Xi Jinping, le président chinois qui était beaucoup moins populaire que ce qu’il semble croire <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre vietnamien Pham Minh Chinh fait ses adieux au président chinois Xi Jinping après leur rencontre à Hanoï, le 13 décembre 2023.
Le Premier ministre vietnamien Pham Minh Chinh fait ses adieux au président chinois Xi Jinping après leur rencontre à Hanoï, le 13 décembre 2023.
©POOL / NHAC NGUYEN AFP

Parti communiste chinois

C’est ce que montre un sondage réalisé intelligemment en Chine pour contourner la censure communiste.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Un sondage réalisé intelligemment en Chine pour contourner la censure communiste démontre que la popularité de Xi Jinping et du Parti communiste chinois s’érode. Comment ce sondage a été réalisé dans un pays où la censure domine et alors qu’il est difficile d’évaluer l’opinion publique chinoise car il est généralement interdit aux entreprises étrangères de mener des enquêtes à l'intérieur du pays ? Quels sont les principaux enseignements de ce sondage et des résultats de cette étude ? 

Emmanuel Lincot : Des universitaires de Harvard ont mené une enquête d’opinion sur la base de l’anonymat et par le choix d’un questionnaire indirect et virtuel leur permettant de dire que la popularité de Xi Jinping était moins grande qu’on ne le croyait. Sans dénigrer leur travail, je dirais que l’on peut arriver exactement au même résultat, et sans doute à moindre coût, en parlant le chinois et en interrogeant un très large éventail de gens. Il vous suffit d’aller d’une ville à l’autre, de demander à votre voisin de train ou au chauffeur de taxi par quelques questions ce qu’il pense de sa condition actuelle et vous aurez très rapidement un compte rendu assez précis de la situation. Autrefois, on appelait cela prendre le pouls de la société. À l’université, c’est ce que l’on appelle faire de la sociologie de terrain. Et aujourd’hui, tous les témoignages concordent en Chine : les gens s’expriment assez ouvertement sur n’importe quel sujet de société d’une manière franche dans tout ce qui relève du nationalisme mais beaucoup plus allusive dès lors qu’il s’agit de critiquer le pouvoir. Pour autant, tout le monde a compris que l’émoi provoqué par la mort brusque de l’ancien premier ministre Li Keqiang, dans des conditions quelques peu étonnantes, était une façon de critiquer Xi Jinping lui-même, pour ne citer qu’un exemple. Est-ce pour autant que la Chine est mûre pour un changement politique ? Je ne le crois pas. 

Ce sondage pourrait-il avoir de lourdes conséquences en Chine et au sein du pouvoir ? Cette étude révèle-t-elle une évolution au sein de la population ?

Non à votre première question puisqu’en Chine ce type d’information émanant d’organismes étrangers est censuré. En même temps, ce sondage n’a rien d’extraordinaire au sens où il ne nous apprend rien sur ce que les Chinois pensent et savent déjà. Dans un régime comme celui-ci, le danger résiderait dans le fait que les gens n’aient plus peur. Or, le régime continue à faire peur et donc personne n’ose le défier directement pas même en son sein où les plus réformistes des membres du Parti ont tous été excommuniés ou sont hors d’état de nuire. Ce qui habite Xi Jinping, c’est l’ordre. En cela, il ne permettra pas le moindre écart de conduite, la moindre contestation. Son épouvantail est le défunt régime soviétique dont la disparition lui sert constamment de contre-modèle. Et les Chinois, en général, ne demandent pas autre chose que de l’ordre et de la croissance. En comparaison avec un très grand nombre de pays, beaucoup ne sont pas loin de penser qu’ils vivent dans une société où la situation n’est pas si mauvaise, avec un pays respecté en dehors de ses frontières. La croissance n’est certes pas forcément au rendez-vous et le chômage des jeunes croît mais la majorité des Chinois sait aussi que les libertés acquises sont un droit irréversible. Bref, aucun n’a la nostalgie des années Mao.

Le niveau de mécontentement en Chine contre Xi Jinping a-t-il franchi une étape, notamment depuis la sortie de la pandémie et après les restrictions drastiques lors des confinements ?

Croire que la majorité silencieuse est en colère contre Xi Jinping est une illusion d’optique. Beaucoup aiment Xi Jinping pour la lutte contre la corruption qu’il a su mener. Ils apprécient aussi les mesures concrètes prises en matière de lutte contre l’environnement. Allez à Pékin ou dans d’autres grandes villes : la dépollution de l’atmosphère y est spectaculaire. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le souvenir de la pandémie est très lointain. Et toutes les villes n’ont pas été touchées d’une manière aussi drastique par les restrictions sanitaires. Entre toutes, Shanghai et Wuhan ont été les plus touchées par les mesures de confinement. C’est moins vrai pour les autres villes ou la capitale. A ce titre, j’invite fortement vos lecteurs à lire le témoignage de l’ancien correspondant du Monde, rentré à présent en France, Frédéric Lemaître dans Cinq ans dans la Chine de Xi Jinping. C’est un témoignage extrêmement mesuré et très intéressant sur la Chine de ces dernières années.

Les résultats de l'étude sont-ils susceptibles d’inquiéter les dirigeants chinois ? Le Parti communiste chinois s’appuie sur la présomption selon laquelle le public pense que le parti est extrêmement populaire. Mais si les citoyens sont soudain mécontents du parti, cela pourrait-il faire un effet boule de neige ? Cette dynamique a déjà fait chuter les régimes communistes en Europe de l’Est dans les années 1980…

La Chine d’aujourd’hui n’est en rien comparable avec l’URSS ou les pays de l’Europe de l’Est hier. D’une part, la conjoncture internationale est très différente. L’URSS des années 80 était en guerre en Afghanistan, la Pologne avait tenté de se soulever…La Chine est à ce jour un pays stable, elle n’est pas en guerre, et son économie en fait encore à ce jour un pôle d’attractivité. Qui allait investir de l’autre côté du Mur de Berlin à l’époque de Gorbatchev ?  Au reste, il faut se réjouir de cette différence de situation. Imaginons-nous un seul instant ce que représenterait le chaos dans ce pays et pour le reste du monde ? Il existe précisément un consensus en Chine entre le Parti et la société civile : le refus du chaos. Historiquement, les Chinois ont expérimenté ce que cela signifie et ne veulent pas réitérer ce genre d’expérience. Alors, oui, on peut imaginer que le Politburo est attentif à ce genre de sondage comme il le fut (c’est ce que nous révèlent les Tiananmen papers) aux revendications de Solidarnosc en Pologne dans les années quatre-vingt mais ce n’est pas pour autant que le Parti va brusquement changer de politique à l’égard de l’opinion d’autant que les Chinois sont confortés dans l’idée que les réformes jusqu’ici entreprises ont permis à une majorité de la population de sortir en une quarantaine d’années de la misère. 

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