Voilà pourquoi ne choisir ni Macron ni Le Pen peut aussi être vu comme une volonté de défendre la démocratie<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme passe devant les affiches de campagne d'Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, le 11 avril 2022
Un homme passe devant les affiches de campagne d'Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, le 11 avril 2022
©LUDOVIC MARIN / AFP

Dépolitisation

Sonia Devillers et François-Xavier Bellamy se sont attirés beaucoup de critiques en affirmant ces derniers jours qu’il n’avait pas voté pour Emmanuel Macron.

Rafaël Amselem

Rafaël Amselem

Rafaël Amselem, analyste en politique publique diplômé du département de droit public de la Sorbonne. Rafaël Amselem est également chargé d'études chez GenerationLibre.

 

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Atlantico : Interrogé sur France Inter, François-Xavier Bellamy a été questionné avec insistance au sujet de son vote au second tour de la précédente élection présidentielle. L’homme politique tâchait pourtant de dire que l’offre politique française ne se résumait pas à Macron et Le Pen. Que faut-il, selon vous, retenir de cette séquence ? 

Rafaël Amselem : Sachant distinguer ma droite de ma gauche je sais encore différencier un parti, avec tout ce qu’il a de critiquable ou de pratique verticale du pouvoir, qui a coeur de défendre les valeurs de la démocratie libérale d’un autre parti politique dont on sait le passé en lien avec des personnes et des déclarations antisémites, qui défend des mesures attentatoires à la liberté de certains Français… En bref, je sais diversifier un parti du centre de gouvernement d’un parti d’extrême droite. Ce point étant posé, on peut maintenant s’interroger sur une réalité tout à fait palpable : celle de la montée fulgurante du Rassemblement national. Un récent sondage opposait d’ailleurs Marine Le Pen à Gabriel Attal dans le cadre d’un hypothétique second tour de la prochaine élection présidentielle et celle-ci était donnée gagnante à 51%.

En se confrontant à cette réalité là, on peut donc analyser ce qui aboutit à la montée de ce parti, indépendamment des désaccords que l’on peut nourrir à son encontre. La macronie, sans avoir l’exclusivité de l’explication causale de cette montée a une part de responsabilité extrêmement importante. A mon sens, cela réside dans plusieurs points, à commencer par une importante dynamique de dépolitisation. C’est un mouvement qui a commencé à dire que tous les socio-démocrates de gauche comme de droite devaient se rassembler au sein d’un grand parti central, duquel ils pourraient alors recomposer la vie politique française. C’est, à mon sens, extrêmement dommageable au sein d’une démocratie, celle-ci reposant sur des dynamiques d’alternances. Or, si l’on empêche toutes les nuances de la vie politique de s’institutionnaliser à travers des partis différents, on en arrive à réduire la seule opposition possible à une opposition extrémiste. 

Pour le coup, et rappelons-le, Marine Le Pen n’a pas l’exclusivité de cette opposition.

Pris en ce sens, il apparaît évident qu’essouffler toutes les nuances politiques au sein de ce grand parti central assèche la possibilité d’alternance. Cela nourrit des partis extrémistes comme celui de Marine Le Pen. Si le parti central échoue, et c’est actuellement le cas, la seule alternative est celle que nous avons décrit. La dépolitisation dont nous parlons est d’autant plus marquée que Renaissance est un parti qui a coeur de s’attribuer la rationalité politique par défaut, qui se présente comme le groupe des responsables contre les autres qui seraient les “inconséquents” (ce qui est assez ironique, au vu du bilan de l’action politique du parti présidentiel). C’est une rhétorique de type “moi ou le déluge”, qui ne peut que condenser de la crispation et donc faire monter les adversaires.

Vous évoquiez également les problèmes de “verticalité” que la séquence met clairement en lumière. C’est-à-dire ?

Le parti d’Emmanuel Macron a poussé les logiques présidentialistes et verticales de la Vème République à leurs paroxysmes. La figure présidentielle a été mise en avant comme elle ne l’avait jamais été : elle est devenue la clef de voûte de la vie politique et institutionnelle française. Se faisant, on en aboutit à une forme de populisme de la part du parti macroniste, en cela qu’Emmanuel Macron concentre l’ensemble des attentes, des interrogations, des colères, des tristesses, des passions qui traversent la vie politique française et la société civile. De là naît une insatisfaction personnifiée à travers l’image du président de la République et qui nourrit parfois une forme de détestation.

