Y aura-t-il une alliance Meloni - Le Pen ? L’avenir politique de l’Europe dépend probablement de la réponse<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Marine le Pen lors de la réunion d'été du Rassemblement National (« Estivales ») aux Arènes de Beaucaire, le 16 septembre 2023.
Marine le Pen lors de la réunion d'été du Rassemblement National (« Estivales ») aux Arènes de Beaucaire, le 16 septembre 2023.
©PASCAL GUYOT / AFP

Européennes

La manière dont la chef du gouvernement italien et Marine Le Pen travailleront ensemble - ou non - aidera à déterminer l’orientation future de l’UE

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

Voir la bio »
Jean-Yves Camus

Jean-Yves Camus

Chercheur associé à l'Iris, Jean-Yves Camus est un spécialiste reconnu des questions liées aux nationalismes européens et de l'extrême-droite. Il est directeur de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès et senior fellow au Centre for the Analysis of the Radical Right (CARR)

Il a notamment co-publié Les droites extrêmes en Europe (2015, éditions du Seuil).

 

Voir la bio »

Atlantico : Y aura-t-il une alliance entre Giorgia Meloni et Marine Le Pen à l’occasion des européennes ? Le RN cherche-t-il à quitter son groupe ID qui le marginalise ? Marine Le Pen a-t-elle adopté une autre stratégie et un nouveau dialogue avec la dirigeante politique italienne ? Par rapport à Marine Le Pen, Jordan Bardella n'est-il pas plus proche de Giorgia Meloni ?

Jean-Yves Camus : Une telle alliance implique la fusion en un groupe unique des actuels groupes Identité et Démocratie (Le Pen) et Conservateurs et Réformistes Européens ( Meloni). Il en est question pratiquement depuis 2019, de nombreuses réunions ont montré qu’il existe des discussions, étendues aux députés hongrois du FIDESZ qui siègent désormais comme non-inscrits, mais rien n’a abouti à ce jour. Même si Viktor Orban exhorte les deux dirigeantes italienne et française à aboutir, il existe des obstacles dont le moindre n’est pas l’attitude de Madame Meloni à l’égard de l’actuelle présidente de la Commission européenne. Si la cheffe du gouvernement italien persiste à accepter de soutenir Madame Von der Leyen dans sa quête d’un second mandat, il est très peu probable que Marine Le Pen accepte. C’est une question de clarté politique : MLP désigne VDL comme représentant tout ce dont elle souhaite la disparition. Ce n’est pas pour lui offrir ensuite un second bail ! Admettons pourtant que le RN souhaite sortir du groupe ID, malgré les bons scores probables des autrichiens du FPO et des flamands du Vlaams Belang, malgré la clarification opérée vis-à-vis de l’AfD. Pour aller où ? Dans le groupe ECR avec les espagnols de Vox qui sont tout sauf rassurants ? Pour y siéger à côte des élus Reconquête et des polonais du PiS et les lettons d’Alliance nationale avec lesquels la question russe est un contentieux majeur ? Tout cela est bien incertain. La seule chose qui comptera au soir du 9 juin, c’est le rapport de forces entre le PPE et la somme des sièges conquis par ID et ECR. Quant à Jordan Bardella, est-il plus proche de Meloni que Marine Le Pen, cela n’est pas certain. Fratelli d’Italia et tous ses dirigeants passés par le MSI ont une culture très spécifique, assez difficile à saisir pour les français.

Paul-François Paoli : Il semble en effet que Jordan Bardella soit moins éloigné de la dirigeante italienne que Marine Le Pen qui est culturellement étrangère au mélonisme. La dirigeante italienne est en effet, sur certains sujets sociétaux, aux antipodes de Marine Le Pen. Celle ci n'a rien à dire sur la grande rupture anthropologique que nous sommes en train de vivre: banalisation du droit au suicide assisté, PMA pour tous et mariage homosexuel. Meloni est étrangère à ce schéma sociétal. Elle reste ancrée dans l'identité catholique et il est certain qu'elle sera totalement opposée à la GPA Cela constitue un fossé entre ces deux leaders, car Marine Le Pen, contrairement à Meloni, est une enfant de la génération 68. Par ailleurs on ne sait plus très bien où elle se situe concernant la question russe tandis que Meloni est clairement pro ukrainienne. Pour comprendre l'évolution de Marine le Pen il faut admettre qu'elle s'est ralliée sans le dire à une forme de chiraquisme qui rassure les Français, elle a complètement rompu avec le logiciel paternel. Le qualificatif d'extrême droite ne lui correspond absolument pas, il est purement conventionnel et même malhonnête. C'est un peu comme si on qualifiait Fabien Roussel de Bolchevik, cela n'a plus de sens. Marine Le Pen est-elle de droite? Ce n'est pas certain du tout. Elle est partisane de l'Etat providence et n'a rien à redire concernant les statuts très avantageux de la Fonction publique alors que Meloni, comme Marion Maréchal, est libérale sur le plan économique.En somme, excepté sur la question sécuritaire et sur les excès de l'immigration, ce qui n'est évidemment pas rien, on ne voit pas très bien quel pourrait être le trait d'union entre ces deux personnalités surtout quand on constate le tournant européiste de Meloni. 

