Violences du 1er mai : mais où nous mène le déni de crise démocratique affiché par Emmanuel Macron ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Un immeuble a notamment été incendié par les casseurs sur la place de la Nation à Paris.
Un immeuble a notamment été incendié par les casseurs sur la place de la Nation à Paris.
©ALAIN JOCARD / AFP

Incidents en marge des manifestations

Les manifestations du 1er mai ont été marquées par des scènes de violences et des incidents avec des casseurs, notamment à Paris. Gérald Darmanin a dénoncé dimanche les « violences inacceptables » commises par des « casseurs » habillés de noir et venus « perturber les manifestations du 1er mai, notamment à Paris ».

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Que vous inspire le niveau de mobilisation de ce 1er mai, par ailleurs émaillé de nombreuses violences ? Quel avenir politique nous dessine-t-il pour les prochaines semaines ?

Arnaud Benedetti : Il s’agit d’une mobilisation qui demeure massive et qui signifie que la page « retraite » est loin d’être tournée. Il n’y a aucune raison structurelle pour qu’il en soit autrement dans la mesure où le soutien à l’intersyndicale et aux mobilisations, nonobstant et malgré la promulgation du texte, reste massif dans l’opinion. Cette persistance est en soi une mauvaise surprise pour le gouvernement qui misait sur un réflexe in fine légaliste, escomptant sur un ralliement-résignation à la force de la loi. Le problème est que la légalité dans une société démocratique ne peut opérer pleinement que si les ressorts de la fabrication de la législation sont perçus et vécus comme légitimes. Cette loi a beau être votée, promulguée, elle souffre néanmoins d’un déficit de légitimité. L’exécutif dans un contexte de défiances accrues, héritage de nombreuses années de crises de la représentation, a mésestimé, faute de prendre la mesure de la profondeur des ressentiments, cette réalité. Bien au contraire, il a accru par sa méthode le parti pris de la contestation en passant d’une part sur le corps de la démocratie sociale et d’autre part sur le corps de la démocratie parlementaire. Cette exacerbation a par la suite été dopée par une communication présidentielle qui, loin d’apaiser, a vraisemblablement multiplié les aspérités. D’où un blocage qui dépasse de loin la seule question des retraites, laquelle est le révélateur d’un phénomène bien plus ample. La crise est en effet politique avant même que d'être sociale ou plutôt de sociale a-t-elle muté en crise politique ou mieux encore, couvant politiquement elle a trouvé dans un enjeu social le moyen de devenir politique. Le Conseil constitutionnel, mais cela est peu probable, pourrait en validant le RIP présenté par les parlementaires de gauche offrir une sorte d’apaisement relatif, le temps de la procédure nécessaire pour mener à son terme ou non une telle disposition. L’autre temps fort par la suite sera la discussion de la proposition de loi du groupe LIOT le 8 Juin prochain visant à abroger la loi adoptée. Autant dire que cette échéance législative maintient sous tensions une situation qui sur un plan institutionnel n’a jamais été aussi fragile sous la Vème République du fait de l’extrême faiblesse, voire de l’inexistence d’une majorité parlementaire. Autant dire que le quinquennat d’Emmanuel Manuel Macron ne tient qu’à un fil…

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Quelle stratégie auraient selon vous intérêt à adopter les oppositions d’une part, l’intersyndicale d’une autre pour éviter que la violence ne leur échappe comme pour échapper au réflexe légaliste type parti de l’ordre face actions et discours insurrectionnels ? 

Ils n’ont pas forcément intérêt dans l’immédiat à changer de stratégie pour plusieurs raisons : la première de ces raisons est liée encore une fois au capital de confiance dont ils continuent à bénéficier dans leur opposition à la réforme du gouvernement ; la seconde de ces raisons, indissociable de la première, est liée à l’impopularité de l’exécutif, d’Emmanuel Macron notamment, à laquelle une partie de l’opinion entend donner une leçon comme si quelque chose de très personnel s’était installé dans le rapport de la société française avec son Président; et in fine la troisième raison, la plus importante, est qu’il faut un gain aux syndicats parce que jusqu’à maintenant nonobstant le soutien dont ils sont crédités ils ne peuvent exciper aucun trophée. Le rapport de force qu’ils veulent imposer au pouvoir ne peut se solder par une absence totale de résultats, sauf à ce qu’ils perdent la face. Et tout le problème du macronisme est de rajouter à la « verticalité » une forme d’humiliation de ces contradicteurs, comme s’il fallait parachever son autorité par une domination sans partage. La crise que nous traversons est de ce point de vue exacerbée par le comportement d’un pouvoir qui pense détenir le monopole de l’intelligence et de l’intérêt général. Or le sentiment démocratique dans un vieux pays structuré démocratiquement depuis de longues années comme la France ne peut se résoudre à subir un pouvoir aussi peu enclin à penser la démocratie comme un « plébiscite de tous les jours ». Ne pas comprendre que le lien qui assure l’adhésion des Français à leurs institutions n’a jamais été autant sur le point de céder constitue une évidente faute politique. A l’intérieur de sa propre « majorité » Emmanuel Macron suscite le doute : son partenaire historique le MoDem de François Bayrou en constitue le meilleur exemple qui tend à prendre ses distances. Et il se pourrait bien que le Chef de l’Etat soit prochainement confronté à une crise à l’intérieur de la crise avec certains de ses soutiens. Certes les violences de l’extrême-gauche peuvent nuire à la contestation mais n’oublions jamais que pour une majorité de Français la confiance dans les institutions ne cesse de régresser, qu’une partie des dirigeants sont aux yeux de nombre de nos compatriotes entrés en sécession et que cette sécession, ce séparatisme du haut justifie des formes de radicalités. Les sondages attestent de cette radicalisation, minoritaire heureusement, mais néanmoins réelle. 

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Alors que François Bayrou a fermement souligné que nous étions entrés dans une grave crise démocratique, Emmanuel Macron vous semble-t-il à la hauteur de ses responsabilités de garant de la stabilité des institutions ?

Il arrivera le moment où il devra choisir pourtant entre son amour-propre et les institutions. Tout accrédite la représentation qu’il privilégie pour le moment le premier sur les secondes, à l’inverse d’un De Gaulle dont l’orgueil ne manquait néanmoins jamais de s’effacer devant l’intérêt général qu’il indexait sur le consentement populaire. Emmanuel Macron semble ne pas vouloir voir la profondeur de la crise parce que ce qu’il croit être  son intérêt lui dicte ce déni. La psyché macroniste a sans doute connu trop de succès, de fulgurances, de rétablissements improbables pour douter de son invincibilité. Pour être à la hauteur des institutions, il lui faudrait entrer en humilité. En est-il capable ? C’est toute la question.

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