Xi Jinping : les habits sales du président Mao lui vont si bien<!-- --> | Atlantico.fr
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Des affiches de Xi Jinping et de Mao Zedong en Chine.
Des affiches de Xi Jinping et de Mao Zedong en Chine.
©GREG BAKER / AFP

Régime de Pékin

Quand Xi Jinping arriva à la tête du Parti communiste chinois (PCC) en 2012, puis à celle de l’État chinois en 2013, on pouvait facilement penser qu’il allait s’inscrire dans les pas réformistes de son illustre prédécesseur Deng Xiaoping.

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

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Et de fait, c’est à Shenzhen, haut lieu du développement économique de la Chine et de son ouverture sur le monde tels qu’encouragés par Deng dès 1978 qu’il emmena ses collègues du Comité permanent du PCC pour inaugurer symboliquement son premier mandat. À cette époque, on le vit même écumer la scène internationale jusqu’au Forum économique de Davos (janvier 2017), n’ayant à la bouche que les mots « libre-échange », « fin du protectionnisme » et « libéralisation du commerce et des investissements ». Vous imaginez le ravissement occidental. La Chine s’éveille enfin et elle nous ressemble ! 

C’était oublier un peu vite que si Deng avait eu une influence décisive sur l’aspect économique du développement humain et s’il avait bien perçu à travers l’exemple de Mao que le pouvoir personnel illimité est facteur de corruption et de stagnation économique, au point d’avoir été l’auteur en 1982 de la réforme constitutionnelle limitant le mandat des présidents chinois à deux quinquennats, il fut aussi celui qui donna l’ordre d’envoyer les chars sur les étudiants contestataires de la place Tiananmen en 1989.

Ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire précédemment, il n’a jamais été prévu, ni par Mao, ni par Deng, et certainement pas par l’actuel président chinois que la modernisation de la Chine puisse s’étendre le moins du monde aux libertés individuelles.

Dans la foulée de ses grandes déclarations sur les beautés du commerce international, Xi Jinping s’est empressé de faire annuler (en 2018) la limitation des mandats présidentiels afin de revenir à la présidence à vie voulue par Mao – ce qui lui permet maintenant d’entamer un troisième quinquennat triomphalement entériné à l’issue du XXe Congrès du PCC qui s’est tenu le mois dernier.

De même, il s’est empressé de « continentaliser » Hong Kong, c’est-à-dire de dépouiller ses habitants de leurs intolérables libertés civiles et politiques et de museler l’opposition démocratique, au mépris des accords de 1997 qui prévoyaient que le territoire continuerait à bénéficier de l’État de droit instauré par les Britanniques ainsi que d’une relative autonomie par rapport à la Chine communiste pendant encore au moins cinquante ans. Mais pour Xi, l’intervention chinoise a permis à Hong Kong de passer « du chaos à la gouvernance » – il l’a redit avec force dans son discours inaugural du XXe Congrès.

Ah la gouvernance ! C’est son grand mot. Et il l’applique non sans une gourmandise maladive à la gouvernance des masses. Les masses de Ouïghours, les masses religieuses, les masses des malades potentiels du Covid – les masses chinoises, finalement. Aucun pays au monde n’exerce de contrôle plus étroit et plus terrifiant sur l’ensemble de ses citoyens.

Nul besoin d’en passer par une répression de type Tiananmen pour domestiquer la population et faire rentrer dans le rang les éventuelles fortes têtes puisque le développement technologique du « big data » et la multiplication hallucinante des caméras dans l’espace public permet d’instaurer une surveillance de tous les instants sur tous les citoyens. Le contrôle social bat son plein en Chine avec l’objectif ultime d’éteindre toute velléité d’opposition politique via un subtil maniement de carotte et de bâton.

Mais là aussi, toujours revenir à Mao. Dans les années 1960, ce dernier avait mis au point un modèle de surveillance aussi low tech que terriblement efficace appelé « modèle de Fengqiao » (iciici), du nom du village où le système en question avait donné des résultats exceptionnels. Il s’agissait de combattre les éléments réactionnaires de la société, les éléments hostiles à la brillante révolution maoïste… par appel à la délation des voisins. Concrètement, les familles sont placées par groupe de dix sous la surveillance d’un chef qui signale les comportements ou les discours inopportuns des uns et des autres aux autorités. 