Quel pourrait être le poids politique et les marges de manœuvre sur la politique européenne d’un groupe composé d’une alliance entre le RN et le parti de Giorgia Meloni ? L’avenir politique de l’Europe pourrait-il basculer avec une telle alliance ?

Paul-François Paoli : Il est évident que la politique obéit très souvent bien plus à des calculs stratégiques qu'à des  formules programmatiques. Personne ou presque ne lit les programmes des partis politiques. Une union entre Marine Le Pen et Meloni changerait évidemment la donne même si elles sont loin d'être d'accord sur moults sujets. Après tout rappelons nous que Mittérand s'était allié aux communistes avec qui il n'avait pas grand chose en commun. Ce que ces deux femmes ont en commun c'est le refus d'une Europe techno-bureaucratique qui inspire de plus en plus aux peuples européens lassitude et ennui. Leur victoire commune provoquerait une sorte de tremblement de terre psychologique et culturel. Ce serait en quelque sorte la fin d'une certaine idée de l'Europe conçue par Jean Monnet et Robert Schuman. 

Jean-Yves Camus : Ce qui va déterminer l’avenir de l’Union européenne ( qui n’est pas toute l’Europe-continent), c’est le poids des souverainistes toutes tendances confondues, c’est-à-dire de ceux qui veulent un retour à une Europe des Nations où le droit européen cesse de primer sur le droit national. C’est le cœur de la question. Ce poids des souverainistes, quelle que soit la manière dont ils se divisent en groupes parlementaires, déterminera s’il y a ou non élargissement ; si on avance vers une politique de défense commune ou pas ; si l’UE monte en puissance dans son soutien à l’Ukraine ou non. Or sur la question ukrainienne comme sur l’OTAN, le RN n’est pas sur la ligne de Meloni.


Y a-t-il une véritable concurrence entre le RN et Reconquête pour bénéficier du soutien de Giorgia Meloni dans le cadre des alliances et des coalitions de groupes au Parlement européen ? Le parti de Meloni est-il plus proche de Reconquête que du RN ? Vers qui Giorgia Meloni risque-t-elle de tendre la main ?

Jean-Yves Camus : Meloni tendra la main au parti qui gagne et il semble que Reconquête soit très loin derrière le RN. Il sera difficile à Fratelli d’Italia d’ignorer un parti qui obtient 30% des voix. Ceci étant, il ne faut jamais oublier un autre paramètre : Giorgia Meloni est cheffe de gouvernement. Ses vrais homologues sont donc Viktor Orban et Robert Fico. Elle n’a auun intérêt à cornériser le pays qu’elle dirige en s’alliant avec des formations secondaires ou des partis radicaux.

Paul-François Paoli : Il y a en effet une concurrence entre le RN et Reconquête par rapport au soutien de G. Meloni qui apparaît comme une femme aussi maline qu'intelligente. Il est certain que Marion Maréchal est beaucoup plus proche de Meloni que Marine Le Pen. Les deux personnalités sont sur la même longueur d'onde: elles sont résolument de droite sans être extrémiste. Elles sont catholiques et identitaires, conservatrices sur les questions familiales et sociétales. Elles sont par ailleurs opposées au lobby LGBT, très puissant en France et combattent résolument le wokisme de certaines élites en place. Marion Maréchal est la plus italienne de nos personnalités politiques françaises. Elle parle couramment cette langue et se sent en phase avec un pays qui refuse la conception universaliste de la République en vigueur chez nous, comme je l'explique dans mon dernier livre: Race, sexe, identité, la France en procès. 

Reconquête et le RN sont-ils en train de négocier et de préparer une alliance après les élections européennes pour se rallier autour de Giorgia Meloni dans un groupe au Parlement européen ? 

Paul-François Paoli : Il est difficile de la savoir mais on peut le souhaiter. Encore une fois la politique obéit à la loi des rapports de force. On ne s'allie par définition qu'avec des gens qui sont distincts de vous, sinon autant faire un parti unique. La gauche sait s'unir et c'est même cela qui a fait sa force si longtemps avant que Jean Luc Mélenchon ne finisse par détruire ce qui lui permettait de gagner malgrè les différences idéologiques entre les différents courants. Si les droites veulent occuper le terrain, elles sont condamnées à s'unir.  
PFP.

Jean-Yves Camus : Tout cela sera une négociation globale dans laquelle pèsera chaque résultat national. Quid du score du PVV néerlandais, affilié à ID ? Et des portugais de Chega, qui vont rentrer au Parlement européen et sont, eux aussi orientés vers ID ? De nouveaux partis nationalistes vont faire leur entrée : les roumains de l’AUR, les bulgares de Renouveau par exemple. Il faudra voir où ils veulent siéger et avec qui. L’hypothèse de voir R ! et le RN au sein d’un même groupe semble improbable, tant l’animosité est grande, chez les zemmouristes ( mais pas chez Marion Maréchal) avec le RN.

Paul-François Paoli vient de publier "Race, sexe, identité, la France en procès" aux éditions Jean-Cyrille Godefroy.

Jean-Yves Camus a publié avec Nicolas Lebourg "Les droites extrêmes en Europe" aux éditions Seuil

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !