Voyage au cœur d'un trou noir : pourquoi l'astronaute se démembre <!-- --> | Atlantico.fr
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La mystérieuse entropie des trous noirs est ainsi un défi majeur lancé à la physique théorique.
La mystérieuse entropie des trous noirs est ainsi un défi majeur lancé à la physique théorique.
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Bonnes feuilles

L'astrophysicien Aurélien Barrau décrit en termes simples le cosmos dessiné par la physique d'aujourd'hui. Extrait de "Big bang et au-delà : balade en cosmologie" (1/2).

Aurélien Barrau

Aurélien Barrau

Aurélien Barrau est professeur à l’Université Joseph Fourier, membre de l’Institut Universitaire de France et chercheur au Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie du CNRS.

Il a publié en mars 2013 Big Bang et au-delà - Balade en cosmologie (Ed. Dunod) qui explique, dans un langage clair et accessible, les dernières découvertes en cosmologie, et des Univers multiples paru chez Dunod en 2014.

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Dans les trous noirs, les choses deviennent plus radicalement étonnantes encore. En un sens précis, les changements de signe qui interviennent dans l’équation décrivant la géométrie peuvent s’interpréter comme un échange de l’espace et du temps. Au-delà de l’horizon, à l’intérieur du trou, le temps devient espace et l’espace devient temps. Ces deux concepts si habituellement hétérogènes se troquent l’un pour l’autre.

La singularité centrale, cette zone au cœur du trou noir où toute la matière se trouve concentrée, se situe d’ailleurs moins en un lieu qu’à un instant. Le temps lui-même cesse, en quelque sorte, de s’y écouler. Elle est une déchirure temporelle. C’est pourquoi elle marque inéluctablement une mort certaine pour le voyageur imprudent qui se serait aventuré à l’intérieur d’un trou noir. Mais notons bien que cette mort ne survient pas au moment de l’entrée dans l’astre. Elle peut survenir bien avant si le trou noir est de faible masse : les effets de marée – de même nature que ceux qu’engendre la gravitation lunaire sur la Terre – sont si grands que l’astronaute serait démembré avant même d’atteindre la surface du trou noir. Autrement dit, le champ de gravité varierait tellement vite que les parties du corps plus proches du trou noir (par exemple les pieds) seraient beaucoup plus attirées que les parties plus lointaines (par exemple la tête), conduisant à un écartèlement fort désagréable du voyageur spatial...

Au contraire, si le trou noir est très massif, ce phénomène devient négligeable et il est alors possible d’explorer l’intérieur du trou. Mais mieux vaut se tenir tranquille : toute tentative pour ralentir la chute sur la singularité – par exemple l’allumage d’un petit moteur de fusée dirigée vers celle-ci pour pousser vers l’extérieur – ne peut que précipiter les choses !

Le spectacle serait assez grandiose : un ciel noir du côté du trou, un ciel devenant rapidement très sombre du côté opposé, et un fin anneau de lumière entourant l’astronaute et séparant ces deux zones presque indiscernables.

Il n’est pas étonnant que les trous noirs fascinent les cinéastes et c’est d’ailleurs avec un plaisir étonné et assez naïf que je prends un peu de mon temps pour collaborer en ce moment avec la grande réalisatrice Claire Denis – que j’ai aimée et admirée dès Paris Texas et Les Ailes du Désir où elle assista Wim Wenders, puis avec son formidable Chocolat.

Les trous noirs sont des objets essentiellement bien compris. Les effets relativistes y sont considérables et ils constituent donc des lieux idéaux pour mener des expériences de pensée permettant de mieux comprendre – et parfois même de contraindre – les théories.

De nombreuses avancées et découvertes ont été possibles grâce à ces expériences « virtuelles » où le physicien théoricien se demande : que se passerait-il si... ? sans même avoir besoin de le faire effectivement. Une telle expérience consiste par exemple à s’interroger sur le statut d’une bouteille de gaz jetée dans un trou noir. Le gaz est un ensemble désordonné de molécules. En physique, on quantifie ce désordre – c’est-à-dire cette information considérable (les positions et vitesses de toutes les molécules) qui est ignorée quand on regarde à grande échelle – par le concept d’entropie. Si le gaz possède donc une grande entropie et que le trou noir n’en possède pas, cela signifie qu’en jetant la bouteille emplie de gaz dans un trou noir dont elle ne pourra évidemment jamais être extraite, l’entropie de l’Univers aura diminué. Or, la science de la chaleur, ce qu’on nomme la thermodynamique, nous apprend que l’entropie ne peut pas diminuer. Il faut donc supposer qu’en jetant la bouteille dans le trou noir, on fait augmenter l’entropie de ce dernier !

Mais puisque l’entropie rend compte du « désordre », cela signifie que la simplicité des trous noirs – qui peut pourtant être démontrée en relativité générale – n’est qu’apparente et qu’ils sont en fait des objets très complexes. Sans aucun doute même, les plus complexes de l’Univers... La mystérieuse entropie des trous noirs est ainsi un défi majeur lancé à la physique théorique.

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Extrait de "Big bang et au-delà : balade en cosmologie" (© Editions Dunod), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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