C’est un système qui ne peut que créer de la frustration. Le chef de l’Etat est considéré comme le patron du gouvernement, celui du parlement, ainsi que le chevalier en lutte contre le chômage, chargé de la bonne gestion des problèmes de désindustrialisation ou de trafic de drogues à Marseille, pour ne citer que quelques exemples. Il cumule l’ensemble des problématiques qui traversent notre société. Il ne peut pas régler tous ces problèmes, aucune institution ne peut aboutir à une solution concentrée en une seule et même personne. La frustration est donc la seule réponse possible et elle nourrit toutes celles et ceux qui se présentent comme des alternatives. Marine Le Pen, évidemment, fait partie de ceux qui en profitent.

N’est-il pas ironique d’avoir été élu en partie pour faire “barrage” à l’extrême droite et aujourd’hui de nourrir sa progression électorale ?

Tout à fait. La formule du “barrage républicain” est un piège. Je suis le premier à m’opposer farouchement, y compris sur un plan moral, au parti de Marine Le Pen. Mais en se contentant de postures morales, on aboutit à l’absence d’évaluation des responsabilités politiques. Emmanuel Macron avait déjà un bilan en 2022. En faisant campagne en très grande partie sur le barrage à l’extrême droite, il a évité la pesée des responsabilités. Personne n’a évalué les politiques publiques, n’a cherché à savoir les causes de l’insatisfaction qui ont pu entraîner la montée (et sans doute à terme, l’élection) du Rassemblement national. 

L’ironie est réelle. Elle est même prévisible. Notre Vè République, de même que sa pratique institutionnelle, donne aux citoyens le sentiment de ne pas être écoutés, ce qui engendre une part de leur frustration, de leur insatisfaction face aux décisions qui sont opérées. Le tout sans alternative politique viable. Mais tout cela, il faut le rappeler, a été sciemment construit par le parti d’Emmanuel Macron. C’est lui qui a décidé d’éclater la vie politique française.

Il est difficile, aujourd’hui, de déterminer précisément pourquoi il a fait ça. Sans jouer au ventriloque on peut identifier quelques hypothèses qui permettent d’identifier pourquoi il a fait ce choix. La première est tout à fait pratique, presque managériale. Elle consiste à dire que les différences qui existent entre ce qui était autrefois la droite et la gauche de la gouvernement n’étaient pas réellement substantielles. Elles ne justifiaient des institutionnalisations partisanes différenciées. D’où la volonté de les rassembler au sein d’un grand parti central.

Il y avait sans doute également une considération très manichéenne : en ajoutant les voix de tous ces partis, on produit une rente électorale qui assure une élection à chaque occasion.

Comment lutter contre la verticalité et, paradoxalement, la dépolitisation du débat, dans de telles conditions ?

La dépolitisation passera pour l’essentiel par le retour à plus de nuances en politique. Il faut recréer des partis intermédiaires. Il faut retrouver une gauche et une droite de gouvernement, sortir de ce grand bloc central qui se comporte comme un trou noir et essaye d’attirer chaque voix dissidente. C’est la condition même de l’alternance et de la nuance politique. Un grand parti central, où tout se passe à l’Elysée, empêche l’exercice de la nuance, indépendamment de leur degré de radicalité. C’est important que les partis puissent exprimer leurs positions, quitte à ce que les différences soient parfois peu substantielles. Peut-être ne sont pas fondamentales, mais elles permettent la construction d’oppositions.

La problématique de la verticalité institutionnelle est très complexe. Elle dépend d’une part d’un schéma institutionnel, d’autre part d’une culture politique. Le schéma institutionnel, c’est celui d’une Vè République qui consacre la prééminence et la solitude du président de la République ainsi que du pouvoir exécutif au sens large. Il faudra en passer par la case du changement constitutionnel pour modifier cet aspect-là et donner plus de place aux contre-pouvoirs, fussent-ils locaux. C’est aussi un changement de culture politique, or la culture politique française se nourrit d’une construction du pays faite par une dynamique de la verticalité. C’est de l’Etat qu’on attend la révélation de ce qu’est l’intérêt général. On ne le construit pas de bas en haut, mais bien de haut en bas.

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