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Voile islamique : mais à quoi pensent ces Occidentaux qui se font les idiots utiles de la diabolisation du corps féminin
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Islamisation

La diabolisation du corps féminin par la promotion du voilement se poursuit.

Naëm Bestandji

Naëm Bestandji

Écrivain/essayiste, Naëm Bestandji est un laïque et féministe engagé. Il a longtemps travaillé dans le domaine socio-culturel auprès des enfants et adolescents des quartiers populaires. Il y a toujours vécu et a été très tôt confronté à la montée de l'intégrisme religieux.

Il a publié de nombreux articles sur l’islamisme politique.

Son site internet : https://www.naembestandji.fr/

Il est l’auteur d’un essai remarqué, pour tout comprendre sur le sexisme politique du voile : « Le linceul du féminisme – Caresser l’islamisme dans le sens du voile » (éditions Séramis, novembre 2021).

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Diverses marques de vêtements, ainsi que des magazines comme Vogue dans sa version destinée au monde arabe (1), participent à l'expansion de l'islamisme par la diabolisation du corps féminin à travers la mode. Une nouvelle étape sera franchie dans le prochain hors-série du magazine Sports Illustrated qui sortira le 8 mai prochain aux États-Unis : "Halima Aden entre dans l'histoire en tant que premier mannequin à porter un hijab et un burkini dans Sports Illustrated" (2).

Bien sûr, le magazine n'a demandé à aucun homme de poser en hijab et burkini. Aucun mannequin homme n'a fait non plus ce "libre choix"…

Une partie des islamistes a compris l'intérêt d'investir l'économie pour imposer progressivement leurs normes. Le marché du "hallal" a été créé pour cela. Il a fait son apparition en France il y a une trentaine d'années à travers la viande, concomitante à l'apparition des premiers voiles. S'il n'y avait pas de culpabilisations et de menaces religieuses brandies par les islamistes (comme "l'impudeur" et l'enfer), ce que les relativistes appellent le "libre choix", et la création d'un marché mercantile pour y répondre afin de gagner sa place au paradis, personne n'aurait envie d'acheter ces outils oppressifs.

Dans son livre "Le marché halal ou l'invention d'une tradition" (3), Florence Bergeaud-Blackler retrace très bien tous les aspects de cette norme :
"La convention halal est née d'un deal opportuniste entre des États prédicateurs et des marchands capitalistes. Cette tradition inventée constitue une fenêtre d'opportunités pour des intermédiaires "religieux et marchands", indépendants des États qui se disputent la définition du licite et donc de la norme en islam, c’est-à-dire de l'autorité religieuse. (…) Dans les pays non musulmans, ce sont les dynamiques diasporiques et l'arrivée des mouvances fondamentalistes qui vont permettre la constitution d'une demande pour ce nouveau marché."

Je suis d'accord en tout point avec son analyse dont je constate les effets depuis le début des années 1990.

Le pari est en passe d'être gagné : après l'alimentaire, Nike, H&M, GAP, Décathlon et autres marques de vêtements ont été séduites par les pluies de dollars et d'euros miroités par les islamistes. Le capitalisme n'adhère à aucune idéologie et ne se soucie guerre des droits humains. Seuls les profits et pertes comptent. Actuellement, l'intégrisme musulman est dans la colonne "profits". Peu importe que les femmes en soient les premières victimes.

Pour que ce modèle économique fonctionne en dehors des pays musulmans, il faut tenter de faire entrer un carré dans un cercle : rendre l'oppression des femmes et la diabolisation de leurs corps acceptables en les présentant comme une forme de modernité et d'émancipation puisque "choisies" par certaines musulmanes et revendiqués par des militantes. On développe alors tout un discours d'inversion qui aboutit au "féminisme islamique". On présente des femmes bigotes islamistes, souriantes, dissimulées sous des voiles colorés et "fashions". La modernisation marketing du voile pour la mode doit faire oublier sa signification, sa raison d'être raciste, sexiste et totalitaire issue du patriarcat.

L'islam est, comme toutes les religions, patriarcal. Mais le voile n'a jamais été une de ses prescriptions. L'islam appelle à l'humilité et à la discrétion, recommandation valable pour les deux sexes. Cela ne concerne pas seulement la "décence" des vêtements mais aussi l'attitude, le vocabulaire et les comportements. Le voile qui, je le rappelle, n'est pas une prescription religieuse mais islamiste, est aujourd'hui une forme d'exhibition, d'absence d'humilité voire d'indécence dans nos sociétés du XXIe siècle. En totale opposition avec le Coran, le voile prescrit par les islamistes est là pour se montrer. Le sexisme devient une valeur identitaire qu'il faut exhiber. Les magazines et marques de vêtements jouent à présent un rôle important dans ce domaine bien éloigné de l'islam mais qui colle parfaitement à la stratégie politico-économique des islamistes.

