématique va au-delà des frontières nationales. Elle se pose également au niveau européen, soulignant l'importance de l'interconnexion entre les pays. La coordination des infrastructures énergétiques à l'échelle continentale est un enjeu crucial pour garantir une transition énergétique réussie et durable.

Que peut-on faire face à cela ?

Je suis d'avis que la solution doit résulter d'une prise de conscience collective quant à l'importance cruciale de ces lignes électriques dans le processus de transition énergétique. Si nous aspirons à nous détourner des sources d'énergie fossile et nucléaire au profit des énergies renouvelables, il est inévitable que cela implique également la mise en place d'une infrastructure considérable de lignes électriques. C'est une composante intrinsèque de cette évolution et un élément tout à fait naturel dans ce contexte. 

Je suis convaincu que la question de l'acceptation des lignes électriques relève essentiellement d'une démarche de sensibilisation auprès du public. Si nous observons des campagnes pour promouvoir les avantages des éoliennes et des panneaux solaires, il serait tout aussi nécessaire de mettre en place des campagnes qui mettent en lumière l'importance vitale des lignes électriques. En effet, ces lignes constituent le véritable enjeu de la transition énergétique à l'heure actuelle. 

En somme, la clé réside dans une compréhension collective du rôle essentiel des lignes électriques pour soutenir le déploiement des énergies renouvelables. Si nous souhaitons vraiment réaliser cette transition énergétique, il est impératif que nous reconnaissions l'importance cruciale de cette composante souvent négligée de notre infrastructure énergétique.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !