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Yves Jégo : ce qu'il faut faire pour empêcher l'arrivée désormais inéluctable de Marine Le Pen au pouvoir
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Bonnes feuilles

Ce livre est né du constat qu'a fait Yves Jégo durant ses permanences de député, où il s'est de plus en plus souvent entendu dire par ceux qu'il recevait : "Puisque c'est comme ça, la prochaine fois, ce sera Marine." Inquiet de ces réactions fréquentes, le vice-président de l'UDI a décidé de prendre la plume pour nous mettre solennellement en garde contre la tentation du vote Front National. Extrait de "Marine Le Pen arrivera au pouvoir", publié chez First (2/2).

Yves Jégo

Yves Jégo

Yves Jégo est président de l'Union des démocrates indépendants (UDI) par intérim depuis le 9 avril 2014, et vice-président du Parti radical.

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Le FN, c’est d’abord un symptôme. Terrasser l’extrême droite, cela n’est possible qu’en éradiquant le chômage de masse. à cet égard, François Mitterrand eut tort de prétendre que nous aurions tout essayé, et Lionel Jospin eut tort de croire que l’état ne peut pas tout.

Non, le chômage n’est pas une fatalité

La progression du FN s’explique par le chômage. Déjà, dans les années trente, l’extrême droite était montée en puissance dans le paysage politique parce que le krach de 1929 avait provoqué en France une explosion de la pauvreté et du chômage. Dans les années quatre-vingt, le retour du chômage de masse a rendu tout un pan de la population française disponible pour le discours de dénonciation du bouc émissaire immigré, d’où les premières percées du FN. À la fin des années deux mille, une nouvelle grande crise économique a ajouté une couche de chômage de masse à celle qui perdurait depuis un quart de siècle, et donc le FN est encore monté. Et, a contrario, à l’époque des Trente Glorieuses, quand grâce à la croissance nous n’avions ni chômage, ni appauvrissement, l’extrême droite était électoralement inexistante. De fait, le lien entre augmentation du chômage et poussée du FN est évident.

Face à ce constat, outre la réforme de nos systèmes visant à les rendre plus efficaces et moins coûteux, il est indispensable que l’avenir économique se bâtisse sur un cap stratégique clair.

Beaucoup a été dit et écrit sur les moteurs de notre avenir économique et je ne reviendrai pas ici sur la nécessité d’un état stratège qui pilote une stratégie d’innovation au service de l’industrie de demain.

Nous devons aussi faire de la filière agroalimentaire une filière d’excellence et de croissance. Sans pour autant bien sûr négliger le secteur des services où la France a su créer des géants mondiaux. L’énergie et la transformation écologique sont là encore des autoroutes pour l’emploi de demain.

Je crois beaucoup aussi au potentiel de l’économie solidaire et associative, chère à Muhammad Yunus, fondateur indien de la banque de microfinance Grameen Bank. Notre pays compte déjà 1 million d’associations, soit 13 millions de bénévoles.

Cependant, si quatre associations sur cinq fonctionnent uniquement grâce au bénévolat, le secteur associatif emploie d’ores et déjà 1,6 million de salariés, soit 8 % des emplois en France. La vitalité du tissu associatif est donc, bien que cela soit trop souvent négligé, un enjeu pour l’économie et pour l’emploi en plus de renforcer le lien social.

Les travaux de recherche d’économistes comme l’Américain Robert Scott Gassler, l’Australien Brian Dollery et le Néo-Zélandais Joe Wallis sont à cet égard éclairants.

À cela s’ajoute l’embryon d’économie solidaire en tant que telle en France, composée de diverses coopératives, mutuelles et fondations, soit plus de 2 millions d’emplois qui existent déjà. Pour aller beaucoup plus loin en bâtissant un véritable « quatrième secteur » associatif et solidaire en plus du primaire, du secondaire et du tertiaire, nous devrons y doper massivement l’emploi, et ce en subventionnant 500 000 embauches de chômeurs par an dans ce secteur sur une législature, soit 2,5 millions d’emplois en cinq ans.

Cela étant, ce programme aura bien plus d’impact sur la société française que la seule baisse du chômage. Il entraînera en effet la création d’une flopée d’activités de lien social dont notre pays a crucialement besoin au bout de trente années accumulées de crise économique et sociale, mais qui n’existent pas faute de rentabilité.

Des jeunes diplômés d’écoles de commerce pourront ne plus choisir entre la bourse et la vie en se lançant dans l’entrepreneuriat social imaginé par Bill Drayton, fondateur américain de l’ONG Ashoka.

Nombre d’associations qui n’avaient pas les ressources humaines pour le faire pourront prendre par elles-mêmes de grandes initiatives de solidarité sociale en tous domaines, qu’il s’agisse du logement, de l’économie informelle, du soutien scolaire associatif, des arts, ou de tout autre objet.

Tout cela aura bien évidemment un impact à la baisse sur l’isolement et le sentiment de solitude dans la population française, sur la pauvreté, sur l’exclusion, mais aussi sur les dépressions et autres « maladies de la solitude ». De fait, à choisir, pour un coût identique, il est à la fois préférable et plus rationnel de subventionner le retour à l’emploi de centaines de milliers de chômeurs dans le secteur associatif, plutôt que d’indemniser leur maintien au chômage.

Dans un cas, ils retrouvent une vie professionnelle, un sentiment fondé d’utilité sociale et la reconnaissance de la société. Dans l’autre, ils touchent une indemnité au prix du stigmate social et de la mort lente de l’estime de soi.

La France doit gagner la grande compétition touristique mondiale

Autre moteur oublié de notre croissance : celui du tourisme.

Le tourisme est le mal-aimé de la vie politique française. Il est généralement traité comme une annexe du grand ensemble des politiques en faveur de l’artisanat et des petits commerces. Ce secteur est pourtant, en réalité, un mastodonte de l’économie du pays. Appréhendé au sens strict, il pèse 7 % de notre PIB, c’est-à-dire davantage que, par exemple, l’agriculture.

Si l’on compte les activités qu’il stimule indirectement, il nourrit 2 millions d’emplois. Parmi les activités pesant dans notre balance des paiements, il se classe premier. En d’autres termes, le tourisme mérite d’être traité pour ce qu’il est : un fleuron de notre économie et non pas, comme aujourd’hui, la cinquième roue du carrosse.

Il est extrêmement urgent pour l’avenir du tourisme français que toutes les professions s’organisent afin de mener et de remporter les nouvelles batailles d’Internet : référencement, visibilité, efficacité du marketing et partage de la valeur ajoutée d’un bout à l’autre de la chaîne de réservation des séjours. Cet enjeu, à lui seul, est crucial : il doit être mis sur la table, car en la matière, les marges que se font les uns et les autres sont loin d’être toujours équitables et transparentes.

Cela étant, nous devrons, en substance, avoir une stratégie collective de tous les acteurs du tourisme, pour jouer en équipe chaque maillon de la chaîne, qui va de l’instant où un touriste hésite sur sa future destination jusqu’à celui où il repart de France.

Nous devrions faire de l’Agence de développement touristique de la France « Atout France » le navire amiral de la politique touristique de notre pays. Pour cela, il faut confier à cette agence des missions résolument ambitieuses de promotion et de transformation de l’offre touristique En d’autres termes, tous les acteurs du secteur, y compris la classe politique, devraient accepter de se remettre profondément en question, de transformer leurs pratiques et d’investir massivement dans un secteur qui peut facilement doubler de volume tant la croissance du tourisme mondial est exponentielle.

La France a accueilli 80 millions de touristes en 2013 ; elle pourrait en accueillir 110 millions en 2020. Et si elle se donnait pour ambition d’en attirer 250 millions en 2030, elle favoriserait un vivier considérable d’emplois non délocalisables.

Modernisons en profondeur le droit du travail

Comment ne pas évoquer aussi la nécessité de réformer notre droit du travail afin de combiner enfin la flexibilité nécessaire à l’entreprise et la sécurité indispensable au salarié ?

Nous devrions sans doute nous inspirer du modèle hollandais de flexibilité-sécurité, notamment en passant au contrat de travail unique à droit progressif imaginé par les économistes français Pierre Cahuc et Francis Kramarz.

À cela pourrait s’ajouter, pour toutes les entreprises, un bonus-malus lié à la politique d’embauche et de licenciement.

En substance, plus une entreprise embaucherait et garderait longtemps ses salariés, plus elle pourrait être subventionnée, alors que plus une entreprise licencierait et garderait brièvement ses salariés, plus elle serait taxée.

L’assurance chômage devrait pouvoir garantir au salarié licencié une indemnité équivalente à 100 % de son dernier salaire pendant une période fixe de neuf mois. Cependant, en contrepartie de cette générosité, le demandeur d’emploi n’aurait alors pas le droit de refuser une offre d’emploi qui corresponde à sa qualification et qui se situe à une distance géographique raisonnable.

En outre, au bout de trois offres refusées, il devrait obligatoirement suivre une formation professionnelle de requalification dans un secteur qui recrute.

Au-delà du neuvième mois, le chômeur deviendrait titulaire de l’allocation sociale unique évoquée plus haut et devrait entrer en formation ou en apprentissage, ce qui lui garantirait alors un complément de rémunération.

Nous devrions aussi nous inspirer du modèle allemand en passant à un smic par métier au lieu d’un salaire minimum unique.

Il convient bien entendu de rebâtir de pied en cap le système français de formation professionnelle. Ledit système est aujourd’hui éclaté, dispersé, émietté, inefficace, illisible, opaque, inadapté, inutilement coûteux et inefficace. Tous les dispositifs actuels de formation professionnelle seraient fusionnés, au titre de la grande réforme sociale, dans une unique Agence nationale pour la formation professionnelle. Les régions n’exerceraient plus cette compétence qui serait confiée à l’État sous la surveillance du Conseil économique et social. Le financement serait exclusivement opéré par une partie de la nouvelle cotisation sociale unique, et uniquement destiné à cette grande agence. Cette structure unifiée serait libre de ses moyens, de ses méthodes, de son organisation et de son maillage du territoire, du moment qu’elle réalise les résultats fixés par le pouvoir politique.

Afin de faciliter la formation professionnelle quand on a déjà un emploi, il pourrait devenir obligatoire pour nos universités classiques et nos nouvelles universités des métiers de prévoir des cours du soir réservés aux salariés et d’ouvrir en horaire continu leurs bibliothèques. Ainsi abolirons-nous le système inéquitable et absurde qui, aujourd’hui, donne prioritairement des formations aux cadres supérieurs assurés d’avoir un emploi en CDI, mais accorde à si peu de chômeurs des formations pourtant vitales pour retrouver un emploi.

Faisons renaître nos villages

Enfin, la ruralité peut elle aussi, si nous sommes un tant soit peu créatifs, devenir un moteur de création d’emplois.

Nous devrons faire renaître nos villages grâce à des « écosystèmes économiques ». La première étape de chaque programme sera l’identification, par l’agence nationale unifiée en charge de l’emploi, de petits groupes de chômeurs dont les compétences peuvent former, ensemble, un « écosystème économique » viable : c’est ce que la recherche étasunienne appelle un « business ecosystem » à la suite des travaux de James F. Moore.

Il faudra bien sûr compléter chaque écosystème avec des profils qui ne sont pas chômeurs, mais volontaires pour participer à la renaissance d’un village. La deuxième étape serait l’installation de chaque groupe, coordonnée par l’agence en charge de l’emploi, dans un village où déployer cet « écosystème économique » viable.

Dès lors s’y trouveront un boulanger, un médecin, un instituteur, un épicier et ainsi de suite. Chaque activité et chaque emploi dans chaque village renaissant seront subventionnés, jusqu’à ce que l’agence, constatant que la pompe à renaissance économique a été bien amorcée, retire la perfusion au village ainsi ressuscité.

Nous avons plus de 20 000 communes de moins de 500 habitants : trouver des villages candidats à la renaissance sera la partie la plus facile de ce programme de création d’écosystèmes d’emplois. Ledit programme peut ainsi, à lui seul, faire baisser notre taux de chômage de 2 points sur une législature, c’est-à-dire créer 1 million d’emplois en cinq ans, à raison de 200 000 par an.

L’accès à l’emploi est la mère des batailles. C’est sur le terreau du chômage que prospère l’entreprise Le Pen. Notre pays doit savoir sortir des sentiers battus des emplois aidés et doter la France de nouveaux moteurs créateurs d’activité. La liste évoquée dans ce chapitre n’est bien sûr pas exhaustive. C’est pourquoi la création, évoquée plus haut, d’un ministère ayant en charge la prospective pourrait nous éviter d’être, sur ce terrain, souvent en retard d’une guerre.

Extrait de "Marine Le Pen arrivera au pouvoir - Sauf si...", de Yves Jégo, publié chez First, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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