Encore une tradition revitalisée par Xi qui l’a évoquée dans son discours du XXe Congrès comme permettant de redonner du pouvoir de gouvernance au niveau local ! Police numérique d’un côté, police citoyenne de proximité de l’autre – pas de doute, « la lumière brillante de la vérité », ainsi que Xi qualifie les théories de Karl Marx, et « la pensée de Xi Jinping » (oui, oui, vous avez bien lu, la sienne) qu’il a fait inscrire dans la Constitution en même temps que sa présidence à vie ne risquent pas de subir la moindre critique.

Outre que la personnalisation du pouvoir atteint chez Xi un niveau de démesure quasiment pathologique, tout est en place pour le conformisme le plus étroit, l’identité de vue, l’acquiescement à tout, la fin de la réflexion personnelle, autrement dit la zombification de la population.

Ajoutez à cela une lutte sans merci contre la corruption qui signifie surtout mise au pas ou élimination des ennemis du peuple dans la société civile comme dans les instances nationales et locales du PCC, et vous obtenez un nouveau Comité central plus verrouillé que jamais par Xi Jinping. À ce titre, le sketch de la sortie sous escorte de l’ancien président chinois Hu Jintao du XXe Congrès est incroyablement révélateur. Message probable de cet incident non élucidé : tout ce qui peut être assimilé de près ou de loin à des sympathies occidentales – et Hu est réputé plutôt ouvert à l’Occident – doit disparaître du paysage. Xi nous ferait-il sa petite Révolution culturelle ?

Oh, bien sûr, le nouveau Bureau politique du PCC regorge d’ingénieurs en aérospatial ou en sûreté nucléaire. Cela tombe bien ; du quantique à l’intelligence artificielle, Xi a fixé des objectifs ambitieux à la Chine.

Progrès fulgurants assurés ? C’est à voir. Il n’y a pas la prospérité économique garantie par un autocrate, présumé un peu vite omniscient, d’un côté ; et tout le reste, la liberté d’expression, d’opinion, d’information, la liberté de créer et d’expérimenter – ces folles lubies d’occidentaux décadents – de l’autre. Il n’y aura jamais de réel bien-être économique et social s’il n’est pas possible de faire savoir à l’autocrate qui règne en distillant la crainte qu’il se trompe quand il se trompe.

En attendant, alors que les perspectives de croissance se rétractent, que l’immobilier chinois est résolument entré en phase d’éclatement de bulle et que la politique Zéro Covid toujours en cours accentue le freinage économique et l’écrasement des libertés individuelles, Xi Jinping suit la pente Mao et le fait savoir. À votre avis, où a-t-il emmené son nouveau Comité permanent pour fêter sa réélection cette année ? À Yan’an, ville où Mao et ses compagnons ont achevé la Longue Marche de 1934 – 1935.

Par parenthèse, encore un épisode glorieux du communisme chinois : d’après l’encyclopédie Larousse, « des 100 000 hommes du départ, il n’en restait plus que 8 000 à l’arrivée », du fait des combats contre les troupes nationaliste, certes, mais surtout en raison de la faim, de la fatigue, des maladies et des très nombreuses désertions. Pour Mao, cependant, opération très profitable puisqu’elle lui a permis de consolider définitivement son pouvoir sur le PCC avant de prendre le pouvoir à Pékin en 1949.

Et pour Xi, déterminé comme jamais « à transmettre les gènes révolutionnaires » qui ont fondé le communisme chinois, une nouvelle occasion de se glisser avec délice dans les habits sales du président Mao. Je dérive ma formule du titre du livre de Simon Leys intitulé Les habits neufs du président Mao (1971) dans lequel cet auteur soutient la thèse que la Révolution culturelle initiée en 1966 par Mao ne fut qu’une « gigantesque imposture ». Une affaire connue aujourd’hui, mais très mal reçue par la gauche et même une partie de la droite occidentale à l’époque.

Quand on sait que ladite révolution était clairement destinée à purger les « traîtres » et les « capitalistes » prétendument infiltrés dans le PCC et à implanter l’idéologie socialiste dans toutes les têtes, on ne peut que s’alarmer du rapprochement toujours plus concret et toujours plus laudativement revendiqué que Xi Jinping opère entre sa gouvernance et celle d’un idéologue irresponsable et meurtrier comme Mao. Pas tant en nombre de morts – je le soulignais plus haut, la menace constante d’un contrôle social intensif permet d’écarter une telle extrémité – mais précisément, par accentuation du contrôle social et élimination systématique de toute dissidence jusqu’à obtenir un peuple et des élites sans volonté propre. Ça promet.

Cet article a été publié initialement sur le site de Nathalie MP :  cliquez ICI

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