Ces reculs lents mais réguliers face au voile (hijab, jelbab, burkini, etc.) préparent le terrain pour les idées rétrogrades et totalitaires qui l'accompagnent : recul de la mixité, diabolisation du moindre centimètre carré du corps des femmes, poids de la réputation toujours grandissant sur les épaules des femmes, aménagement de professions et d'activités en fonction de la présence d'hommes et femmes, pressions sur l'État pour accepter les signes "religieux" pour les fonctionnaires, pressions sur les autorités locales pour obtenir un apartheid sexuel dans les piscines, pressions sur les magasins concernant les produits halal, communautarisme puis partition progressive de la société où la place des femmes ne sera pas la même selon le côté où on se trouve, etc.

Les premiers effets se font sentir depuis plusieurs années. Le mouvement "décolonial" a été séduit par la présentation victimaire des islamistes (autre volet de leur rhétorique d'inversion) que les militants "décoloniaux" considèrent comme de simples musulmans. Cela déborde sur une partie de la société qui les considère aussi comme de simples musulmans opprimés. Le voile devient alors "féministe". L'imposition du voile en dictant aux femmes comment se vêtir, puisque désignant ce qui est "pudique" et "modeste" (donc aussi ce qui est impudique et immodeste), devient le "libre choix". Les personnes qui dénoncent cette évolution deviennent celles qui "dictent aux femmes comment se vêtir". Encore une fois, l'inversion est totale.

En effet, les slogans marketing de mode "pudique" ou vêtement "modeste", sont venus à la rescousse de ces marques pour euphémiser et dissimuler ce racisme sexuel. Le marché contribue à rendre le voile, vêtement discriminant, acceptable, tout en contribuant à rajouter une pression supplémentaire sur les musulmanes qui refusent encore de se voiler. Par cette alliance, la pression sur les musulmanes ne fait que s'accentuer. Puisque des marques occidentales aussi célèbres vendent ces jolis voiles, il n'y a plus aucune raison pour que les musulmanes non voilées continuent à baigner dans leur "impudeur" et leur manque de "modestie". En intégrant la stratégie islamiste dans la leur, les marques de vêtements participent à dicter la norme vestimentaire aux musulmanes d'abord, puis, avec le temps, à toutes les femmes.

Ce cheval de Troie politique qu'est le voile fait l'unanimité chez les islamistes. Mais des divergences de formes et de méthodes existent. La plupart des salafistes refusent le burkini car il serait trop moulant. De plus, quelle que soit sa tenue, une femme ne doit pas "s'exhiber" sur une plage selon eux. Cela laisse croire aux yeux des plus naïfs et complaisants que le burkini serait émancipateur, apporterait une forme de liberté. Le hijab (pas assez couvrant pour les salafistes) et le burkini sont donc surtout l'apanage des Frères musulmans. Même si, chez eux aussi, le burkini ne fait pas l'unanimité. Enfin, nul doute que tous les islamistes trouveront les tenues de Halima Aden trop indécentes car, malgré le fait qu'elles recouvrent tout son corps y compris sa tête, ces vêtements sont trop moulants et ses poses trop lascives pour les satisfaire. Mais tous s'accordent sur le fait que, en introduisant le rigorisme islamiste par l'adoption de certains codes culturels occidentaux, cela pose les jalons qui faciliteront l'acceptation de revendications futures toujours plus sexistes, rétrogrades et clivantes.

Cela fonctionne. Les balises d'alertes ont été désactivées ou ne sont pas adaptées. Nombre de féministes gardent le silence de peur d'être perçues comme "racistes" (les islamistes ont artificiellement racialisé l'islam pour circonscrire toute opposition à leur extrémisme qu'ils considèrent être l'islam tout court). D'autres ne voient pas de problèmes avec le voile. Nombreuses en viennent même à le défendre depuis leur abandon de l'universalisme pour le "racialisme" des "décoloniaux". Ce phénomène se nomme "féminisme intersectionnel" : à l'intersection des discriminations qu'une femme peut subir (sexisme, couleur de peau, religion, classe sociale, etc.), le féminisme cède le passage au "respect" des cultures et de la religion (surtout l'islam, perçue comme la religion des "opprimés"). L'inversion des rôles bat son plein : le féminisme universaliste, qui lutte pour l'égalité des sexes sans compromis avec aucune culture ni religion quels que soient la couleur de la peau et l'endroit du monde, est accusé d'être un "féminisme blanc" raciste…
Par leur silence coupable ou leur alliance avec l'intégrisme musulman, ces féministes devront un jour en répondre face à l'histoire.

Hani Ramadan est un des Frères musulmans européens les plus influents. Comme tous les islamistes, il milite pour le "libre choix" du port du voile si chère à certaines féministes. En juin 2016, il fut invité à intervenir pour promouvoir le terme "islamophobie", c’est-à-dire la peur de l'islam, afin d'en faire l'équivalent d'un racisme. L'invitation n'émana pas des cercles islamistes habituels mais du Centre de la transition professionnelle à Genève… Au sujet du voile, il usa des mêmes métaphores que les autres intégristes musulmans pour expliquer sa raison d'être : "Une femme est comme une perle dans un coquillage. Si on la montre, elle crée des jalousies. La femme sans voile est comme une pièce de deux euros. Elle passe d’une main à l’autre". La femme est donc un objet (précieux pour rendre la comparaison plus acceptable) qui doit être caché pour ne pas susciter la convoitise des animaux que seraient les hommes. Non voilée, elle serait à leur disposition. En banalisant et valorisant le voile, telles sont les idées défendues par les "féministes intersectionnelles". Voilà comment susciter la peur de l'islam.

Ces magazines et marques de vêtements ne réalisent pas la menace grandissante qu'ils font peser sur les femmes du monde entier, à commencer par les musulmanes. La pression s'accentue sur ces dernières. Il suffit d'observer la situation au Maghreb par exemple. Un bon exemple fut l'épisode des "bikinis d'Annaba" en Algérie qui révéla au monde à quel point, par leur obsession sexuelle maladive, le corps des femmes est un enjeu pour les islamistes. La dissimulation de ces corps est tout autant motivée par le sexisme que par la politique. L'article que j'avais écrit à ce sujet analyse ce danger pour les algériennes et toutes les femmes en général (4).
Le rêve islamiste d'imposer leur norme se concrétise tous les jours un peu plus. Les femmes en sont les premières victimes avec la complicité de certaines d'entre elles, comme Halima Aden, ce joli mannequin qui pose fièrement et souriante en hijab et burkini.

Des millions de musulmanes s'inquiètent de cette évolution. Des centaines reprochent aux féministes des pays non musulmans leur inaction voire leur complicité dans leur oppression. Certaines se mobilisent au Maghreb, aux États-Unis, au Québec, en France et ailleurs pour dire non au voile. "Free From Hijab" est un des derniers slogans de ces musulmanes qui tentent d'alerter le monde. Mais rien ne sera possible tant que des féministes occidentales verront dans le voile, par leur vision orientaliste de l'islam, une forme de féminisme et contribueront ainsi à enfoncer les musulmanes qui veulent réellement s'émanciper.

Des musulmanes se mobilisent aussi au Québec face à la pression des islamistes. Radio Canada en a interviewé trois d'entre elles : "Trois enseignantes musulmanes originaires d'Algérie et installées au Québec depuis plusieurs années se portent à la défense du projet de loi sur la laïcité de l'État" (5).

"Je suis née musulmane. La foi n’est pas dans les apparences, elle est dans les gestes qu’on pose, et non pas dans un bout de tissu."
Djamila Addar, enseignante et militante berbère

"Ce voile n'a jamais fait partie de notre culture ni de notre religion".
Leïla Lesbet, militante berbère et enseignante à Montréal

"Le voile est lourd de sens. Pour moi, c’est le porte-étendard des islamistes. C’est quelque chose d’oppressant, de dégradant pour les femmes".
Leïla Bensalem, enseignante et militante pro-laïcité

Le jour où l'ensemble des féministes à travers le monde appelleront au boycott des marques de vêtements et magazines qui font la promotion d'une des formes de sexisme les plus dures de l'histoire contemporaine, cachée derrière des sourires et des voiles colorés et fashion, alors l'espoir renaîtra.
Le militantisme islamiste et ses connexions sont mondiaux. Seule une union mondiale des féministes universalistes, quelle que soit leur (non) confession, permettra de donner un coup d'arrêt à leur expansion et à son corollaire sexiste.


(1) 'My Choice': With a Series of All Black, All Hijabi April Covers, Vogue Arabia Demystifies Muslim Modesty

(2) Halima Aden Makes History as the First Model to Wear a Hijab and Burkini in Sports Illustrated Swimsuit

(3) Bergeaud-Blackler Florence, Le marché halal ou l'invention d'une tradition, Seuil, Paris, 2017, p. 42-43.

(4) Les "bikinis d'Annaba", illustration de l'Algérie partagée entre un obscurantisme grandissant et une modernité qui tente de résister

(5) Des enseignantes musulmanes défendent le projet de loi sur la laïcité

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